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23 janvier 2018

Angèle : sa première grande interview

par Clémence Meunier

C’était l’un des noms les plus prononcés dans les rues de Groningen mercredi dernier : Angèle, armée de son seul single « La Loi de Murphy », se produisait au Main Theater dans le cadre du festival de showcases Eurosonic. Et on n’était pas les seuls à vouloir la voir, la salle étant pleine de professionnels attendant de pied ferme le « buzz » de l’hiver. Mais au-delà des moches mots de marketing et autres engouements soudains retombant comme des soufflés, qu’en est-il ? Qui est cette très jeune femme (22 ans), enfant de la balle (fille du musicien Marka et de la comédienne Laurent Bibot, soeur du rappeur Roméo Elvis), mêlant humour et reprises sur son compte Instagram suivi par 140 000 personnes ? On l’a rejoint, après un concert où elle déroule tranquillement ballades pop et chansons d’amour en français dans sa petite loge, histoire de percer le mystère d’une artiste entre rap et chanson, réseaux sociaux et scène, toujours le cul entre deux chaises. Naturelle, honnête, la tête sur les épaules et fun, difficile de ne pas tomber sous le charme… Comme tout le monde dans la salle présent ce soir-là.

Dans le clip de « La Loi de Murphy », tu joues vachement sur l’autodérision. C’est rare de se mettre autant en scène avec humour sur un premier clip…

J’avais tellement envie de ça ! Déjà, je me suis vraiment marrée à la faire cette chanson. Le sujet est bête : ça raconte une journée de merde. C’est tout le monde qui vit ce genre de petites emmerdes, c’est tous les jours, c’est une vision très pessimiste de la vie – mon principal défaut c’est de râler tout le temps. Il vaut donc mieux en rire, et j’ai demandé à la réalisatrice du clip, Charlotte, de dramatiser à mort toutes les situations. On montre une tartine qui tombe ? Il faut que ce soit une catastrophe, avec des gens qui pleurent. D’où le clip aussi des loutres sur ma reprise des « Amoureux des bancs publics »… Parce que quitte à reprendre du Brassens, avec un texte superbe, autant faire un truc décalé en vidéo, avec un peu d’ironie et des loutres.

Dans « La Loi de Murphy », tu alternes entre français et anglais. Mais dans les chansons découvertes pendant le concert, c’est le français qui domine. Tu veux passer au 100% français à terme ?

A 100%, pas forcément. La plupart des futures chansons sont complètement en français, mais j’adore tout de même l’anglais, c’est une langue géniale qui permet de partir dans d’autres vibes. Avec l’anglais on peut souvent synthétiser, rassembler des idées en une phrase forte qui ne sonnerait pas forcément bien en français.

Tu as dit que Veence Hanao, qui a co-écrit le morceau avec toi, t’avais aidé à « assumer » cette écriture en français…

Oui tout à fait. J’ai eu un long moment de calage pour réussir à écrire quelques chansons. Ça m’a toujours beaucoup amusée de composer des morceaux sur l’ordinateur, ça ne me posait pas trop de soucis vu que c’est quelque chose qui s’apprend tout le temps et petit à petit. Mais écrire des paroles, c’était vraiment compliqué. Frustrant à la longue, car j’avais quand même des choses à dire et pas envie qu’on écrive pour moi. Finalement, Veence m’a écrit ce texte que je trouvais magnifique, et ça m’a encore plus donné envie de m’y mettre, et en français. Sans m’en rendre compte, à force de discuter, co-écrire et écouter ses quelques conseils, ça m’a aidée, y compris à assumer de parler de ma vie, de dire des vraies choses sur moi, même si ça reste léger.

Cette utilisation du français, dans des textes un poil naïf ou du moins léger, est complètement décomplexée aujourd’hui, avec des groupes comme Paradis ou des chanteuses comme Cléa Vincent. Tu te reconnais dans cette scène ?

Complètement ! Il y a trois-quatre ans, quand le français n’était pas hype du tout, et que tous les groupes indé chantaient en anglais, je me rappelle que j’écoutais France Gall ou Françoise Hardy. Je me demandais pourquoi on ne faisait plus des chansons naïves mais super belles comme ça. Car ça ne sonnait absolument pas ringard ! Aujourd’hui, ça y est, c’est décomplexé, et le rap a pas mal aidé je pense. Ça a déroulé un tapis rouge pour la pop, j’ai foncé car j’avais envie de ça depuis longtemps.

Ton image vogue d’ailleurs entre le rap et la chanson, tu as par exemple fait les premières parties de Damso et Ibeyi, qui ont des univers complètement différents. Tu reprends Brassens et son « Les Amoureux des bancs publics », mais tu as aussi fait un featuring avec ton frère Roméo Elvis sur « J’ai vu ». Rap et chanson, ce n’est pas incompatible ?

