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Fraicheur.
27 mai 2016

A-WA : trois soeurs dans le vent

par rédaction Tsugi

Tair, Liron & Tagel Haim aka A-WA présentent aujourd’hui leur premier album, Habib Galbi, précédé par un single du même nom qui a résonné partout les mois passés. Pour l’occasion, nous sommes allés rencontrer les trois soeurs qui nous ont parlé de leur enfance heureuse baignée de musique, de l’héritage de leurs grands-parents, d’un certain féminisme dans lequel elles se reconnaissent et de leur nouvelle vie à sillonner le ciel. 

Vous êtes originaires de Shararut, au Sud d’Israël. C’est quoi exactement le quotidien de trois soeurs qui grandissent dans un si petit village ? 

Shararut est un très bel endroit entouré de montagnes magnifiques avec des chameaux, des chèvres, des poulets, des ânes, des chevaux. On sortait toutes les trois pieds nus, on chantait dans le vent; on a eu une enfance magique. C’était une petite communauté – à peine plus de trente familles – et il n’y avait pas tant d’enfants alors nous avons pris l’habitude de jouer entre nous et avec nos deux petites soeurs et notre grand frère. Désormais, nous habitons à Israël mais nos parents y habitent toujours, notre grand-mère maternelle aussi. 

Votre amour pour la musique vient-il de vos parents ? 

Notre père est un musicien – il joue de la guitare et du bouzouki – et un vrai mélomane, il passait toujours de vieux vinyles des années 60/70 dans la maison : du rock progressif, de la musique traditionnelle israélienne, beaucoup de musique grecque, de la musique pop des années 80… et de la musique yéménite évidemment ! Cette dernière, nous l’avons surtout découverte grâce à nos grands-parents. Ils possédaient de vieilles cassettes sur lesquelles ils avaient enregistré des immigrants yéménites qui chantaient en arrivant en Israël. Nous adorions écouter ça. Au début des années 90, MTV est arrivée et cela nous a également beaucoup influencé; le hip-hop, la pop, nous nous sommes ouvertes à cette culture. 

D’où vous est venue l’envie de créer ce genre de musique, aux confins de la tradition et de la modernité ? 

Cela nous est venu naturellement, la musique yéménite a eu un gros impact sur nos vies, elle fait partie de nous. C’est un genre bien à part et cela nous rappelle d’où nos grands-parents sont originaires. A côté de cela, nous aimons le hip-hop, le reggae, la musique groovy, alors l’envie de mixer nos racines avec ces différents genres est arrivée rapidement. Nous avons trouvé la bonne façon de nous exprimer musicalement. Depuis notre enfance, nous connaissons des chansons de notre communauté grâce à des chanteurs originaires du Yemen qui perpétuent la tradition en chantant au cours de petites cérémonies destinées à la communauté. Notre grand-mère nous a également initié aux chants yéménites, elle nous en chantait certains comme « Habib Galbi ». Pour le reste, nous avons découverts de vieux enregistrements sur des cassettes; c’était un vrai trésor pour nous car ces morceaux n’avaient jamais été joués sur scène. A l’origine, ils n’avaient même jamais bénéficié d’enregistrements officiels avant que des juifs yéménites comme nos grands-parents arrivent en Israël (La majorité des juifs yéménites ont émigré en Israël en 1949 au cours de l’opération dite « Tapis Volant » NDLR) et les fassent enregistrer grâce au premier studio d’enregistrement du pays; c’était seulement des chansons qui se transmettaient de génération en génération. Evidemment, elles ont beaucoup changé depuis leur création : lorsque qu’une femme apprenait à une autre femme à chanter, elle ajoutait son propre style, etc. C’est un matériau très malléable, c’est pour cela que l’on s’est dit que nous aussi, nous pourrions les modifier, rajouter des passages, les rendre nôtres en quelque sorte. 

Ces chants yéménites étaient donc originellement une affaire de femmes ? 

Exactement. Les femmes au Yemen n’avaient pas le droit de lire, ni d’écrire. Elles ne pouvaient pas non plus aller à la synagogue, la religion était une affaire réservée aux hommes. Le seul moyen qu’il restait à ces femmes pour exprimer leurs émotions intimes étaient de le faire à travers ces chansons qu’elles chantaient uniquement entre elles. Du coup, toutes les chants le sont d’un point de vue féminin. Ce sont des histoires très fortes d’amour, de haine, d’espoir, de rêve et d’humanité. Dans « Habib Galbi » par exemple, la femme-narrateur dit : « Amour de mon coeur et de mes yeux, qui t’a donc retourné contre moi ? Je lui souhaite de manger sans appétit et sans goût ». Ces femmes étaient tellement braves, à travers leurs mots mis en musique, elles pouvaient exprimer tout ce qu’elles souhaitaient. Si l’une était malheureuse d’avoir été mariée de force à un homme qu’elle n’aimait pas, elle chantait à propos de cela. Ou si un autre femme se sentait remplie de joie, de bonheur et d’amour, elle en parlait également à travers sa musique, cela pouvait être fougueux voire même coquin ! Ce sont des morceaux très poétiques, avec un vrai sens de l’humour, des expressions, des métaphores, c’est très imagé. Une autre chanson dit : « Je voudrais que tu sois une rose pour pouvoir couper tes épines et que tu ne me fasses plus de mal ». Dans les assemblées que tenaient les femmes, elles s’exprimaient également avec des gestes, des danses, de manière très théâtrale. Les autres femmes pouvaient répondre à la chanteuse, répéter après elle ou bien encore ajouter des paroles à la chanson pour exprimer ce qu’elles ressentaient par rapport au récit du morceau. 

