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© pochettes d'albums : Debbie Jacobs- "Don’t You Want My Love" / David Bowie - "Golden Yeras" / Charli XCX - "SuperLove"
2 avril 2025

Disco et le ‘double handclap’, haut les mains !

par Tsugi

Élément indispensable du son disco, le double handclap est un point d’exclamation, un trébuchement rythmique imparable sans lequel le disco ne serait pas tout à fait le disco. Une percussion qui a ensuite fait son chemin dans toutes les musiques populaires.

 

Article d’Eric Delhaye à retrouver dans le mag 177 de Tsugi : « Comment le Disco a percuté le monde »

 

Au début du film Barbie de Greta Gerwig (2023), Margot Robbie ne se pose pas encore des questions existentielles. La fête bat son plein dans sa maison rose bonbon. Ken et les autres Barbie se trémoussent au son de « Dance The Night » de Dua Lipa. La chorégraphie, aujourd’hui déclinée à l’infini sur TikTok, est ponctuée par des claquements de mains. Clap clap!

 

C’est le fameux « double handclap », un trébuchement rythmique imparable, devenu emblématique du disco à la faveur d’une tripotée de tubes entre 1976 et 1982 : « Car Wash » de Rose Royce, « Fairy Tale High » de Donna Summer, « Rasputin » de Boney M., « Don’t You Want My Love » de Debbie Jacobs, « Rapper’s Reprise » de Sugarhill Gang, « Rap-O Clap-O » de Joe Bataan, « Do You Wanna Funk? » de Sylvester et Patrick Cowley, « It’s Raining Men » de The Weather Girls… Galvanisés par le dancefloor, nous avons tous un jour « doubleclappé », voire « tripleclappé » sur « Let’s All Chant » de Michael Zager Band. Clap clap clap!

 

Double handclap, accent tonique

Le quotidien britannique The Guardian s’est fendu d’un article de référence sur le sujet en 2023. Il attribue à « Forget Me Nots » (1982) de Patrice Rushen, plus tard repris par Will Smith sous le titre de « Men In Black » (1997), la palme du ‘classic double clap track’. La chanteuse, pianiste et autrice-compositrice remonte l’histoire jusqu’au gospel, en expliquant que les claquements « font partie de l’héritage et de l’histoire de la dance music américaine » et que « tout cela nous ramène à l’Afrique ». Dans les musiques traditionnelles du monde entier, les mains sont souvent le premier instrument de percussion susceptible de rythmer les rituels festifs et les cérémonies de transe.

 

Dans les églises afro-américaines, les fidèles sont incités à taper des mains pour soutenir la chorale. C’est le « call and response », une invitation à partir de laquelle chacun improvise selon un savoir empirique, éventuellement en scindant le temps pour créer une syncope – le « double handclap ». Le gospel ayant irrigué les musiques populaires américaines, en partant du jazz et du rhythm’n’blues, on ne s’étonnera pas que la soul de Motown (par exemple chez les Supremes) soit coutumière des claquements, tandis qu’un clap-clap propulse l’un des premiers hits du rock’n’roll, « Summertime Blues » d’Eddie Cochran (1958).

 

Longtemps avant Dua Lipa, qui avait déjà fait le coup sur « Levitating » en 2020. « Taper dans les mains, c’est un geste naturel. Mais dans le cas du disco, c’est important de le relier à ses origines africaines et à la culture afro-américaine », souligne aussi Dimitri From Paris, pourfendeur du disco « white washé ».

 

À lire sur Tsugi.fr : Tsugi Podcast 465 x Glitterbox : Dimitri From Paris

 

Spécialiste du label new-yorkais Salsoul et du Philly Sound, producteur pionnier de la french touch, le dandy a notamment signé un edit indispensable de « Don’t You Want My Love » de Debbie Jacobs, sur lequel il se souvient avoir « rajouté » des « clap clap », ainsi que de « Hurt So Bad » de Philly Devotions, splendeur early-disco de 1976 qu’il qualifie de « summum du double clap longtemps avant Patrice Rushen ».

 

Dimitri se souvient d’avoir tapé des mains dans les studios analogiques : « On prenait deux ou trois personnes qui passaient par là – musiciens, choristes, producteurs, copains… Par exemple, on entend le batteur, le clavier et moi sur le remix de “Talkin’ All That Jazz” de Stetsasonic. Il fallait donc “clapper” ensemble durant les trois à huit minutes du morceau.

