©Dour Festival

Alors qu’ils sont autorisés, pourquoi certains festivals choisissent d’annuler ou reporter ?

La sai­son des fes­ti­vals est immi­nente et se con­cré­tise au fur et à mesure que les restric­tions san­i­taires tombent. Bien qu’autorisés sous con­di­tions, on a pu remar­quer – tou­jours avec tristesse – que cer­tains fes­ti­vals annu­laient ou repor­taient leur édi­tion 2021, met­tant directe­ment cap sur 2022. Pour mieux com­pren­dre cette déci­sion, nous nous sommes entretenus avec ceux qui ont fait ce choix, et ceux qui ne l’ont pas fait.

2020, année chao­tique. Bien que bal­ayée der­rière nous, ses séquelles se font encore sen­tir un an après, à l’im­age notam­ment des mul­ti­ples restric­tions gou­verne­men­tales qui incombent le monde des fes­ti­vals. Réca­pit­u­lons. D’après les dernières pris­es de parole, les fes­ti­vals pour­ront bien se tenir à compter du 9 juin. Jusqu’ici, grande nou­velle quand on se remé­more le désert musi­cal que nous tra­ver­sons depuis une année. Il faut néan­moins lire entre les lignes pour con­stater que les restric­tions exigées pour qu’ils puis­sent se dérouler ne sont pas si sim­ples à réalis­er : un pub­lic assis, un quo­ta de 5 000 per­son­nes max­i­mum, une dis­tance de 4 m² à respecter entre chaque fes­ti­va­lier, et présen­ta­tion d’un pass san­i­taire (PCR négatif ou vac­ci­na­tion effec­tuée) à l’entrée. Bref, de quoi s’amuser autant qu’à la ker­messe de votre cousin éloigné.

Mais ça ne fait pas rire tout le monde. Si cer­tains fes­ti­vals comme les Vieilles Char­rues, le Print­emps de Bourges, Vil­lette Sonique ou Calvi on the Rocks font le pari de s’adapter à ces nou­velles normes et nous livr­er tant bien que mal un sem­blant de fes­ti­val, le mou­ve­ment #Fes­ti­valDe­bout s’est vite répan­du sur Twit­ter et au sein des médias en voy­ant se mul­ti­pli­er les annu­la­tions à la pelle du Hellfest Fes­ti­val, Sol­i­days, Rock en Seine, Dour ou encore Bich­es Fes­ti­val… Pour mieux com­pren­dre leur déci­sion (ou leur résig­na­tion), on a pu dis­cuter avec cer­tains d’entre eux.

« Ce qu’on prône c’est la fête, mais aus­si le partage et bien enten­du la prox­im­ité. Per­son­ne ne se serait recon­nu dans ce sché­ma. » Mar­gaux Nicoleau, Bich­es Festival

Du côté de Saint-Aubin en Nor­mandie, où se tient depuis cinq ans le fes­ti­val indé Bich­es Fes­ti­val, il fau­dra patien­ter jusqu’en 2022 pour espér­er y recrois­er, une bière à la main, les artistes émer­gents de la scène française. « On y a cru jusqu’au bout » nous con­fie Mar­gaux Nicoleau, direc­trice et co-créatrice du fes­ti­val aux influ­ences rock et new-wave. « On est par­ti dès juin 2020 plus motivés que jamais sur l’édition 2021. On avait fait le con­stat un peu naïf que le flou artis­tique qu’on a vécu l’an dernier allait être loin der­rière nous, ou du moins que même si l’on pas­sait par des con­fine­ments ou des fer­me­tures, en juin, tout irait bien. » Alors même s’ils avaient mis leurs espoirs sur l’édition 21 fixée aux 11, 12, et 13 juin, « on a du se résoudre à annuler via nos réseaux soci­aux. Toutes ces restric­tions, en plus d’être irréal­is­ables et sur­réal­istes, ne sont absol­u­ment pas com­pat­i­bles avec nos valeurs. Ce qu’on prône, c’est la fête, mais aus­si le partage et bien enten­du la prox­im­ité. Per­son­ne ne se serait recon­nu dans ce schéma. »

Ce sché­ma, c’est une autori­sa­tion gou­verne­men­tale d’effectuer un fes­ti­val, mais en lui sucrant tout ce qui fait son sel. Nous pou­vons tous s’accorder à dire qu’un fes­ti­val de jazz n’est pas par­ti­c­ulière­ment recon­nu pour ses pogos. Mais qu’en est-il des musiques élec­tron­iques ? Du rap ? De la pop ? Qu’en est-il pour ces reg­istres qui ne peu­vent ni se résoudre à rester sur une chaise toute une journée, ou rester comme un Sims, seul dans un ray­on de 4 m² ? Il y a deux options pour Mar­gaux, « soit Rose­lyne Bach­e­lot n’a jamais été en fes­ti­val de sa vie, soit il s’agit d’une supercherie ». Elle surenchérit : « En fait, c’est la dou­ble peine. C’est pire que tout car on nous dit : « Oui oui, vous pou­vez faire quelque chose. Mais ce n’est pas notre souci si ça ne s’adapte pas à votre fes­ti­val, et ce n’est pas notre souci si vous prenez la déci­sion de ne pas le faire. » Je vois ces annonces comme une manière de se dédouan­er et de repouss­er les échéances pour, qui sait, amoin­drir les aides de ceux qui auront préféré annuler ? » s’interroge Mar­gaux, déjà soucieuse de la prochaine édi­tion. « Deux ans sans les Bich­es, ça fait bizarre. J’espère sim­ple­ment pour 2022 que per­son­ne dans l’équipe ne va per­dre l’envie. On tra­vaille entre bénév­oles, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, qu’on n’a pas pu échang­er sur nos envies et nos idées. L’enjeu, c’est vrai­ment de garder notre cohé­sion d’équipe. »

