Aux Escales de Saint-Nazaire, on rêve d’un monde meilleur

par | 31 07 2025 | festival, live report

Les Escales de Saint-Nazaire confirment leur singularité dans l’été des festivals en combinant des artistes venus des quatre coins du monde dont c’est souvent la première venue en France, des collectifs locaux, et des gros noms qu’on ne voit pas partout ailleurs.

Nous avons pu le constater un peu partout, l’équation budgétaire se complique pour les festivals. Leur modèle économique est mis à mal par l’explosion des coûts (sécurité, transports, cachets artistiques…), les baisses de subvention et le renouvellement parfois difficile des publics.

Plutôt que de courir après des stars aux cachets prohibitifs, qui plus est quand la région Pays de la Loire a cette année supprimé sa subvention, le festival Les Escales croit fermement que c’est en restant fidèle à ses valeurs qu’ils trouveront la solution pour durer. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer les deux très belles soirées de vendredi et samedi : devant chacune des quatres scènes installées sur l’île du Petit Maroc, le public était nombreux, mélangé et curieux.

Le tour du monde en un festival

Le festival ligérien déroulait pour la quatrième fois son programme Globe Trotter, en collaboration avec des festivals brésiliens, coréen, kényan, indonésien, ukrainien, mexicain et indien. Pour l’immense majorité de ces artistes, c’était leur première venue en France, à l’image du groupe Taj Ma House, qui n’a quasiment jamais joué en dehors de sa ville, Natal, dans le Nord du Brésil, sauf à l’occasion de Coquetel Molotov, festival de Recife où Jérôme Gaboriau, le programmateur des Escales les a repérés. Pour rentabiliser les voyages et présenter les groupes à un maximum de publics différents, ils peuvent jouer jusqu’à cinq fois aux Escales ! Deux ou trois warm-ups gratuits à Saint-Nazaire et aux alentours et deux concerts pendant le festival. Taj Ma House, avec sa house vocale garage secouée de percussions brésiliennes, n’en revient pas de cette belle opportunité pour leur projet qui existe depuis moins de deux ans.

Des Escales placées sous le signe de la rencontre, que ce soit du côté de Nairobi avec Labdi et Unganisha, duo composé d’une chanteuse et joueuse d’orutu, violon kényan à une corde traditionnellement interdit aux femmes, et du producteur norvégien, Bernt Isak Wærstad. Ou encore entre le duo nantais, Samifati, et Transe Gnawa Express, trois chanteurs d’Essaouira, la capitale de la musique gnaoua qui vient d’entrer au patrimoine immatériel de l’UNESCO.

Les Nantais voient dans le mélange entre les musiques traditionnelles et les productions électroniques, le moyen de bâtir des ponts entre les cultures. “Ça nous a sortis de notre zone de confort. C’est une des meilleures expériences de ma vie artistique.”, confie Hamouda, un des trois chanteurs au micro de Tsugi Radio. Une sacrée expérience aussi pour le public en feu de la Scène de l’Estuaire.

Déambuler et se laisser attraper par une proposition musicale, c’est vraiment le cœur du projet des Escales. Il y avait beaucoup de Shazam ouverts pendant les concerts de Tshegue, et son afropunk redoutable, de Pamela qui entraîne la brit pop sur un dancefloor de Brooklyn, ou de l’éblouissant et solaire Thomas de Pourquery qui a livré, avec son groupe  et son saxophone, un show exceptionnel confirmant son statut à part sur la scène française. Mais on s’est aussi rassemblé devant Air qui fêtait avec classe les 20 ans de Moon Safari, Kompromat, très attendu dans la ville natale de Rebeka Warrior et on a bien ri avec Philippe Katerine, décidément le boss de la chanson française.