Si, un peu, j’en ai conscience. Mais c’est aussi ce qui est chouette avec notre époque : on peut se permettre de faire ce genre de connexions. Le test s’est fait pendant les premières parties de Damso. Autant à Eurosonic j’arrive avec des chansons pop, et les gens peuvent partir s’ils aiment pas, autant pendant les concerts de Damso, le public était bien obligé de rester ! Je sentais parfois les limites du mélange des genres. Je parlais clairement à un public qui n’était pas du tout le mien. Sur certaines dates, je sentais que j’étais face à des gens qui n’avaient pas du tout envie de voir une petite go blonde, avec ses petites boucles d’oreilles, chanter ses petites chansons d’amour. Mais parfois, c’était tout simplement génial, avec même des pogos ! Au final, j’ai eu plus de bons souvenirs que de mauvais. Et j’ai senti que s’il pouvait y avoir des limites à ce genre d’expériences, il y avait aussi de moins en moins de barrières entre les musiques. Celui qui y croyait le plus en tout cas, c’était Damso. Au départ, il voulait que je sois musicienne sur sa tournée, mais ça tombait mal vu que j’étais en train de préparer mon projet, ça aurait tout mélangé. Alors il a voulu m’intégrer dans son spectacle, où au début du concert je commence par un piano-voix, une petite ritournelle d’Agnès Obel, qu’il a samplée dans un de ses morceaux – et là le sample arrive par-dessus mon piano, Damso débarque sur scène, le DJ aussi, et bim le concert démarre ! Finalement, ça a tourné comme une première partie à part entière.

 

(Là, une femme nous interrompt en pleine interview, à coups de « ma chérie tu es une reine, la plus talentueuse et la plus belle, tu vas être une grande star… »)

Tu vis comment cet énorme engouement, alors que tu n’as qu’un seul morceau à ton actif ?

Pour être hyper honnête, ça m’inquiète un peu. J’espère que l’engouement ne se situe pas uniquement sur ce morceau, parce que ça me met vachement la pression sur les prochains, qui ne sont pas forcément dans la même veine. J’aimerais que l’excitation se place plutôt sur ce que je dégage, sur le fait que je ne me prends pas trop au sérieux tout en essayant d’être la plus créative possible, et en voulant tout écrire, produire et réaliser moi-même.

Et le fait qu’on te parle constamment de ton frère Romeo Elvis, ça te soûle ?

Oui, petit à petit. C’est normal que les gens commencent par ça, naturellement, mais là ça commence à être parfois lourd. Mes parents sont aussi connus en Belgique. Je me rends compte que ça donne malheureusement une fausse idée aux gens sur ce que je veux présenter comme projet. Et puis ça en énerve certains, qui pensent que ça commence à marcher pour moi uniquement grâce à ma famille. Évidemment, c’est une chance énorme, une avance de fou que j’ai pu prendre, en tournant avec mon père notamment. Mais mon boulet, c’est que tout le monde s’imagine que c’était très simple. Finalement, mes parents ne connaissent pas ce milieu-là de la musique d’aujourd’hui, ni les labels, ni les tourneurs, ni les gens à rencontrer à Paris. Ce n’est pas du tout leur domaine. Et quand bien même c’était le cas je pense que je ne leur aurais pas demandé de l’aide. Ma chance par contre, c’est que mes parents m’ont toujours supportée, surtout moralement. Quand j’étais en pleine crise d’adolescence et que j’étais complètement perdue à ne pas savoir quoi faire de ma vie, ma mère m’a tout simplement dit : « tu aimes jouer du piano, commence par ça ! ». Tous mes amis étaient en train de galérer pour essayer de prouver à leurs parents que c’était bien de se lancer dans l’art. Moi c’est ma mère qui me poussait, alors que j’étais à deux doigts de partir en psycho ou en histoire, par défaut.

Tu es très présente sur les réseaux sociaux, Instagram notamment, et toujours avec pas mal d’auto-dérision. Ça fait partie intégrante du projet Angèle ?

Je ne sais pas si ça fait partie intégrante du projet mais en tout cas ce n’est pas du tout calculé, je fais ça comme je le sens. C’est sûr que c’est ce qui est le plus vu pour le moment, c’est donc pour ça que j’attendais vraiment impatiemment de sortir un morceau et un clip, pour que les gens voient ce que je veux faire au-delà des reprises et du compte Instagram. Ce compte a été un tremplin génial en tout cas. Au départ, je l’avais créé juste comme ça. Mais au moment où les reprises commençaient à bien marcher, il y a trois ans, je savais déjà que je voulais devenir chanteuse. J’ai fait plus de covers, puis des concerts dans des bars à Bruxelles, et ça m’a donné l’obligation d’écrire des chansons pour avoir du contenu. Instagram a été un moyen d’en arriver là, de rencontrer ensuite mon manager, de faire avancer les choses… Tout s’est fait à travers ça ! C’est plutôt génial de me dire que c’est grâce à ce compte que des gens ont commencé à venir à mes concerts, avant même de sortir un morceau. Après, Instagram a beau être très cool, j’ai lu encore ce matin que c’était le réseau social qui était le plus mauvais pour la santé mentale.

