En juillet dernier, le Britannique Wu-Lu a sorti son deuxième album LOGGERHEAD. Un opus post-genre, alliant influences métal, hip-hop, ou encore jazz fusion. À l’occasion de son passage au festival Cabaret Vert, nous nous sommes entretenus avec lui pour revenir sur cette sortie. Rencontre.
C’est à minuit après son passage à Cabaret Vert que nous retrouvons dans sa loge Miles Romans-Hopcraf, alias Wu-Lu. « Vous voulez quelque chose ? », nous demande-t-il en tendant le panier de fruits installé sur la table de cette petite salle aux murs préfabriqués. Le concert de Stromae bat son plein et les basses font trembler les cloisons. Le Londonien originaire du quartier de Brixton semble fatigué. En même temps, il vient d’offrir un show intense au-delà des genres mêlant hip-hop, métal et jazz fusion et un final à l’énergie punk -soutenu par la rappeuse britannique Lava La Rue qui se trouvait dans le public. Un concert toujours fidèle à son nom de scène provenant du mot « wuha », « eau » en amharique. Symbole de fluidité et de liberté pour Wu-Lu.
Comment était le concert de ce soir ?Â
C’était génial, vraiment intense. Littéralement. Ce matin, j’étais en Espagne, avec ma famille. J’ai du prendre quelques trains pour venir. J’ai même réussi à avoir un train pour arriver plus tôt. Puis j’ai reçu un appel pour me dire que mon temps de passage était avancé. J’étais genre : « quoi ?! ». Et là on m’a dit: « Ouais, on est sur scène en train de tout installer, t’es où ? ». Je venais juste d’arriver à la gare. Je suis passé du train à la scène directement. Dans ma tête j’étais : « Wow ». Mais ce truc en a fait un bon concert. Parce que nous devions être précis, rapidement. J’ai adoré.Â
Est-ce que le public comprend toujours ta musique ? Il paraît qu’aux Escales de Saint-Nazaire tu as à la fois vidé la piste et conquis le public.Â
Ça dépend vraiment. J’ai l’impression que les gens qui nous écoutent à l’origine sont pour la plupart d’une génération punk, plus âgée, ils ont peut-être entre 40 et 50 ans. Et puis, les gens qui restent sont ceux qui aiment le bizarre. J’aime l’idée que les gens viennent pour s’attendre à une chose, mais repartent en pensant autre chose. Ça permet de filtrer les gens qui vibrent vraiment sur notre musique.
C’est exactement ce qu’on a ressenti la première fois qu’on t’a vu, à l’enregistrement de l’émission Echoes d’Arte. Parce que tu commences ton set avec un son plus hip-hop et ensuite tu enchaines avec du métal. C’était ta première télé d’ailleurs ?Â
Oui. Il y avait beaucoup de choses à assimiler. Mais ça m’a rendu vraiment heureux. Enfant, j’écoutais pas mal Franz Ferdinand, c’était assez irréel de partager la scène avec eux. J’ai pu les voir sur scène, c’est toujours cool. (Il commence à chantonner l’air de « Take me out »)
Que s’est-il passé entre ton premier album Ginga et ce deuxième album LOGGERHEAD que tu viens de sortir?Â
Tu es la première personne qui prononce le titre correctement ! Les gens disent toujours « Guinga ». Ginga c’est le fait de bouger d’avant en arrière dans la capoeira. Pour moi cet album n’était pas nécessairement du hip-hop ou un autre genre. C’est juste de la musique pour bouger d’avant en arrière, comme tu le sens. Tous les morceaux qu’il y a sur LOGGERHEAD, c’est le son que je fais depuis des années. Ginga était un moment où je me disais que je devais montrer au monde ce que je faisais avant. À l’époque, je voulais dire aux gens que j’allais être différent dans tous les domaines. Comme ça, ils n’allaient pas être trop surpris lorsqu’ils entendront un son hip-hop à côté d’un morceau punk, à côté d’une chanson bruyante, à côté d’une composition plus orchestrale. Et j’essaye aussi de mélanger tout cela ensemble. J’essaie de ne pas avoir trop d’une chose dans ma musique. Je ne veux pas que ça soit trop métal ou trop hip hop. J’essaie juste de trouver un bon équilibre. Ginga c’était les débuts de moi en train de créer ce que je fais maintenant. C’était des idées. Et tout ce que j’ai fait, c’est les affiner.
Et donc tu as enregistré cet album en Norvège, c’était assez compliqué de ce qu’on a compris.Â
On a commencé à enregistrer dans un pub à l’Ouest de Londres. Il fermait, alors mon bassiste a suggéré d’aller en Norvège au studio de Simon Tickner, qui tenait le pub Queen’s Head à Brixton. C’était un pub très connu où des groupes comme Fat White Family jouaient. Et il l’a vendu, a acheté une maison en Norvège et a monté un studio. C’était parfait, au milieu de nulle part, avec beaucoup de temps libre. J’étais là : « fuck it, on trouve de l’argent, on va là -bas ». C’était comme Brixton, mais avec un fjord à côté.
Tu parles de santé mentale sur LOGGERHEAD, que souhaitais-tu raconter ?