Le Vendéen moque avec génie les commentaires haineux reçus suite à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques dans un concert plein de groove, de fantaisie et dé poésie. Les habitants de la bourgeoise station balnéaire voisine de La Baule se sont même pris une “balle perdue” de sa part : “Après le concert, on va envahir La Baule !”, lâche-t-il, acclamé par la foule hilare de la populaire Saint-Nazaire.

Roísín Murphy, diva à l’irlandaise

Dimanche, les Escales se sont refermées avec la fantasque diva irlandaise Roísín Murphy. Diva, certes, mais pas de celles à l’image lisse et contrôlée. Murphy tient plus de l’élégance punk et insaisissable d’une Debbie Harry et de la classe et l’humour parfois potache d’une Grace Jones à qui elle emprunte sur scène le chapeau haut-de-forme. L’ex-chanteuse du duo Moloko surprend par son naturel et un certain détachement. Et on se dit qu’on irait bien boire un coup avec elle, ce qu’on a d’ailleurs fait au bar des loges des Escales de Saint-Nazaire.

Roísín Murphy : L’humour c’est la chose la plus sexy. Si tu n’as pas d’humour, tu n’es pas sexy. Je suis très bonne pour me ridiculiser toute seule. Je pense que quand on fait ce métier, il ne faut pas avoir peur du ridicule, sinon tu passes à côté de quelque chose.

Pourquoi c’est important de ne pas se prendre trop au sérieux ?

RM : Je n’ai pas pu prendre les choses au sérieux au début avec Moloko. Ça m’est tombé dessus, je n’étais même pas chanteuse. Avant toute chose, on s’amusait quand on était tout les deux en studio avec Mark Brydon, l’autre moitié de Moloko, qui était aussi mon petit ami. Pour nous, la musique de Moloko était une réaction à la musique sérieuse qu’on entendait partout à l’époque. On ne voulait pas faire quelque chose de trop sérieux, trop intense. On voulait être intensément et sauvagement créatifs.

Quand le groupe s’est séparé, tu as hésité à poursuivre une carrière solo, qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?

RM : Parce qu’à part un titre ici ou là, je n’avais travaillé avec personne d’autres que Mark. Pendant 8 ans, tout tournait autour de notre studio et de notre relation. Je n’étais pas sûre de vouloir continuer dans la musique. Heureusement, j’ai commencé à travailler avec Matthew Herbert sur mon premier album solo. Ça a été super efficace et rapide : je me souviens de m’être réveillée un jour en me disant : « Oh mon Dieu, j’ai un album! »

L’année dernière, tu as sorti un album qui s’appelle Hit Parade. Un titre un peu surprenant, qu’est-ce qu’il veut dire ?

RM : C’était une blague. Le gars avec qui j’ai fait l’album, DJ Koze, il disait : « Je vais te mettre dans le hit-parade !” Et bien sûr, il n’y a plus de hit-parade ! Donc c’était une promesse en l’air.

Est-ce que tu es nostalgique de l’époque où il y avait des hit-parades ?

RM : Oui, je ne peux pas m’empêcher d’être nostalgique de beaucoup de choses. Quand j’étais petite, on ne ratait jamais « Top of the Pops » à la télévision. Ça n’existe plus. Je me souviens même d’avoir participé à « Top of the Pops » plusieurs fois avec Moloko. C’était très invraisemblable pour moi.

Hit Parade produit avec DJ Koze est très différent de Roísín Machine produit avec Crooked Man alias richard Barrat et sorti en 2020. Tu avais envie d’explorer de nouveaux territoires ?

RM : Sur Ruby Blue, comme sur Hit Parade, la voix est mise en avant. Même si elle est peut être traitée de façon bizarre, c’est ma voix qui concentre le pouvoir d’attraction de ces deux albums. Matthew Herbert et DJ Koze, les producteurs de ces disques, ont sans doute ça en commun. Roísín Machine est un disque de genre, un disque très « Sheffield ». Le son est très rigoureux et percutant. Comme on l’aime à Sheffield. Mais les disques que j’ai faits avec Eddie Stevens, qui joue avec moi en live, c’est encore une autre histoire. Je suis très heureuse que mes albums se ressemblent si peu.