Tu parles d’ailleurs de ce rapport malsain dans le titre « La Thune », qu’on découvre déjà en live…

Oui, c’est une chanson qui parle du lien qu’il y a entre l’argent et les réseaux sociaux, où tu peux rapidement faire des choses peu intègres pour faire de la tune. Comme en musique d’ailleurs, en faisant de la merde tu peux facilement gagner de l’argent, et c’est quelque chose qui me fait très peur – c’est en pensant à ça notamment que j’ai écrit cette chanson. Et puis au côté malsain bien sûr des réseaux sociaux. Je m’y montre beaucoup : quand je pars en vacances, tout le monde est au courant, d’autres petits détails comme ça… J’apprends, encore aujourd’hui, à faire attention à ça – et je pense que je n’ai pas encore la maturité pour vraiment savoir ce que je fais. Tout à l’heure on m’a demandé ce que ça faisait d’avoir 100 000 abonnés, ou que ma dernière vidéo a fait 430 000 vues… Hein ?? Ce sont des chiffres tellement énormes pour moi, tellement abstraits. Quand t’as 1000 personnes en concert devant toi d’habitude et que tu passes à 10000, c’est un truc de ouf, tu les vois, tu les sens. Mais passer de 10000 à 100000 abonnés, tu ne t’en rends même pas compte, la seule différence c’est que tu reçois plus de notifications – donc tu n’y fais même plus gaffe. Tout ce qui m’intéresse c’est que ces gens qui voient les vidéos aiment ma musique. Si je commençais à recevoir des messages haineux ou frustrés sur Instagram par rapport à ce que je poste, là je ferai plus attention. Ah si une fois ya un mec qui m’a envoyé qu’il me pissait à la raie (rires).

Angèle à Eurosonic 2018. Crédit : Siese Veenstra

Mais c’est tout, pas de trop de haters ?

Sur Facebook un peu plus, ils postent des remarques pas vraiment constructives, genre « c’est de la merde miskine ! » (rires). Il n’empêche que ce n’est pas toujours facile de se faire critiquer comme ça, je suis indé, il n’y a que moi qui gère cette page Facebook, donc je tombe directement dessus… C’est le jeu, je ne dis pas que je le vis mal, mais ça peut finir par être dangereux et avoir des inconvénients. Pour l’instant, j’essaye juste d’envoyer des messages positifs, pas trop narcissiques ou prises de tête. J’espère surtout que je n’attise pas le manque de confiance chez les autres, je ne veux pas envoyer une image de moi trop parfaite… Même si ça ferait plaisir à mon ego, ça ne fera pas forcément plaisir aux autres. Evidemment je follow des « meufs parfaites » sur Instagram, qui prennent des selfies trop beaux, je les respecte et c’est agréable à regarder, mais ça me met mal dans la peau et ça ne m’apporte pas de bonheur. Juste une frustration sur moi-même et l’envie de me prendre en photo sous mon meilleur angle. Je ne veux pas reproduire ce truc-là avec mon compte Insta.

Et la prochaine étape, c’est l’album, directement, sans passer par la case EP ?

Au départ, l’idée était bien de faire un EP. Mais j’ai plutôt envie de passer directement à l’album, c’est une tradition à laquelle je suis encore très attachée, j’aime écouter un disque dans son entièreté, avec son âme. Alors je me suis dit que ça vaudrait le coup de relever ce challenge, d’autant qu’au final il ne s’agit que de quelques chansons en plus. J’aurais pu faire un EP avant, mais tout s’est enchaîné très vite. C’était plus trop la peine. Il n’y a pas encore de date de sortie arrêtée mais c’est en préparation !

Vu ce qu’on a entendu en live, il parlera pas mal d’amour ! Mais d’amour un peu tristouille quand même…

C’est compliqué de parler d’amour chouette ! En tout cas je suis très fleur bleue, ex-fan d’Hélène Ségara. Je suis sentimentale et je parle de ma vie dans mes chansons. Donc c’est un thème récurent. J’en parle de différentes façons cela-dit. Il y a une chanson par exemple qui parle de l’amour après une dispute, ou le lendemain d’une séparation, avec le vide que ça implique. Et puis il y a « La Jalousie », qui parle aussi d’ego, du moment où tout va bien dans ton couple mais où tu te retrouves quand même à t’inventer des histoires – genre « putain c’est qui cette go, elle est trop belle… ». « Je veux t’aider » ça parle d’amour chouette par contre, d’une rencontre sur les réseaux sociaux, de drague et de fantasme. Donc ce sera pas si triste !

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