Skip to main content
© Gregg Bréhin; Art James Rosenquist
26 octobre 2023

Simo Cell, le sens du rythme | Portrait + chronique ‘Cupside des sirĂšnes’ 💿

par Tsugi

Longtemps prĂ©sentĂ© comme le plus anglais des producteurs français, le Nantais Simo Cell a traversĂ© des pĂ©riodes de doutes et de remises en question. Une quĂȘte de sens qui aboutit aujourd’hui Ă  une musique plus singuliĂšre que jamais et Ă  des ambitions nouvelles.

Fer de lance de la scĂšne bass music en France depuis le milieu des annĂ©es 2010, c’est un Simo Cell apaisĂ© et conquĂ©rant que l’on retrouve aujourd’hui. Revenu dans sa ville de Nantes aprĂšs avoir goĂ»tĂ© quelques annĂ©es Ă  la turbulente vie parisienne, il confie Ă©merger de trois annĂ©es d’intense boulimie musicale en studio. Les raisons ? Le Covid et la mise Ă  l’arrĂȘt forcĂ©e des DJs bien sĂ»r. Mais aussi un besoin de reconstruction personnelle suite Ă  des Ă©garements psychologiques dont il ne fait pas mystĂšre. « Il y a quelques annĂ©es, j’ai fait face Ă  de grosses angoisses et je me suis tournĂ© vers le dĂ©veloppement personnel. Je suis tombĂ© sur un soi-disant livre spirituel qui parlait de mĂ©ditation et de philosophie orientale. Il s’agissait d’atteindre un certain niveau d’éveil et de se « dĂ©sidentifier de son propre ego ». Cela m’a sĂ©duit au dĂ©part, mais c’était un piĂšge. J’ai fini par me battre contre mes propres Ă©motions et surtout par ne plus Ă©couter les autres. En 2020, j’ai rĂ©ussi Ă  me libĂ©rer de tout ça mais j’avais perdu confiance en moi. La musique a Ă©tĂ© comme une forme de thĂ©rapie. » 2020 a aussi Ă©tĂ© pour le jeune trentenaire le moment crucial d’une prise de conscience Ă©cologique avec la publication d’une tribune dans LibĂ©ration, dans laquelle il s’interrogeait sur son propre impact ainsi que celui plus global de la scĂšne Ă©lectronique. Un texte qui a beaucoup fait rĂ©agir et dans lequel il proposait, entre autres, de remettre en place des logiques de tournĂ©es, de rĂ©duire le recours Ă  l’avion ou encore de revenir au principe de rĂ©sidence – comme c’était le cas aux prĂ©mices de la scĂšne club. Des idĂ©es nobles mais pas forcĂ©ment simples Ă  mettre en Ɠuvre. « Aujourd’hui, j’ai rĂ©duit d’environ 70% mon utilisation de l’avion. Quand je voyage en Europe, je prends systĂ©matiquement le train quand le trajet dure moins de dix heures. Quand je vais sur d’autres continents, j’y reste au moins trois semaines. J’essaie de jouer plus souvent en France Ă©galement. Ça peut paraĂźtre dĂ©risoire par rapport aux enjeux mais il s’agit de montrer Ă  d’autres que c’est possible, car c’est tout le systĂšme qui est Ă  revoir. »

 

Envie de liberté

Une quĂȘte de sens qui a guidĂ© tout le parcours de Simon Aussel – Ă  l’état civil –, nĂ© dans une famille de musiciens classiques – son pĂšre d’origine argentine, Roberto, est un guitariste professionnel reconnu. Logiquement inscrit au conservatoire dĂšs l’ñge de 5 ans pour Ă©tudier le solfĂšge et la guitare, il s’en dĂ©tourne au moment d’entrer dans l’adolescence. « C’était trop formel, trop acadĂ©mique pour moi. En plus, comme j’étais un « fils de », les profs Ă©taient en train de me former pour devenir une bĂȘte Ă  concours. À la fin, j’y allais en pleurant. » C’est lors de ses annĂ©es lycĂ©e qu’il dĂ©couvre la musique Ă©lectronique – on est alors au firmament de la french touch 2.0 portĂ©e par les labels Ed Banger ou Institubes. « Je sentais qu’il y avait lĂ  pour moi un espace de libertĂ© et d’expression que je n’avais pas dans le carcan de la guitare classique, en un sens c’était le contrepied total de mon Ă©ducation. » Il se tourne initialement vers le deejaying et mixe dans des soirĂ©es Ă  Nantes. « Au dĂ©part, je n’avais pas trop de vellĂ©itĂ©s de producteur. » Il comprend cependant rapidement qu’il va devoir proposer ses propres compositions s’il veut se faire un nom sur la scĂšne. Il tĂątonne, s’essaie Ă  la Baltimore Music, au 2-step, Ă  la house, Ă  la techno. C’est la dĂ©couverte du nouveau son britannique hybride entre techno et dubstep aux dĂ©buts des annĂ©es 2010 qui va lui permettre d’affiner son propre style. Des productions basĂ©es sur des rythmiques complexes et des basses impĂ©nĂ©trables qui rĂ©sonnent en lui de façon presque subliminale. « Mon approche de la musique a toujours Ă©tĂ© basĂ©e sur les rythmes. Je pense que c’est dĂ» Ă  mes origines latino-amĂ©ricaines. J’ai mis du temps Ă  le comprendre mais c’est tellement prĂ©sent dans mon son. » La carriĂšre de Simon prend un tournant lorsqu’il publie en 2015 son premier maxi sur Livity Sound, le label de Peverelist. Un petit Frenchy alors quasi inconnu qui apparaĂźt sur l’un des labels rĂ©fĂ©rences de la bass music britannique a de quoi susciter la curiositĂ©.

