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© Titouan Massé
26 octobre 2023

Atoem, les lois de l’entropie

par Antoine Gailhanou

Après plusieurs EPs, il était temps pour le duo nantais Atoem de sortir un premier album. À la frontière entre rock, électronica psyché et techno, Entropy puise dans le concept scientifique de l’entropie pour en livrer une vision à la fois cérébrale et sensible. Et créer du désordre.

Cette chronique est extraite du Tsugi 163 : Róisín Murphy, Romy, Fred Again.. héros de la rentrée ?

 

Être prometteur, c’est bien. Encore faut-il confirmer. Près de cinq ans après un passage remarqué aux Trans Musicales dans sa ville d’origine Rennes, le duo Atoem passe enfin le cap du premier album. Mais on ne peut pas reprocher au groupe d’avoir chômé. Entre tournées incessantes et cinq EPs dont un live, son électronica hypnotique à la croisée de Pink Floyd, Arnaud Rebotini et la synthèse modulaire a eu de quoi s’épanouir. Si on ajoute un déménagement vers Nantes, où les deux musiciens ont rencontré leur manager ainsi que leur label, Yotanka (Zenzile, Octave Noire, Muthoni Drummer Queen…), les voilà fin prêts. « On n’avait jamais pris le temps de se poser depuis les Trans, on était toujours sur la route« , explique Gabriel Renault, chevelu du duo. « À Nantes, et à la faveur du confinement, on a eu le temps de réfléchir, de développer notre entourage, et d’aborder le défi avec calme et sérénité. » Le tout sans perdre leurs attaches, comme souligne le binôme Antoine Talon: « On retourne très souvent à Rennes, j’y suis presque la moitié du temps. On y a enregistré, répété, tourné nos clips. » Mais l’essentiel de l’album a été élaboré dans leur studio, au sein même de leur appartement dans le nord de Nantes. « On l’a juste délocalisé pour les trois derniers mois au bord de la mer. Pour s’éloigner des tentations de la ville ! » C’est que ces amoureux de rock prennent très au sérieux le format album. « On a longtemps privilégié le live, mais il fallait passer cette étape. On voudrait sortir le suivant plus rapidement, maintenant qu’on a des automatismes, détaille Antoine. Et un album, c’est différent d’un EP. Il faut garder un propos cohérent, sur la musique comme les visuels. C’est une œuvre globale à penser. » La création musicale s’accompagne ainsi de longs échanges et réflexions. « Puis, après un concert, dans une chambre d’hôtel, poursuit Gabriel, on a choisi les morceaux, pour passer à la finalisation et l’homogénéisation du tout. »

 

Destination chaos
atoem

© Titouan Massé

Les quatorze morceaux s’organisent ainsi selon une thématique globale: l’entropie. Ce terme scientifique sert à évaluer le degré de désordre d’un objet ou système. Un objet très ordonné, comme un animal et son système complexe, a ainsi une entropie basse, tandis que le sable a une entropie forte; et la fonte d’un glaçon est un exemple d’augmentation de l’entropie. Mais l’aspect fascinant de ce concept vient avec la seconde loi de la thermodynamique, formulée par divers physiciens, de Sadi Carnot à Kelvin ou Max Planck. En bref, elle stipule que quoi qu’il arrive, l’entropie globale de l’univers ne peut aller qu’en augmentant, puisque chaque mouvement ne peut qu’augmenter le désordre – jamais le réduire ni le laisser constant. Autrement dit: quoi qu’il arrive, nous allons vers le chaos. « Ça m’a vraiment passionné, raconte Antoine. Comment peut-on voir apparaître la vie, donc une entropie faible, alors que la loi dit que l’entropie ne peut qu’augmenter ? En réalité, tout s’explique bien sûr, l’idée étant que l’apparition de la vie va justement augmenter l’entropie globale du monde, c’est-à-dire augmenter d’autant plus vite le chaos en foutant le bordel autour d’elle. Bref, on est là pour foutre le bordel dans l’univers. » Et Gabriel de conclure avec malice: « Mais c’est malgré nous, hein, on ne fait pas exprès ! » Pour représenter musicalement ce vertige, les deux Nantais ont décliné le concept de plusieurs manières. « Chaque morceau possède un lien au temps et à l’évolution, puisque l’entropie renvoie à la dégradation des choses, ou bien à l’idée de désordre, et pourquoi pas de transgression. » Et cela vaut également pour les nombreuses pistes instrumentales du disque, qui se rapportent également à cette thématique. « Au-delà des paroles, on voulait aussi incarner l’idée d’augmentation de l’entropie au fur et à mesure de l’album, expose Gabriel. Que ce soit sur les textures ou les structures des morceaux, on part de l’ordonné pour aller vers quelque chose de plus bordélique. » Et il est clair qu’entre « Mercury », troisième piste aux airs de pop song vaporeuse, et « Synthropy », antépénultième track de synthwave majestueuse, le disque opère une plongée dans un psychédélisme toujours plus radical. De l’ordre naît naturellement le chaos.

