À Beauregard, John nous a fait les yeux doux | LIVE REPORT

par | 8 07 2025 | news, festival, live report

Du 2 au 6 juillet, les yeux étaient rivés vers l’Ouest, vers Hérouville-Saint-Clair où se déroulait la dix-septième édition du festival Beauregard. Programmation éclectique, public de tous âges et sourires plein les lèvres : il ne nous en fallait pas plus pour y jeter un œil.

La file de gens ne semble plus vouloir s’arrêter à l’entrée de l’arch, où est écrit en gros : “Festival Beauregard”. Un premier signe qui donne envie de croire à ce qu’on ne cesse de nous répéter depuis notre arrivée à Caen : “Beauregard, c’est vraiment mon festival de cœur”. Si le cœur y est, on plonge alors entre ses stands, son “Studio” électronique, ses festivalier·es et ses deux grandes scènes.

En face du fameux château d’Hérouville-Saint-Clair, les équipes du festival ont planté leur QG. On s’agite, on lance des indications dans un talkie-walkie et on accueille les artistes. Dans cette joyeuse organisation, les petits plats sont mis dans les grands pour tenir la promesse de Beauregard à ses 156 000 visiteurs en cinq jours : profiter de ce rendez-vous incontournable de l’été en Normandie. Et il y a de la concurrence en 2025, puisque la ville de Caen célébrait cette année son millénaire — rien que ça.

Trêve de bavardages, on décide de prendre exemple sur Jean-Louis Aubert croisé plus tôt : on va flâner au premier concert de ce deuxième jour de festival. Dans l’air semblent encore flotter les hymnes de Black Eyed Peas, passé le soir d’avant. “I got a feeling ouh ouh”. Pour le Before du festival, on retrouvait aussi sur scène Lucky Love, devenu star depuis les Jeux de Paris, et DJ Snake. “Durant son set il a rendu hommage à Valentin, un jeune qui a tragiquement disparu l’année dernière”, confie Oumeyma de Billboard France. Les célébrations en sa mémoire se sont d’ailleurs poursuivies sur toutes les scènes de Beauregard.

Pour notre premier concert sur la scène John, on comprend d’autant plus l’amour voué à ce festival dans la région — et même ailleurs. Durant cinq jours, Beauregard arrive à garder un équilibre. Sur une programmation qui maîtrise le grand écart musical, on retrouve des festivaliers de tous âges. Des espaces en hauteur permettent aux personnes à mobilité réduite de pouvoir profiter normalement des concerts. Cerise sur le gâteau ? Le festival a une magie dont on n’a toujours pas compris les astuces : réussir à rendre vivable et à taille humaine un festival noir de monde — il n’y avait qu’à regarder les vidéos prises en drone.

Temps d’attente pour les toilettes femmes : 5 min ; pour un verre : 2 min ; et pour une belle rencontre : quelques secondes suffisent. Cet exploit ne serait pas possible sans l’armée de bénévoles qui se retrouvent chaque année. “Je suis dans l’équipe des runs (coursiers) depuis 2018 maintenant. L’ambiance est super, on se connaît tous. On se voit avant Beauregard et après pour le debrief — si tu veux passer”, me propose Mathilde, un sourire recouvrant son visage.

On est déjà atteint par le syndrome de Beauregard : on aimerait en parler pendant des heures.

De SDM à Jean-Louis Aubert, à Beauregard, tout est possible

Place au concert parce que Guesney n’attend pas. Les premiers riffs arrivent à nos oreilles comme les premiers visiteurs au crash barrières. Le ton est donné par ce rockeur pop issu du tremplin de Beauregard et sa John’s Session. Last Train prend le relais sur la scène d’en face. Ce rock venu d’Alsace a su ravir plus d’un cœur. Devant les scènes, on crie et on s’émerveille. Dans l’oreillette, on nous confie une anecdote entre “Golden Songs” et “One By One” : Last Train aurait fait une première partie de Johnny à Bercy, sans faire de promo. Pas de problème de communication, mais l’envie de se confronter à un public bien loin du leur. Chapeau.

