Un recueil de René Char donne le nom et le ton à un troisième album majestueux, entre tempête et recueillement, où la poésie se joint souvent à la rage. On le comprendra mieux en ayant connaissance des inspirations d’une chanteuse, autrice et compositrice brûlant d’une flamme passionnée.
Disques
Sampha – Lahai (2023)
Le genre d’album que je n’aurais pas pu citer si on avait fait la même interview il y a cinq ans. La soul, le R&B, ça ne m’intéressait pas une seconde. Mais les goûts évoluent et je trouve la production de ce disque très belle. C’est vraiment du R&B du futur. Il possède quelque chose d’aérien et de viscéral, avec une espèce de spiritualité feutrée et en même temps plein de grâce et de précision. C’est très moderne et je suis tombée dessus par un hasard algorithmique.
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Robert Wyatt – Rock Bottom (1974)
Un album qui m’a beaucoup marquée. Guido d’Acid Arab me l’a fait découvrir il y a quinze ans. Un chef-d’œuvre hors du temps, composé, pour les non-initiés, depuis un hôpital après l’accident de Robert Wyatt, batteur de Soft Machine. Sa voix flotte vraiment entre différents univers. C’est assez fragile, mélancolique, inclassable, avant-gardiste. Ça m’a beaucoup inspirée. C’est un disque que j’ai souvent fait découvrir à mon tour.
Les Filles de Illighadad – Eghass Malan (2017)
C’est un groupe de femmes touaregs du Niger. Elles mêlent guitare électrique et chanson traditionnelle. C’est vraiment une musique de transe. Le groove est hyper hypnotique et c’est absolument merveilleux. Pour mon album, j’ai utilisé mon premier sample tiré de ce groupe dans le morceau « Touareg ».
Tirzah – trip9love…??? (2023)
Pas forcément l’album qui m’a le plus inspirée au monde, mais c’est une musique qui est totalement déconstruite. Elle est presque inachevée, en fait. Par rapport à « Poèmes pulvérisés », qui est le titre de mon album, mais qui marque aussi un cap esthétique, je trouvais très intéressante cette espèce d’envoûtement chaotique créée par Tirzah et Mica Levi à la production. C’est un monde très brut et très personnel aussi.
Films
Stephen Daldry – The Hours (2002)

Un film sur Virginia Woolf qui m’a beaucoup marquée et a été hyper important quand j’avais 16 ans. C’est un peu « trois femmes, trois époques » avec une même mélancolie. Il parle du temps qui passe, du silence, du refus. La musique de Philip Glass tisse une émotion continue, mais c’est presque insoutenable. C’est la tension dramatique ultime. C’est vraiment un film de femmes. Honnêtement, c’est incroyable que ce sot un homme qui l’ait réalisé. Ça donne de l’espoir. Sur le plan esthétique, ça a fini de me convaincre sur ce que la musique peut apporter au cinéma.
Boris Lojkine – L’Histoire de Souleymane (2024)

C’est très puissant. J’ai beaucoup aimé l’intensité documentaire de l’histoire de ce Guinéen demandeur d’asile. Ce n’est jamais voyeur ou misérabiliste. C’est vraiment d’une délicatesse que je trouve très rare. La mise en scène épouse le souffle de la course de cet homme. Le final, qui se passe dans un bureau, est incroyable. Je me suis effondrée à la fin de ce film. C’est une œuvre très humaine, très politique, et qui, en même temps, rend grâce au personnage.
Mati Diop – Atlantique (2019)

Son premier long-métrage, je l’ai vu seulement l’an dernier. C’est un conte contemporain, entre fantôme et révolte. Il est très étonnant ce film. Mati Diop filme Dakar au Sénégal comme dans un rêve un peu fiévreux où la mer est omniprésente. Un thème qui m’obsède aussi. C’est à la croisée du réel et du mystique et c’est très engagé, mais d’une manière extrêmement sensorielle. C’est du cinéma moderne africain dans ce qu’il a de plus original. La musique de Fatima Al Qadiri participe grandement au succès du film.
Livres
Camille Readman Prud’homme – Quand je ne dis rien, je pense encore (2022)

Une poétesse québecoise. C’est de la poésie en prose accessible et d’une très grande justesse, que je recommande chaudement. C’est vraiment une écriture du doute, de l’intime. Il y a quelque chose entre le silence et l’ultra-présence. Les phrases sont comme des brèches où la pensée se dilate et prend feu. C’est incroyable. La comédienne Louise Chevillotte, qui lit le poème de René Char dans le premier morceau de mon album, va le mettre en scène en septembre à Paris. J’ai composé la musique de ce texte qu’elle m’a fait découvrir.
Fernando Pessoa – Le Livre de l’intranquillité (1982)

C’est un vertige littéraire très fort. C’est profondément existentiel avec quelque chose de fragmentaire parce qu’il y a beaucoup d’aphorismes. Un livre qui m’a beaucoup accompagnée et que j’ai découvert il y a une dizaine d’années par l’intermédiaire de Maud Geffray. Il traînait chez elle. Un jour, je l’ai pris et je ne me suis pas arrêtée. J’en ai même pleuré. C’est le livre qui m’a fait retourner à la poésie. Tu peux le lire en écoutant de la musique instrumentale.
Gorge Bataille – Fiévreuse plébéienne (2019)

Une poétesse française contemporaine dont le vrai nom est Élodie Petit. C’est une prose très enragée, très sensuelle. C’est aussi très queer, politique et très charnel. Une poésie du vivant. Dedans, il y a un texte qui s’appelle le « Manifeste de la langue bâtarde », que je trouve très puissant. Ces dernières années, il y a eu un grand renouveau de la poésie française que je trouve intéressant.
Son album
Léonie Pernet – Poèmes Pulvérisés (Infiné)
J’ai tenu pour ce disque à parfois garder une économie de moyens, à rester serrée dans les intentions, dans l’arrangement. Comme le montre le titre « Réparer le monde ». Mais il est un peu trompeur par rapport au contenu général de l’album qui contient aussi des morceaux très amples correspondant à cet aller-retour entre le « je » et le « nous ». C’est l’un des fils rouges du disque. Et pendant sa conception, je gardais aussi souvent en tête « poèmes pulvérisés ». Je me disais : maintenons ce cap dans la production, les arrangements, les structures. Beaucoup de morceaux n’ont pas de refrain, par exemple.
Je voulais quelque chose de contemporain, un son moderne, assez minimalistes. On trouve aussi beaucoup de piano. Un instrument dont je joue depuis toujours, mais que j’avais mis un peu de côté sur les albums précédents.
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Le nom Poèmes pulvérisés est venu en rentrant fin 2022 d’un gros voyage au Niger où j’ai rencontré une partie de ma famille. C’était un moment très fort. Et ce titre correspond à mon histoire personnelle, désormais éclatée sur plusieurs continents, mais ça rejoint aussi notre monde, également pulvérisé, avec la question de la guerre qui infuse beaucoup l’album.