Simo Cell

© Gregg Bréhin

 

Appel du pied

On le retrouve alors conviĂ© Ă  Concrete et on le voit se rapprocher du crew marseillais BFDM, lui aussi amateur de musiques hybrides, prĂ©fĂ©rant les chemins de traverse breakĂ©s plutĂŽt que les autoroutes rectilignes techno-house. Mais l’approche trĂšs britannique de sa musique apporte Ă  Simo Cell une reconnaissance encore plus forte Ă  l’étranger oĂč il se produit toujours aujourd’hui pour environ deux tiers de ses dates. TrĂšs portĂ© sur la confection de rythmiques aventureuses, il avoue s’ĂȘtre longtemps senti moins Ă  l’aise avec les structures mĂ©lodiques. Un complexe qu’il est parvenu Ă  exorciser. « Je pense que c’est la production du mini-album que j’ai fait avec Abdullah Miniawy (chanteur, poĂšte et trompettiste Ă©gyptien, ndr) en 2020 qui m’a dĂ©bloquĂ©. Maintenant il m’arrive mĂȘme de commencer des morceaux par la mĂ©lodie. » Une aisance nouvelle qu’il met en pratique sur Cuspide des sirĂšnes son premier album Ă  sortir sur TemeT, son propre label. « J’arrive Ă  un moment dans ma pratique de crĂ©ation oĂč je me sens dĂ©bridĂ© et libre. Avoir ma propre structure aide bien Ă©videmment. Avec ce disque j’accepte enfin l’idĂ©e que je suis un artiste, pas juste un producteur de musique club. Il y a sans doute une approche un peu plus pop sur certains morceaux par rapport Ă  ce que je faisais avant. Cet album est aussi un appel du pied pour dĂ©montrer l’étendue de ce que je suis capable de faire. J’espĂšre que cela pourra dĂ©clencher de nouvelles collaborations. » À l’entendre, toujours dans cette idĂ©e d’hybridation et de rencontres, Simon ne souhaite plus rien s’interdire. « C’est sĂ»r que tout ce qui est pop/trap, le cĂŽtĂ© US, m’inspire Ă©normĂ©ment. Produire pour de gros artistes pop me botterait Ă  fond. » On voit aujourd’hui avec d’autres tendances comme l’hyperpop que les frontiĂšres entre underground, expĂ©rimentations et musique mainstream sont de plus en plus poreuses. Et le dĂ©sormais confiant Simo Cell a clairement une carte Ă  jouer de ce cĂŽtĂ©-lĂ .

par Nicolas Bresson

 

 

———-

———-

 

Simo Cell – Cupside des sirĂšnes (TemeT)

Avec une sensibilitĂ© pour l’expĂ©rimentation et une fascination pour le hasard, Simo Cell a toujours Ă©tĂ© trĂšs novateur dans son approche de la production. Cuspide des sirĂšnes ne dĂ©roge pas Ă  la rĂšgle. PensĂ© comme « un rĂ©cit continu du dĂ©but Ă  la fin », l’album invite les auditeurs au sein d’une quĂȘte musicale unique. Et ce, dĂšs les premiĂšres notes de « Prelude To A Quest ». Au fil des morceaux, l’artiste manipule les samples vocaux divers, les transformant en mĂ©lodies au milieu d’une toile d’expĂ©rimentations Ă©lectroniques. Dans cet Ă©cosystĂšme sonore, il est commun d’entendre des cris d’animaux bizarroĂŻdes, des voix pitchĂ©es criardes sortant de nulle part, crĂ©ant un paysage aquatique plein de vie et de mystĂšre. Une collection progressive de chants de sirĂšnes Ă©thĂ©rĂ©s Ă©merge tout au long de l’album. Cette descente lente vers les profondeurs abyssales est accompagnĂ©e de moments Ă©piques, oĂč les synthĂ©tiseurs et les effets sonores nous forcent Ă  nous concentrer et imaginer tous les dĂ©tails de cet univers aquatique luminescent, rempli de crĂ©atures roses Ă©tranges. Une sorte de Barbieland bizarre sous l’eau?

Au fil du temps, le protagoniste s’éloigne de la surface, les voix Ă©thĂ©rĂ©es laissent place Ă  un mĂ©lange de bass music et de hip-hop renforcĂ© par des effets spĂ©ciaux sonores. Une chose est sĂ»re : ça ne ressemble Ă  rien de ce qu’on a pu entendre auparavant. Rappelant l’univers de BioShock, l’album serait la bande-son parfaite pour un vieux jeu vidĂ©o d’aventures sous-marines. Et ça tombe bien : un jeu vidĂ©o 8-bits a justement Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© spĂ©cialement pour Ă©couter l’album sur GameBoy. Une excuse pour ressortir et dĂ©poussiĂ©rer cette vieille console pas utilisĂ©e depuis une vingtaine d’annĂ©es. Au final, Cuspide des sirĂšnes laisse la place Ă  l’interprĂ©tation personnelle de chacun. Une expĂ©rience musicale envoĂ»tante et unique dans les profondeurs d’une crĂ©ativitĂ© folle, repoussant les limites de l’expĂ©rimentation sonore.

par Simon Brazeilles

Visited 199 times, 1 visit(s) today