Le concept LOGGERHEAD est autour de la voix interne, de moi-même et d’autres personnes. Au moment de faire l’album, je sentais que j’étais toujours en train de défier des choses ou d’en combattre, intérieurement et extérieurement. Que ça soit d’autres gens ou opinions. Beaucoup des chansons de l’album sont sur le fait que l’habit ne fait pas le moine. Ce que je voulais c’est que les gens pensent à des situations avec un peu plus d’empathie. Je voulais les faire réfléchir et leur faire comprendre qu’il faut donner du temps, de l’espace et du recul avant de juger. Et c’est un peu de là qu’est venue l’idée de LOGGERHEAD (signifie « à couteaux tirés » en français, NDLR). J’ai eu une conversation avec quelqu’un et nous étions en désaccord sur plein de choses. Et je pense que nous serons toujours à couteaux tirés l’un de l’autre. Ça n’a pas à être comme ça. Mais ça l’est et c’est ce que sont les gens. Et puis « Loggerhead » désigne aussi un type de tortue. Quand j’ai découvert ça j’étais là : « wow, c’est profond » parce que l’idée d’une tortue vivant dans la mer, c’est comme si cet être devait dealer avec ses propres pensées et émotions dans un vaste monde. Si cela fais sens… *rires*
Le titre « South » parle de gentrification du quarter de Brixton. Comment c’était de grandir dans ce quartier et de le voir changer ?Â
C’est quelque chose dont on ne remarque pas vraiment l’importance, jusqu’à ce que le quartier commence s’adapter à des personnes qui peuvent se permettre un style de vie différent. Ce que j’explique à chaque fois, c’est que c’est comme la canne à sucre. La canne à sucre, c’est une racine naturelle pas vrai ? Mais quand les gens la prennent, la raffinent et la transforment en quelque chose qui est en fait fondamentalement mauvais pour nous, ils lui enlèvent tous ses nutriments. C’est ce que je ressens par rapport à Brixton. Ce quartier a tellement d’histoire et de prospérité… Quand les gens s’en rendent compte, ils veulent juste prendre ce qu’il y a dedans et alors ça devient quelque chose de fabriqué.Â
On ne connaît pas bien l’histoire de Brixton, peux-tu nous la raconter ?Â
Il y a une communauté afro-caribéenne importante qui a donné naissance à beaucoup de bonnes musiques et de bons musiciens. Il y a des lieux emblématiques qui ont aidé beaucoup de gens à se faire connaître. Le skate park aussi, c’est une sorte d’endroit iconique. Brixton est célèbre pour son agitation, ses émeutes et son action politique. Ce quartier, c’est comme Harlem à New-York. Il y a comme un battement de cÅ“ur qui vient des gens, qui font le meilleur de ce qu’ils ont. Brixton n’était pas originellement un endroit où les gens se rendaient. C’est une graine qui s’est transformée en arbre. Ça s’est construit tout seul et ça a produit des endroits comme la salle Brixton Academy, des boutiques de charité qui donnent à la communauté, des clubs pour les jeunes… Mais maintenant, c’est des grandes rues avec beaucoup de magasins de marques. Tout cela rend le quartier de plus en plus cher et ne permet pas aux gens qui en ont vraiment besoin de continuer à faire vivre Brixton.Â
Nous parlons de gentrification. La musique rock a été le terrain d’appropriation culturelle et de gentrification. Aujourd’hui la scène britannique post-punk est quasi représentée par des artistes blancs.Â
Il y a définitivement beaucoup d’artistes de couleur qui font cette musique post – qu’importe son nom , avec de la guitare/basse. Il y a Myles Morgan, Sam Akpro, Marley, Ben Romans Hopcraft (son frère NDRL). Évidemment, je célèbre le fait que nous sommes des personnes de couleur dans une scène très blanche. Mais ce n’est pas mon angle. Je ne l’étiquetterais pas comme « les personnes noires faisant de la musique ». Parce qu’en fin de compte, tout le monde dans l’industrie peut faire ce qu’il veut et contribuer à ce genre de musique. Et je n’essaie même pas vraiment de faire un truc punk. Je suis ce que je suis, je joue la musique que je joue grâce à l’endroit où j’ai grandi et à ce que j’ai écouté. Peu importe comment ça sort. C’est ce que j’essaie de faire comprendre. J’avais l’impression que quand je grandissais, j’étais la seule personne que je connaissais qui écoutait Flying Lotus, que dans mon quartier personne n’était vraiment à fond dedans. Puis j’ai rencontré une personne, puis une personne puis une autre et c’était juste : « oh, je peux être qui je suis, et qui je veux être avec les gens ».
Ton père était un trompettiste dans un groupe de reggae fusion, ta mère est danseuse et ton frère est bassiste. Vous êtes tous·tes des artistes. Est-ce que Wu-Lu est un peu un projet familial ?Â
Ça peut l’être ! Définitivement ! Nous avons fait un concert une fois où il y avait le groupe de mon père et celui de mon frère, il y a trois, quatre, cinq ans. Mais mes parents et mon frère m’inspirent constamment pour faire ce que je veux faire. Ils me soutiennent beaucoup. Mon frère jumeau fait partie de plusieurs groupes : Insecure Men, Warmduscher, Childhood. Mon père est assez respecté dans la scène reggae afrobeat, il a un groupe qui s’appelle Sooth Sayers.
Et qu’écoutais-tu enfant pour développer ce son si singulier ?
Littéralement de tout. De Jungle, Angie Stone à Dogg, MC Hammer, Will Smith, Mobb Deep. De tout, parce que ma mère écoutait beaucoup de salsa. Et du jazz, beaucoup beaucoup de jazz. Mon père est à fond dans la musique noire : reggae, dub, afrobeat, ska. Mon frère et moi étions dans un groupe de ska avec mon père avant ! J’étais aussi fan de de Gorillaz, Offspring, Rage Against The Machine, Slipknot…
Slipknot joue ici demain. Tu vas pouvoir les voir ?Â
Je sais ! Mais nous partons demain. Après on se rend au festival belge Pukkelpop et ils jouent le même jour que nous. Je ne les jamais vus sur scène et c’est l’un de mes groupe favoris. Donc… (fais genre de courir devant la scène).