Le risque cet été, c’est que tous les fes­ti­vals se ressem­blent.” Damien Dufrasne, Dour Festival

©Dour Fes­ti­val

Un ADN à sauvegarder

Masques, dis­tan­ci­a­tions, jauges… « Rien de tout cela ne cor­re­spond à l’ADN de Dour Fes­ti­val » tem­pête son directeur Damien Dufrasne. « Chaque année, on donne vie à un vrai vil­lage de fête et de con­vivi­al­ité sur plusieurs jours. Je peux vous dire qu’on n’a pas hésité une sec­onde à repouss­er à 2022. Un fes­ti­val a un ADN qu’on ne peut pas mod­i­fi­er. Se pli­er aux restric­tions en juil­let ne nous aurait absol­u­ment pas ressem­blé, et pire, ça n’aurait pas été rentable ! » Il con­tin­ue : « Cette année, organ­is­er un fes­ti­val avec tant de nou­veaux paramètres à pren­dre en compte, c’était trop risqué. On par­tait déjà avec 250 000 euros de dettes. » Par­mi les autres ennuis tech­niques, il y a la con­cur­rence. Mais avec ces nou­velles nor­mal­ités à respecter, et une sit­u­a­tion san­i­taire tou­jours com­pliquée entre les pays, les évène­ments fran­coph­o­nes vont être dans l’obligation de jouer local avec leur pro­gram­ma­tion, ou au mieux de vis­er européen : « Le risque cet été, c’est que tous les fes­ti­vals se ressem­blent, remar­que Damien, ils vont tous être au même moment, devront se pli­er à des règles leur enl­e­vant toute orig­i­nal­ité, et vont devoir com­pos­er avec les artistes européens en vogue sol­lic­ités partout. Bref, si tu n’as pas de sta­bil­ité finan­cière, ça va être com­pliqué de rem­plir ton line-up. Toutes ces choses sont à pren­dre en compte. Un fes­ti­val ne se met pas en place en un claque­ment de doigt et on se doit de répon­dre aux attentes des fes­ti­va­liers. Je com­prends les fes­ti­vals qui ne veu­lent pas s’avouer vain­cus et préfèrent main­tenir, ou déplac­er un peu plus tard dans l’été. Mais c’est mod­i­fi­er l’ADN des fes­ti­vals tel qu’on le connaît. »

Quand on est pro­gram­ma­teur de fes­ti­val, on n’a pas peur, on agit.” Marie Sabot, We Love Green

D’autres fes­ti­vals ont fait le choix de ne pas annuler leur édi­tion 2021, mais de s’adapter ou de repouss­er à plus tard dans l’an­née, comme We Love Green qui se tien­dra du 10 au 12 sep­tem­bre. L’équipe a même réus­si à met­tre en place un événe­ment sup­plé­men­taire, Won­der­land, dont la pro­gram­ma­tion s’é­tale sur qua­tre mois, dans un tiers-lieu en plein air de 6 000 m² dans le 20e arrondisse­ment de Paris. Marie Sabot, direc­trice du fes­ti­val parisien, n’a pas pen­sé une sec­onde à se résili­er. « Quand on est pro­gram­ma­teur de fes­ti­val, on n’a pas peur, on agit. Depuis l’arrivée du Covid, on ne cesse de tra­vailler. Action, réac­tion. On tra­vaille en per­ma­nence, nous sommes tout le temps en train d’imag­in­er, mod­i­fi­er, réadapter les pro­jets. On a beau­coup appris sur la néces­sité d’anticiper. Repouss­er à sep­tem­bre, c’est s’assurer d’avoir un peu plus de temps pour se pré­par­er et pour bien appréhen­der le futures annonces, s’il y en a. » Mem­bre du syn­di­cat des fes­ti­vals PRODISS, Marie Sabot a tou­jours fait par­tie des acteurs (comme les Eurock­éennes, Panora­mas ou Musi­lac) qui ont mil­ité pour une édi­tion 2021. « Ce qu’on veut bien nous don­ner, on le prend ! La Mairie de Paris nous a de suite soutenue dans notre démarche pour repouss­er à sep­tem­bre. Même à 3/4 moins de notre capac­ité d’accueil [40 000 per­son­nes en temps nor­mal, ndr], on compte bien saisir la chance qu’on nous offre. » Pour Marie, cet été 2021 est cru­cial. « Le monde des fes­ti­vals incar­ne la résilience. Et c’est juste­ment pour ça qu’on ne veut pas atten­dre 2022 pour met­tre nos pro­jets sur pied. On ne veut pas atten­dre 2022 pour se remet­tre à faire ce qu’on fai­sait avant, parce qu’il faut com­pren­dre qu’il n’y aura plus jamais de “avant”. Cette pandémie, je pense qu’elle va trac­er des lignes com­plète­ment dif­férentes dans le futur de l’évènementiel, et il faut l’accepter pour avancer. » Assis, debout, col­lés, éloignés, vac­cinés ou testés : le show va con­tin­uer. Et dans un mois ou dans un an, c’est avec tou­jours autant de pas­sion que nous y assisterons.

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