 

 

 

Une composante rock

Le sujet permet aussi d’autres développements : aller, ne serait-ce qu’un peu, sur le terrain politique. Car après tout, quelle meilleure source de désordre qu’une révolte? Le titre « Uprising » explore le sujet, croisant des aspects sociaux et écologiques. « On en parle peu, mais on a baigné dans une culture politique forte, confesse Gabriel. Mes parents sont militants, ceux d’Antoine sont communistes. On ne revendique rien directement, mais c’est clairement présent en nous. » Antoine reprend: « C’est aussi une manière de ne pas esquiver le fait que toute musique est politique. On se positionne. Mais on n’est clairement pas dans la même démarche que Les Vulves Assassines, par exemple, qu’on aime beaucoup par ailleurs. » Mais peut-être existe-t-il une autre thématique sous-jacente dans le disque, et sans doute dans tout ce que produit le groupe: la dualité. Deux musiciens, mais aussi deux origines à leur pseudo: l’atome (comme dans le Atom Heart Mother de Pink Floyd), mais aussi la divinité créatrice égyptienne Atoum. Science et religion réunies, pour amener un côté spirituel et épique à certains titres comme « Under The Void », et son midtempo rappelant Massive Attack. Plus largement, ce sont deux couleurs musicales qui se complètent tout au long de l’album. Avec par exemple un « Ghosts Of The Past », à la structure rock marquée, quelque part entre Jon Hopkins et Tame Impala, contrastant avec de purs moments de lâcher prise techno, tels « Lunacy » et son atmosphère club. « On fait de l’électronique, mais la composante rock est présente depuis nos débuts, c’est sûr, avoue Antoine. D’autant qu’on trouve de plus en plus de recettes pour incorporer des guitares et du chant aux pistes électroniques. » Et l’album a justement permis de donner libre cours à ces envies et ces expérimentations. « On a notamment enregistré toutes les batteries en studio, quitte à les remplacer ensuite par des sons électroniques, poursuit Gabriel. Les kicks sont presque tous synthétiques. Mais le fait de les avoir joués participe à l’aspect organique du disque. » Dans la même idée, les voix prennent une place bien plus centrale sur certains titres. « Dans nos maquettes, les voix restaient noyées dans le mix. C’est le musicien qui a mixé le disque qui les a mises bien plus en avant. Il nous a poussés à les assumer« , explique Gabriel. Ce qui n’empêche pas de les tordre au maximum avec des multitudes d’effets, faisant un album non pas à deux voix, mais une infinité. « On adore Kraftwerk et Daft Punk, sourit Gabriel. Et on s’amuse vraiment avec ça. On a même écrit quelques harmonies pour le live, avec des parties où on chante tous les deux. »

 

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La symbiose parfaite

Le fait de citer ces binômes n’a sûrement rien d’anodin. Car comme dans d’autres duos avant eux, chacun a son rôle: l’un, le geek, technicien bricoleur et acharné de la texture parfaite; l’autre, l’arrangeur, porté sur les harmonies et ce qui est raconté. Dans Atoem, la répartition est claire: la première incombe à Antoine, avec ses études d’électronique et son goût pour le bricolage (il fabrique synthés, contrôleurs et scénographie à base de lasers pour le groupe). « C’est aussi lui qui va prendre à bras-le-corps les clips, la création de médias, là où je vais être plus sur la diffusion, la communication et les réseaux. Ce sont des automatismes qui se sont mis naturellement en place, explique Gabriel. Musicalement, je vais réfléchir à l’histoire, aux accords. Ça correspond à mon éducation musicale. Antoine, lui, peut passer des heures sur quatre mesures pour trouver la sonorité parfaite. » La jonction entre les deux se fait sur des goûts communs, bien sûr, mais aussi l’humour. « On ne le ressent pas forcément dans le produit fini, mais c’est essentiel dans notre processus créatif, ça va vraiment nous libérer. » Ce goût de l’absurde, notamment, ressort dans leurs derniers clips, jouant sur la lisière entre rêverie et second degré. Sans oublier Philibert, la plante verte, créditée au même niveau que les musiciens. Une blague qui vient souligner un fait saillant: l’album ne compte quasiment aucun invité. Seule exception: un certain NVVN, « un ami, qui a écrit ce texte totalement surréaliste, qu’on n’a toujours pas compris d’ailleurs. Il le chante lui-même, et c’est formidable. On le traîne dans les cartons depuis trois ou quatre ans, et on l’aime toujours autant« , précise Antoine. Et pourquoi aucun autre? Eux-mêmes n’ont pas vraiment de réponse: question de tempérament, de façon de faire. « On devait dire ces choses par nous-mêmes« , suppose Gabriel. Sans doute était-ce nécessaire pour déterminer leur identité propre. Et rester ensemble toujours au même niveau de désordre.

 

L’album Entropy d’Atoem sortait le 22 septembre dernier et vous pouvez l’écouter ici :

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