Comment des batteurs africains ont changé la pop britannique

par | 29 07 2025 | news

En 1980, Adam & the Ants et Bow Wow Wow explosent les charts britanniques avec un son nouveau : le Burundi Beat. Un style relevant de l’appropriation culturelle.

En 1967, deux ethnomusicologues français, Michel Vuylsteke and Charles Duvelle, se rendent au Burundi, un petit pays d’Afrique de l’Est. Le but ? Enregistrer la musique traditionnelle du pays, dans une optique d’archivage. Ils ne se doutaient pas que leur travail allait influencer tout un pan de la pop britannique.

Leurs enregistrements sortent en 1968, dans un album sobrement intitulé Musique du Burundi. À l’intérieur, on peut notamment y entendre le titre « Tambours Ingoma avec chœur d’hommes« , un morceau joué par 25 batteurs issus d’une commune appelée Bukirasazi.

Trois ans après, en 1971, Michel Bernholc — un musicien français qui fut notamment arrangeur sur Starmania — enregistre une partie de piano et de guitare par-dessus le morceau, et sort le résultat sous le titre “Burundi Black”, avec le pseudonyme Burundi Steiphenson Black. L’arrangement profite d’un relatif succès, suffisamment pour atteindre le top 40 au Royaume-Uni, mais rien de plus.

Le « Burundi Beat »

Ce n’est que huit ans plus tard que le morceau refait surface en Angleterre. On est en 1979, et le punk est alors en pleine décomposition. Les Sex Pistols viennent de se séparer de leur manager, Malcolm McLaren, et ce dernier cherche un nouveau groupe pour conquérir l’industrie musicale.

C’est là que vient à lui un certain Adam Ant, chanteur d’un groupe à l’imagerie BDSM volontairement choquante, Adam & the Ants. Ils connaissent un modeste succès à l’intérieur des sphères punks — mais Adam Ant veut plus, il veut être une véritable star. En bon fan des Sex Pistols, il va donc voir McLaren et lui demande de manager son groupe.

En échange de mille pounds, le manager accepte de refonder l’identité du groupe. Pour cela, il leur fournit une cassette composée de 17 morceaux très divers, pour les inspirer et façonner un nouveau son. La plupart des titres ne collent pas vraiment avec le groupe, jusqu’à qu’ils arrivent à la dernière piste de la cassette : « Burundi Black« , le fameux titre de Michel Bernholc. Le rythme les inspire particulièrement, et quelque chose se passe. Leigh Gorman, le bassiste et David Barbarossa, le batteur, développent un son frais, distinct, basé sur le martèlement des toms de la batterie et le slap de la basse.

Avec l’appui de McLaren, Adam & the Ants construit alors son identité autour de ce désormais nommé « Burundi Beat ». Mais pas pour très longtemps.

Malcolm McLaren était un manager véreux. C’est un fait aujourd’hui bien connu de l’histoire de la musique, et c’est d’ailleurs à cause de lui que les Sex Pistols se sont séparés. Mais au moment où Adam Ant est allé voir McLaren, ça se savait beaucoup moins.

À peine le groupe solidifié autour de sa nouvelle identité, le manageur organise une véritable mutinerie. Il convint les musiciens d’abandonner Adam Ant pour faire bande à part et se débarrasser de leur chanteur. Ils partent donc fonder un nouveau groupe : Bow Wow Wow.

La course pour le Top 1

Adam Ant se retrouve sans musicien, et Bow Wow Wow n’a pas encore de chanteur. Adam Ant n’a cependant pas oublié ses rêves de grandeur : le meilleur moyen de se venger de McLaren et de ses anciens camarades, c’est d’avoir plus de succès qu’eux. Il recrute donc deux batteurs, pour encore plus de rythme, et un nouveau guitariste, Marco Perroni. L’alchimie entre les deux est immédiate, et ils se mettent à écrire morceaux sur morceaux.

En parallèle, Bow Wow Wow recrute sa nouvelle chanteuse : Annabella Lwin, une adolescente de 14 ans découverte dans une blanchisserie chantant sur du Stevie Wonder qui passait à la radio. Une stratégie évidemment signé Malcolm McLaren, puisqu’il entendait la sexualiser pour attirer plus de public.

Chaque groupe à nouveau complet, chacun veut être le premier à publier un single avec le « Burundi Beat ». En juillet 1980, Bow Wow Wow sort donc “C·30 C·60 C·90 Go!”, un morceau appelant au piratage en copiant des sons sur cassette. Adam & the Ants arrive juste après, avec “Kings of the Wild Frontier”.

Bow Wow Wow gagne donc la course, mais c’est Adam & the Ants qui gagne la guerre : leur deuxième single, « Dog Eat Dog » se propulse dans le Top 10. Quelques mois plus tard, leur premier album, Kings of the Wild Frontier sort et arrive le Top 1.

À partir de là, chaque groupe se diversifie à partir de ses bases « Burundi Beat ». Adam Ant partira en carrière solo avec Marco Perroni, tandis que les Bow Wow Wow intégreront des influences brésiliennes, nigériennes et des rythmes latins avant de se séparer de McLaren (qui lui partira à New York pour se lancer dans le hip-hop, mais c’est un autre histoire…).

De l’appropriation culturelle ?

Revenons-en au fameux « Burundi Beat ». Les batteurs présents sur Musique du Burundi ne touchèrent jamais un centime de leur travail. Michel Bernholc, qui les avait samplé sur « Burundi Black« , s’en est attribué les droits d’auteurs, et n’a jamais cherché à retrouver les musiciens originaux ou à les dédommager.

On pourrait se dire que c’est une histoire d’époque, qu’ils n’étaient pas aussi vigilants sur l’appropriation culturelle que l’on est aujourd’hui. Pourtant, le 25 novembre 1981, dans sa section dédiée à la pop, le New York Times publiait un article intitulé « La dernière British Invasion : « Le nouveau tribalisme »« , revenant sur le succès d’Adam & the Ants et Bow Wow Wow. Et il pose les termes : les deux groupes ont bâti leur identité sonore sur un rythme pour lequel des gens n’ont jamais été payés.

Le « Burundi Beat » est le fruit d’un vol culturel. Il est également à noter qu’Adam and the Ants et Bow Wow Wow utilisèrent tous deux des costumes et des symboles amérindiens, à la demande de McLaren, alors qu’aucun membre de ces groupes n’était d’origine amérindienne.

Les musiciens samplés dans « Burundi Black » ont tout de même obtenu reconnaissance grâce à la notoriété de leur musique — un des rares cas où des artistes spoliés ont réussi à bâtir une carrière sur leur musique propre.

Sous le nom Drummers of Burundi, les batteurs sont devenus un des groupes de musique africaine les plus populaires du Royaume-Uni, comptant plusieurs tournées à leur actif. Ils ont d’ailleurs joué au WOMAD en 1982, un célèbre festival de musique organisé par le musicien Peter Gabriel.

Ils apparaissent d’ailleurs sur « Zimbo », un single de Echo & The Bunnymen, un autre grand groupe de la new-wave britannique. La boucle est bouclée.