Alors que Jean-Noël Scherrer, Julien Peultier, Timothée Gerard et Antoine Baschung retournent en loge pour se préparer au concert de Jean-Louis Aubert et de Girl In Red — en bons boss de label qu’ils sont — on se faufile dans une foule ravie qui se dirige tranquillement vers les premiers kicks lâchés par SDM. Dur de ne pas tomber sous le charme de cet artiste généreux. Un “Arribaaa” et des remerciements nous transportent vers les classiques de Jean-Louis Aubert, de l’autre côté du festival. On entend un peu de Téléphone, puis “Juste une illusion” et on s’assure que ça, c’est vraiment lui.

Alors que Girl In Red fend la foule avec grâce et désinvolture sur une musique enragée, Jorja Smith propose aux festivaliers de se reconnecter à leur âme. Douce soul, chers tubes de sa discographie. Tandis que la personne à côté de nous hurle “Jorja, marie-moi”, Jorja pimente la tendresse de ses premiers tracks à succès avec le tout nouveau “The Way I Love You”. Dans une boîte, comme dans une vitrine, Air a installé son studio tout de blanc vêtu. L’atmosphère est légère, comme les corps dans le public qui ondulent aux rythmes du mythique Moon Safari. The Avener clôture la soirée avec la parfaite panoplie du DJ d’Ibiza : remixes et EDM.

Beauregard et communion

Vendredi à 17h, Malik Djoudi nous assure en un concert d’une heure que les festivités du week-end, elles, ont bien commencé. Sur scène l’osmose est née avec le public malgré une blessure au dos du Suisse, après un match de ping-pong. Balle à Zamdane qui vient ouvrir la scène rap avant de laisser la place aux performances applaudies de Blonde Redhead et The Dandy Warhols.

En attendant, on rencontre Biga*Ranx pour prendre le pouls du concert qu’il a préparé quelques jours après la sortie d’un nouveau disque : Rainshine.

“Avec la sortie du nouvel album, je suis en pleine transition sur les concerts. Je joue évidemment les morceaux qui m’ont fait connaître et j’essaye d’incorporer petit à petit mes nouveaux sons. Pour le festival, on a calibré avec la réaction des gens sur d’autres dates. On va retrouver aussi bien ‘Danse’ que ‘Liquid Sunshine’. Sur cette scène, ce soir, j’attends que ça se passe bien, d’avoir une bonne interaction avec les gens. J’espère que ça ira, je croise les doigts.”

“En 2018, j’avais monté un festival ‘Liquid Dub’ pour ramener tous les potes. C’est dur de monter un festival, mais c’était une super réussite. Tout le monde était trop content, l’énergie était dingue. Maintenant, quand je vais sur un festival, c’est bon, je connais toutes les techniques pour passer dans les loges, aux caterings, aux points sécu (rires). Non mais on voit tout l’envers du décor et on se rend compte à quel point c’est prodigieux. Merci encore à toutes les équipes.”

Les tambours retentissent. Difficile de résister à Lamomali. Ce collectif d’artistes monté en 2017 produit un concert digne d’une déflagration. On ne s’y brûle pas, on se laisse happer par la chaleur qui se dégage de la scène. Matthieu Chedid, Fatoumata Diawara, Sidiki Diabaté (entre autres) offrent sans aucun doute le show le plus fédérateur du festival, le tout aux rythmes du « Bal de Bamako ». Pendant qu’ils se retirent de scène en passant devant les crash barrières, les subs du soundsystem de Biga*Ranx résonnent dans nos cages thoraciques. Monté d’une perruque de feuilles de palmier, une nouvelle connexion tout à fait spéciale se fait entre le public et la scène. Dans une ambiance survoltée, un big up est fait à Naâman avec “Never Take”.

