DJ Stingray @ Astropolis Hiver 2018. Crédit : David Boschet

Astropolis Hiver 2018 : look mum un bon festival !

C’est long d’aller à Brest. Le train, fringuant jusqu’à Rennes, se traîne de plus en plus à mesure que l’on approche de la des­ti­na­tion : le bout du bout du pays. Et le temps paraît d’autant plus long quand, en cette péri­ode de vacances sco­laire, il sem­ble y avoir plus d’enfants que d’adultes dans le wag­on. Alors, quand on a la patience d’un cha­ton et que pour nous un Paris-Brest c’est surtout un gâteau, pourquoi s’infliger ces quelques heures de train, qui plus est en plein hiv­er ? Pas de sus­pens, c’est la même chose chaque année : l’édition hiver­nale du fes­ti­val Astrop­o­lis. Et s’il y a bien un cru qui valait vrai­ment le coup, c’était cet Astro Hiv­er 2018, que nous avons vis­ité les ven­dre­di 23 et same­di 24 févri­er derniers.

Astrop­o­lis, pour ceux qui vivent dans une grotte depuis 23 ans, est un fes­ti­val dédié aux musiques élec­tron­iques. Quasi-exclusivement. Au Vinyl Mar­ket de la Passerelle, l’après-midi, ce sont des galettes élec­tron­iques qui se vendent (pour pas très cher d’ailleurs). Le pre­mier soir, Char­lotte de Witte déroule en clos­ing un set tech­no, par ailleurs de très bonne fac­ture, et juste avant, c’est DJ Stingray qui enchantera avec sa sélec­tion old­school sous les impres­sion­nantes struc­tures métalliques et boules à facettes de la Carène. Le lende­main, légende tou­jours, house cette fois, avec Ker­ri Chan­dler tan­dis que le pro­gramme à la Suite était axé sur les labels élec­tron­iques bre­tons. Superbe line-up donc, mais qui n’ex­plique tou­jours pas pourquoi s’être tapé le long voy­age en train vu le nom­bre de soirées et fes­ti­vals parisiens pro­posant qua­si­ment la même for­mule. La vérité est à chercher ailleurs donc, dans l’As­troboum pour les petits, dans les pail­lettes du Camion Bazar ou dans les lives par exem­ple : avec Bro­ken Eng­lish Club, Legow­elt, Kmyle ou Too Smooth Christ, Astro a fait la part belle aux lives machines cette année. Une prise de risque à saluer notam­ment du côté de Deux Boules Vanille, ce duo de bat­teurs déclen­chant des syn­thé­tiseurs analogiques à chaque coup (vio­lent) asséné sur leurs fûts. Résul­tat : un con­cert psy­chédélique, visuelle­ment intéres­sant et ludique, qu’on ne voit pas tous les week-ends.

On s’éloigne ain­si de plus en plus du “festival-à-DJs”, dédié à ces musiques boum-boum faites par ordi­na­teur et qui font peur à nos mamans… Plus bel exem­ple ? Look Mum No Com­put­er. Tout est dans le nom : ici, pas de Mac bril­lant dans la nuit mais un set-up com­posé de syn­thés mod­u­laires, d’un vélo trans­for­mé en machine à faire du bruit, une soupe de câbles et, au milieu de tout ça, un jeune punk en bleu de tra­vail, épin­gle à nour­rice dans l’oreille, cheveux fous et chant fil­tré. Sur le papi­er, ça fait peur. En vrai, son live dans la petite salle “Club” de la Carène était sans aucun doute le moment le plus fort du week-end. Car mal­gré son côté “savant fou qui bidouille des câbles”, Look Mum No Com­put­er n’a pas oublié d’être acces­si­ble, les par­ties chan­tées, avec cou­plet et refrain, don­nant un aspect pop à son électro-punk. Un rack s’occupe par ailleurs de rajouter une foule d’effets à l’ensemble, his­toire de ne pas trop nous explos­er les tym­pa­ns avec la mul­ti­pli­ca­tion des syn­thés, et per­me­t­tant à l’Anglais de lâch­er les chevaux de temps en temps, jouant sur les dis­tor­sions et dis­so­nances avec finesse. Acces­si­ble humaine­ment aus­si : en fin de con­cert, voilà qu’il approche son vélo-synthé du bord de scène, et que plusieurs mains avides com­men­cent à touch­er à tous les bou­tons. Il laisse faire, encadre tout de même, c’est glob­ale­ment inaudi­ble mais très fun à regarder. C’était le ven­dre­di soir, il n’était même pas deux heures, et on venait de vivre le moment le plus fort du fes­ti­val, ou quand la musique est à la fois un spec­ta­cle et un échange.

Look Mum No Com­put­er @ Astrop­o­lis Hiv­er 2018. Crédit : David Boschet

Et le lende­main, devinez qui est en train d’animer un ate­lier aux Capucins, immense espace brestois occupé pour la pre­mière fois par Astrop­o­lis ? Look Mum No Com­put­er évidem­ment, sans scène, avec le même impres­sion­nant set-up clig­no­tant, qui se pro­duit en live à deux mètres des plus curieux, enfants, par­ents et fes­ti­va­liers en lende­main de soirée mélangés. De quoi se ren­dre compte d’une drôle de méth­ode de la part de l’Anglais : pour savoir que faire ensuite pour faire évoluer son morceau et ses boucles, cet inven­teur zinzin (il a créé un orgue-furbies, un clavier qui crache du feu, ce fameux vélo-synthé…) prend quelques pas de recul et regarde ses machines, comme le ferait un pein­tre réal­isant une fresque murale. Une approche visuelle peut-être plus que musi­cale donc, de quoi fascin­er un petit audi­toire jusqu’à ce que, rebe­lotte, le synthé-vélo serve à nou­veau de lab­o­ra­toire à grand n’importe quoi.

Le moment idéal pour explor­er les Capucins donc, le nou­veau ter­rain de jeu d’Astro l’après-midi. Cet ancien arse­nal com­prend aujourd’hui une médiathèque, la plate­forme d’arrivée du téléphérique tra­ver­sant la rade de Brest, et de grands espaces vides et aérés où des danseurs s’entraînent, des goss­es font du roller et des ados glan­dent – on aura même vu un tout-petit, savant à peine marcher, bal­ancer sa pous­sette pour se jeter par terre et imiter les break­dancers. Et au milieu de tout ça, une pro­gram­ma­tion menée par le col­lec­tif Velizion, avec un ate­lier avec Look Mum No Com­put­er donc, mais aus­si des machines mis­es à dis­po­si­tion, des lives, une con­férence ou encore Blutch et Vin­cent Malas­sis (aka Vin­ny Van Malass) qui enseignent le field record­ings et la pro­duc­tion à des gamins (les cinq morceaux créés vont être sor­tis et s’of­friront un remix par Blutch). A refaire et à faire croître. Un peu comme cette poli­tique défricheuse et bien mesurée entre têtes d’affiche et plages plus exigeantes, qui fait que, chaque année, on ronge notre frein dans un train plein de goss­es pour assis­ter à ce fes­ti­val : à refaire, tous les hivers.

La belle scèno de la Carène @ Astrop­o­lis Hiv­er 2018. Crédit : David Boschet

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