Roísín Murphy © Louis Comar © Festival Les Escales 2025
Roísín Murphy © Louis Comar © Festival Les Escales 2025

Sur scène, tu changes de costumes entre chaque morceau, alors que tu dis détester les vêtements. Pourquoi ne pas faire des concerts en jean et Tshirt ?

RM : Ça m’aide pendant le concert. Je passe ma jambe dans un pantalon, je commence le couplet et quand je mets le chapeau, je passe au refrain. En fait, ce sont des couches qui s’ajoutent, comme de la programmation, ça m’aide à muscler ma mémoire. Donc plus j’ai à faire sur scène, plus c’est facile. Mais les choses que je porte sur scène sont très simples. Dans le passé, je pouvais m’embarrasser avec des costumes trop élaborés, et me perdre un peu là-dedans. Je pense que c’est plus minimal aujourd’hui que ça n’a pu l’être. C’est très doux et fluide maintenant.

Comment tu regardes l’évolution de ton pays, l’Irlande ?

RM : C’était un pays très catholique quand j’ai grandi. Là-dessus ça a bien changé. Mais à l’époque, tout le monde chantait tout le temps. Les gens pouvaient connaître plus de 100 chansons. Aujourd’hui ce n’est plus trop le cas. C’est dommage.

Que Roísín Murphy se rassure : nous avons bien chanté sur “Sing It Back”, le tube de Moloko dimanche, et souri aux frasques de notre bonne copine irlandaise qui confinent parfois au trait de génie, parfois au cabotinage.

Culture rime avec engagement

Un autre secret des Escales : son ancrage territorial fort avec la présence des collectifs nantais Macadam et Gazole Inc. et aussi une certaine idée du vivre ensemble comme la présence de Reporters Sans Frontières, de SOS Méditerranée et d’une exposition consacrée à Gaza en atteste. Une ouverture sur le monde incarnée aussi par le DJ et activiste brésilien, Eric Terena. En plus d’avoir joué pour le festival, il est venu présenter à Cinéville, en exclusivité française, Yanuni, film-portrait portrait de Juma Xipaia, défenseuse des droits des peuples autochtones au Brésil dont il assuré la bande-son.

Dans ce film, on découvre comment l’Amazonie est pillée en toute illégalité pour les richesses de son sous-sol, activité soutenue par l’ancien président Bolsonaro. Les mineurs hors-la-loi empoisonnent l’eau des cours d’eau au mercure et les peuples indigènes subissent de leur part violences et attaques en plus de la destruction de leur cadre de vie. Juma, première femme cheffe de village, porte ce combat au Brésil et dans le monde au péril de sa vie : elle a échappé à six tentatives d’assassinat.

Eric Terena © LOUIS COMAR ©Festival Les Escales 2025
Eric Terena © LOUIS COMAR ©Festival Les Escales 2025

Mais elle a aussi participé, jusqu’à la naissance de son deuxième enfant, au ministère des peuples indigènes créé par Lula une fois retourné au pouvoir. Un film qui, comme le rappelait Frédéric Petit, le président des Escales, incarne bien les valeurs défendues par le festival : la défense des droits humains, la promotion de la culture dans ce qu’elle a de plus noble, la création, la curiosité. 

Les Escales de Saint-Nazaire s’apprêtent à écrire un nouveau chapitre de leur histoire avec le départ de leur programmateur depuis 26 ans, Jérôme Gaboriau, et l’arrivée d’un nouveau directeur, Yann Bieuzen, venu de Laval et du festival Les 3 Éléphants. Se réinventer, comme les festivals, modèles de résilience et de souplesse, savent si bien le faire pour continuer à défendre ces valeurs essentielles pour faire société. On en a bien besoin.