Dans les allées du festival, on court. Le concert de Damso va commencer. Pas n’importe lequel : sûrement l’un de ses derniers. Avec la sortie de BĒYĀH en mai, il annonçait aussi ses deux ultimes concerts en mai 2026. L’excitation monte. Des ombres apparaissent sur un échafaudage. Si la scénographie semble avoir un pas de côté par rapport aux paroles, le show ressemble à ceux américains. Gesaffelstein, un an après Justice, monte sur la scène de Beauregard, entouré d’un voile de fumée. Sa musique, elle, ne s’évapore pas. Les basses surgissent, rugissent et laissent sur leur passage une belle tripotée de danseur·euses en transe. Myd achève cette journée avec un live house d’une énergie communicative qui aura décidé plus d’un à poursuivre la soirée après l’heure du couvre-feu.

Émergence et installée sous l’oeil de John

Samedi c’est Exotica Lunatica, du programme des Inouïs, qui lance une journée sold out. Le ton retombe pour se faire calme sous la voix poignante d’Isaac Delusion. Sur scène, le groupe confie : “C’est notre première fois à Beauregard. J’ai l’impression que ça va être une sacrée aventure.” On lui a alors demandé ce qu’il a ressenti durant ce concert exploratoire :

“C’était hyper exaltant. On a joué tôt. Les gens sont venus directs et à fond. Ils sont restés et rapidement, on s’est retrouvés devant un tapis de gens. C’était assez excitant parce qu’on ne joue pas souvent en journée comme ça à 16h et finalement, c’était blindé. Tout le monde était très attentif et là pour la musique.”

“À l’origine, Isaac Delusion, c’est un groupe monté avec mon copain Jules au collège, mais c’est aussi la rencontre de deux univers musicaux différents : lui écoutait du hip-hop, de la world, et moi, j’étais passionné de musique folk. La particularité de notre groupe vient de là. J’adore les festivals pour rencontrer d’autres artistes et découvrir d’autres sons. Il y a une sorte de communion autour de la musique, géniale. C’est un peu dans la mentalité Isaac Delusion (rires).”

Isaac Delusion part se préparer à écouter Bloc Party — des fans depuis toujours. En même temps, sur le festival, d’autres choses se mijotent. Aux toilettes, les rumeurs fusent à tout va : “On aurait demandé des places pour la famille d’Orelsan”, “Non mais tu penses vraiment qu’il va venir ?” La question de l’après-midi s’est cristallisée autour de : “Est-ce qu’on va retrouver Gringe ou les Casseurs Flowteurs ?” Verdict ? Toute une bande de potes monte sur scène. De quoi rendre le public caennais en liesse. Cette soirée est consacrée aux légendes. Sur la scène de Beauregard, on croise Bloc Party, mais aussi The Black Keys. Les artistes qui font sensation ne sont pas en reste pour ce samedi où se retrouvent sur la programmation aussi bien Gazo que The Last Dinner Party.

Le public semble encore plus dense, d’autant plus lorsqu’on se rapproche du Studio où des DJs et collectifs viennent brancher leurs clés pour passer house, techno et trance. La claque de musique électronique est très certainement venue de KOMPROMAT. Rebeka Warrior est punk, décomplexée, bête de scène. Vitalic est stoïque. Une alliance qui fait des étincelles. Le début de pluie n’aura pas eu raison de ce public qui ne vivait plus qu’aux rythmes des caissons de basses. 2ManyDJs ferme la journée aux alentours de 3h avec un live minutieux. Le duo a rendu hommage aux samples de la house et aux artistes de leur label Soulwax en passant sur l’écran derrière lui, les albums des musiques qu’ils passaient. Une délicate attention aux Shazameurs fous.

2manydjs à Beauregard © Siam Catrain
2manydjs à Beauregard © Siam Catrain

Le moment est alors à l’émotion. Le dimanche, notre jour de départ ne nous a pas permis de tendre une oreille au concert de Servo, The Limiñanas, Wet Leg, Fontaines D.C.. On se console en se rappelant des 1001 souvenirs qu’a créés cette édition 2025. Et on se promet de se retrouver l’an prochain.

Meilleur moment : Le DJ set fiévreux de KOMPROMAT, la grâce de Jorja Smith et le boule d’énergie qu’est Biga *Ranx sur scène.

Pire moment : Le défaut d’alimentation électrique sur le tronçon Normandie-Paris. On aurait dû rester un jour de plus au festival.