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Stephanie Pan & Ensemble Klang / © Pieter Kers
15 mai 2024

Rewire, les Pays-Bas à la pointe de l’expérimention

par Tsugi

Festival bien ancré dans le calendrier des incontournables, Rewire, à La Haye, est l’occasion d’avoir un aperçu d’une scène expérimentale néerlandaise bouillonnante, soutenue par des acteurs clés à l’échelle du territoire.

Par Laurent Catala 

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MAZE Ensemble & Annea Lockwood / © Lutherse Kerk

Article issu du Tsugi mag 170 : Rebeka Warrior et les pionnières

Église luthérienne ou cathédrale massive, sous-sol de bar aux allures berlinoises, salles de concert aux dimensions parfois monumentales, complexe central et festif du Paard… Le festival Rewire met les petits plats dans les grands pour investir la coquette ville de La Haye et mettre en exergue, au passage, l’impressionnant nombre de lieux culturels maillant l’endroit.

Une densité redoutable qui, à l’image de la programmation, oblige le visiteur à faire des choix dans son parcours de concerts entre artistes internationaux connus et reconnus – choix parfois contraints, comme pour l’inaccessible show d’Autechre dans une Grote Kerk à l’intérieur curieusement paré de tissus permettant au duo de jouer dans le noir complet – et projets en herbe, parmi lesquels les pépites locales occupent une place qui ne doit rien au hasard.

« L’idée de Rewire, c’est d’explorer les genres, les supports, et de les croiser, résume Bronne Keesmaat, fondateur et directeur du festival depuis 2011. On a une vision très exigeante avec beaucoup de mélanges entre musique, images, médias, un peu comme ce que fait une Laurie Anderson par exemple (une référence qui saute en effet aux yeux et aux oreilles lors de la performance interdisciplinaire post-punk et orchestrale The Art Of Doing Nothing : A Feminist Manifesto de la compositrice locale Stephanie Pan et de son Ensemble Klang, ndr). »

« C’est une force pour nous, mais c’est aussi une faiblesse, car on se retrouve parfois à faire des propositions artistiques qui seront jouées devant cent personnes seulement. C’est pour ça qu’on mélange les plateaux sur le festival, pour donner à des artistes moins connus l’opportunité de jouer avec des gens qui attirent beaucoup de monde. On aime ce côté risqué, avec cette petite part d’inconnu. »

 

Brassage et parcours musical

La prise de risque, Rewire connaît, en effet. Musiques électroniques, jazz, hip-hop, avant-garde, tout est connecté dans une programmation qui s’intéresse aussi aux expérimentations technologiques du live AV, et à celles plus intimistes et lo-fi du sound art, en particulier dans le parcours d’installations Proximity Music, qui raccorde différents lieux insolites (jardin caché, églises désaffectées), avec là encore une part essentielle de jeunes créateurs néerlandais.

Dans sa performance Second Breath, Myra-Ida van der Veen invite ainsi à un rituel au cœur de l’obscurité où l’on observe, au gré de lumières elliptiques, des personnages mystérieux déambulant et soufflant dans de curieux ballons. Autre exemple d’installation créée par un artiste local, le dispositif extérieur LongStringInstallation de Pelle Schilling, qui propose à l’auditeur de s’allonger sur une structure en bois et de passer la tête dans une sorte de coffre d’écoute pour entendre les vibrations de cordes de piano accrochées à des branches d’arbres et remuées par le vent.

Si ce principe de brassage artistique n’est pas nouveau, on sent bien chez Rewire qu’il fait partie d’un ADN se rattachant plus profondément à la culture locale.

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Highlights / © Alex Heuvink

« Ce mélange et cette accessibilité artistique sont à mettre en rapport avec la manière dont les gens ont l’habitude de consommer la musique aux Pays-Bas, où l’on peut passer facilement d’un concert jazz à un set électronique ou rock », précise Bas Pauw du très actif Performing Arts Fund NL, une structure nationale d’aide à la création dans le spectacle vivant. « Ici, les gens aiment s’immerger dans une grande variété de concerts pendant trois ou quatre jours, principalement portés par l’envie de découvrir des choses nouvelles. »

 

Des artistes néerlandais en résidence

Pas étonnant dès lors si les artistes néerlandais sont particulièrement ciblés par le festival, dans une démarche d’accompagnement sur la durée qui fait partie de l’ambitieuse politique artistique de la marque Rewire. La structure dispose par ailleurs de son propre label, digital only, sur lequel quelques pointures ont déjà figuré, comme Nicolas Jaar pour deux albums en collaboration autour de ses performances live de 2019.

« Outre la programmation du festival, Rewire accompagne aussi de jeunes artistes néerlandais émergents, comme No Plexus (duo féminin queer pop et électronica dont le très beau set visuel aux articulations de lasers et de miroirs a été conçu avec le stage designer Emmanuel Biard, artificier des live AV d’Evian Christ de Warp par exemple, ndr), explique Bronne Keesmaat.

« On les prend en résidence sur un cycle de deux ans, deux ans et demi. On les aide à développer leur projet, sur le plan musical, dans leur approche de la composition, mais aussi du live. Nous avons la chance d’avoir de bonnes infrastructures aux Pays-Bas, donc il y a déjà une base solide pour mener des projets concrets. Tout cela participe de notre développement, en particulier vers l’international. » Rewire commence d’ailleurs à délocaliser son savoir-faire, un peu à la manière de Mutek ou Sónar, mais à une échelle plus réduite.

Et la France est dans le viseur avec en particulier un partenariat en septembre prochain avec le festival Musica de Strasbourg. Cette collaboration sera entreprise dans le cadre de Nord Sonore, un projet visant à promouvoir la scène musicale néerlandaise en France, et financé par le Performing Arts Fund NL.

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Atelier Impopulaire / © Pieter Kers

La douce glossolalie folk électronique de Tara Pasveer

L’édition 2024 de Rewire est naturellement l’occasion de découvrir quelques-uns de ces projets frémissant aux frontières de l’électronica/jazz (ROLROLROL), d’une hyperpop dancefloor (Carmen Jaci), de l’ambient (Concepción Huerta, artiste mexicaine basée à La Haye), de l’expérimentation acoustique minimaliste (MAZE Ensemble) et d’une techno post-90s en mode audiovisuel (Oceanic feat. Tharim Cornelisse). Mais c’est peut-être la performance sensorielle et délicate de la jeune Tara Pasveer dans la très intimiste salle du GR8 qui s’est révélée la plus touchante et magnétique.

Dans le sillage de son récent premier EP, Og Imtel, la jeune musicienne de La Haye façonne un univers musical étrange et presque chamanique, mélange de candeur vocale dispensée en une multitude d’effets samplés (avec aussi bruits de bouche et claquements de doigts !) et d’instrumentations folk organiques (flûte, banjo en référence au travail de Kate Stables dans This Is The Kit), aux allures d’haïkus sonores. Son set-up live décline parfaitement cette dimension poétique et décalée, puisqu’elle joue assise à genoux à même le sol, au plus près de ses instruments, dans une robe aux humeurs vaguement orientales évoquant discrètement les tenues flottantes que pouvait porter Björk – une autre de ses idoles – à une certaine période.

Une prestation qui donne un bel aperçu de la judicieuse exposition dont bénéficie la scène expérimentale néerlandaise avec Rewire.

Myra Ida Van der Veen / © Pieter Kers

 

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