On faisait parfois deux prises, sur deux pistes séparées, pour créer l’effet d’être plus nombreux et pour la stéréo. C’était assez ennuyeux et la tentation d’ajouter des doubles claps venait naturellement. Ça s’est toujours fait comme ça. Et quand c’était vraiment la mode, François K, qui a beaucoup fréquenté les studios new-yorkais pendant les années disco, m’a raconté qu’ils bricolaient un instrument avec deux planches tenues par une charnière, pour épaissir la texture du son. »

 

Quand il mixe, Dimitri From Paris se surprend parfois à taper un « clap clap », démonstration de son imprégnation dans le vocabulaire disco. « Les musiques de danse actuelles sont linéaires, déplore-t-il. Elles manquent d’accents. Le double clap fonctionne précisément comme un accent, ou une ponctuation. La ponctuation, c’est important, elle donne du style et du sens à l’écriture. J’ai entendu Patrick Adams (producteur pour les labels Salsoul et Prelude notamment, ndr) dire dans une interview, au sujet de la cymbale sur le premier temps de la mesure : « Quand vous commencez une phrase, vous mettez une majuscule. La cymbale est la majuscule de la phrase musicale. » Auquel cas, le double clap est le point d’exclamation. »

 

Un lien euphorique

Né en 1954 dans le Bronx, John Morales a façonné le disco avec d’autres producteurs comme Tom Moulton ou Patrick Cowley, en signant des centaines d’edits pour Jocelyn Brown, Thelma Houston ou les Rolling Stones, certains longs de 15 ou 20 minutes dans le but de consumer les dancefloors, notamment sous l’étiquette M&M avec son complice Sergio Munzibai.

Une carrière évidemment ponctuée de « double handclaps » : « À l’époque, je m’en servais principalement dans les rotations menant vers de nouvelles directions, comme pour anticiper ce qui allait se produire, ou parfois dans les sections de « breakdown » pour créer de l’excitation », explique-t-il dans un mail sans doute écrit quelque part entre le Ministry Of Sound de Londres et le d’Ibiza où il continue de mixer disco-house. « En fonction de son placement dans le morceau, il produit plus ou moins d’euphorie, poursuit-il. Je continue de l’utiliser, comme une technique de production, pour relier les sections entre elles. »

 

Des aînés comme John Morales ou Danny Krivit sont des mentors pour le producteur et DJ parisien Young Pulse.

Lors de ses résidences « Discovery » au Djoon, quand il joue Debbie Jacobs ou « Little L » de Jamiroquai remixé par Dave Lee (Joey Negro) en 2023, il constate l’impact intact du double clap: « Depuis le gospel, il a gardé sa fonction collective et participative. Il est un élément clé de l’écoute et de la danse. Tu retiens le premier double clap, puis tu attends le suivant, tu te tournes vers un ami ou un inconnu en tapant des mains, tu deviens le musicien… C’est un moment de communion. »

 

À lire sur Tsugi.fr : ‘Whoever Said It’: vie, mort et grand retour d’un track disco

 

Son collectif Funky French League a replacé les danseurs au centre du jeu: « Ils partent à gauche, à droite, et… clap clap! »

Même s’il a pu sampler Patrice Rushen pour un edit, Young Pulse préfère enregistrer ses propres claps, « à plusieurs devant le micro, pour un côté plus fat et pour la dimension collective. » Sans en abuser : « Je l’utilise de moins en moins. Le double clap, c’est efficace, mais ça peut vite devenir pompeux et cliché. »

 

Le cliché s’est incarné dans le funk (« Hot Line » de The Silvers, « Hold Out » de Midnight Star) autant que dans les tubes de Bowie (« Golden Years », 1975), Daryl Hall&John Oates (« Private Eyes », 1981), Wham! (« Club Tropicana », 1983) et bien sûr Queen (« Radio Ga Ga », 1984), grâce à qui un record de 72000 personnes ont doubleclappé lors du Live Aid de Wembley. Une touche « handclap » est même apparue sur la boîte à rythmes TR-808 qui, commercialisée par Roland de 1980 à 1983, a inondé les productions de la décennie (on entend des « claps » digitaux sur « Sexual Healing » de Marvin Gaye autant que sur « Clear » de Cybotron).

 

Le disco est partout et son emblématique « clap clap » s’est immiscé dans le rap (« Got Your Money » d’Ol’ Dirty Bastard), la house (« The Bomb » de The Bucketheads, « Together » de Kaytranada) et l’hyperpop (« SuperLove » de Charli XCX). Comme le dit Dimitri From Paris : « C’est tellement gravé dans la mémoire musicale de tout le monde, public comme artistes, qu’on ne sait même plus pourquoi on l’emploie. »

 

À lire sur Tsugi.fr : Le Boom du disco indien

 

Par Eric Delhaye

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