Est-ce que vous pensez porter un message aux femmes du monde ? Vous vous définissez comme féministes ? 

Oui évidemment, mais dans le bon sens du terme! Nous ne détestons pas les hommes, nous respectons les hommes bons, et nous n’avons pas envie de bruler nos soutien-gorges ! Mais c’est important pour nous de valoriser les femmes et de porter le message suivant : Soyez à l’aise avec ce que vous êtes et célébrez votre féminité ! Nous nous inspirons de femmes fortes, comme Beyoncé, sa soeur Solange, Jay-Lo, Adele. Nous aimons ces femmes car elles produisent leur propre musique, en suivant leur envie, en utilisant leurs propres mots, en se forgeant un style bien à elles. Ce n’est pas simple d’être une femme dans ce monde, nous devons donner naissance tout en nous occupant de notre carrière. Quand vous voyez trois femmes sur scène, cela a forcément un gros impact. Souvent, des femmes viennent nous voir après nos concerts et nous disent : « Je me suis sentie une femme très forte ce soir », c’est un message fort pour nous. Dans certains endroits du monde, aujourd’hui encore, certaines femmes ne sont pas libres. Elles ne peuvent pas s’habiller comme elles veulent, elles doivent se couvrir. A notre dernier concert, une jeune femme près de la scène bougeait sur la musique, elle la ressentait complètement; une sorte de transe. Elle se mouvait au son du violon, des voix, sur chaque note. Nous voulons que les gens expérimentent nos concerts de manière spirituelle. Et même s’ils ne comprennent pas les paroles, ils ressentent les voix, les émotions dont nous parlons. Parfois, nous expliquons certaines chansons mais nous la plupart du temps, nous préférons garder le mystère pour que les auditeurs y trouvent ce qu’ils veulent. 

Vous avez utilisé des instruments traditionnels sur ce premier album ? 

Si on veut oui, mais nous ne les utilisons pas de manière traditionnelle. Au Yemen, les Juifs jouaient sur des batteries improvisées et assez primitives – des assiettes en argent, des canettes en métal, etc. Sur l’album, nous n’avons pas utilisé les percussions de cette façon. Nos voix sont tribales, nous utilisons un dialecte exact mais la production est des plus modernes. C’est un peu comme un mélange de musique folk et afro-américaine, tout est basé sur le rythme. A cela, nous avons mixé des inspirations venant de la musique caribéenne, du reggae, du hip-hop bien sur, du rock psychédélique – qui se ressent dans nos claviers. Le tout donne une atmosphère très onirique. 

Vous semblez avoir également de bonnes connaissances en musique électronique. Vous en écoutez beaucoup ?

Nous aimons des groupes indé comme Tame Impala ou Unknown Mortal Orchestra. Aussi, nous avons rencontré Débruit aux Nuits Sonores le mois dernier, et nous adorons ce qu’il fait. 

« Habib Galbi » a rencontré un énorme succès en Europe. A-t’il été reçu de la même manière en Israël ? 

Oui, il passe à la radio et s’est retrouvé en tête des charts. Jamais nous n’aurions pu espérer cela. Et puis, nous avons le soutien infaillible de notre famille. Nos parents sont nos premiers fans, ils nous supportent à 100%, depuis le début. 

Et vous alors ? Qu’est-ce qui a changé dans vos vies depuis le carton du single ? 

Nous sommes toujours les mêmes dans nos coeurs, de simples jeunes filles du désert. Ce qui change, c’est que nous voyageons beaucoup, nous rencontrons un tas de personnes, nous découvrons des endroits magiques. Nous testons aussi de la nourriture délicieuse – vous avez de si bons fromages, du bon vin et nous adorons votre soupe à l’oignon ! – et nous nous frottons à de nouvelles cultures. « Habib Galbi » nous a donné le courage de créer de nouvelles choses et nous avons compris grâce à cela que nous avions le pouvoir de créer notre propre réalité. Notre père, lui-même, ne percevait pas combien notre rêve était grand. Nous lui avons dit « Papa, nous aimons cette musique, nous nous fichons de ce que penseront les gens qui n’aimeront pas. Nous voulons seulement chanter ce que notre coeur nous dit. » 

Votre prochain album sera-t’il aussi baigné de tradition yéménite ou prévoyez-vous de produire des morceaux plus modernes sur le fond ? 

Nous allons garder notre « son » que nous avons trouvé avec ce premier album mais nous allons l’emmener à un niveau supérieur en créant des morceaux originaux avec des éléments yéménites – toujours – mais en les combinant avec de la langue anglaise et une production que l’on souhaite plus étrange et étonnante encore. Et puis, nous aimerions collaborer avec des artistes cools comme Pharrell Williams – nous rêvons grand, oui (rires) ! Nous adorons aussi Stromae, les israéliens adorent ses productions ! Nous avons collaboré avec Acid Arab que nous avons rencontré après que nous ayons participé à la même Boiler Room, en Israël. Ils ont remixé « Habib Galbi » et nous avons également enregistré un nouveau morceau avec eux, mais c’est une surprise ! La seule chose que l’on peut révéler, c’est qu’il devrait sortir sur le prochain album d’Acid Arab ! 

A-WA sera en concert à l’Elysée Montmartre le 6 décembre prochain et sillonera les routes de France cet été ! 

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