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Avalanche Kaito : “L’important, c’est la scène! L’univers du griot, ça doit se vivre”

Alors qu’ils se pro­duiront aux Vieilles Char­rues ce 16 juil­let, ren­con­tre avec Avalanche Kaito, explosif trio faisant se ren­con­tr­er la tra­di­tion burk­in­abée des gri­ots et la musique noise. Un groupe au nom tout trou­vé, un orage de sons à décou­vrir absol­u­ment sur scène, avec qui Tsu­gi a dis­cuté lors de son pas­sage au for­mi­da­ble fes­ti­val Tremor aux Açores. 

Flash­back et télé­por­ta­tion : ven­dre­di 31 mars 2023 au soir, aux Açores, petit archipel per­du au milieu de l’océan Atlan­tique, une coupure de courant per­turbe un con­cert. Un autre jour, dans un autre lieu, les spec­ta­teurs attendraient sage­ment. Un autre jour, dans un autre lieu, le groupe serait agacé. Mais pas là. Car il s’agit d’un con­cert organ­isé dans le cadre du Tremor, fes­ti­val por­tu­gais retour­nant les Açores chaque print­emps, entre lives dans dif­férentes salles de la ville et expéri­ences inédites (ran­don­nées musi­cales, lieux secrets, pub­lic dansant dans une piscine naturelle vol­canique… et on en passe). Et au Tremor, les fes­ti­va­liers ne sont pas du genre à atten­dre les bras bal­lants. Surtout quand le groupe en ques­tion s’appelle Avalanche Kaito. D’une coupure de courant, on passe donc à un a cap­pel­la du pub­lic sur­chauf­fé, qui reprend en chœur le refrain d’un des morceaux joués avant que les plombs ne lâchent. Le souci tech­nique se fait messe d’infidèles, le silence se trans­forme en cris, en danse, en com­mu­nion moite. Bien sûr, le con­cert reprend peu de temps après. Mais ce qui peut sem­bler n’être qu’une anec­dote d’électricien, représente à mer­veilles la magie de ce trio franco-burkinabé-belge.

avalanche kaito

© Tremor

Tout a com­mencé en 2018, quand Kaito Winse ren­con­tre le bat­teur et pro­duc­teur Ben­jamin Chaval, tan­dem bien­tôt rejoint par le gui­tariste Nico Git­to. Kaito, venu du Burkina-Faso, est un gri­ot, un racon­teur d’histoires tra­di­tion­nelles, un passeur de mes­sages, sorte d’équivalent africain et sage des bardes celtes (ou de Jask­i­er dans The Witch­er, tout dépen­dra de vos ref’). Mais il est un gri­ot d’un genre nou­veau, ayant à cœur de con­fron­ter son héritage à la musique bruitiste de Nico et Ben, aux gui­tares noisy et aux machines. Car finale­ment, de l’électronique au folk­lore burk­in­abé, il n’y a qu’un pas, qu’une danse : la transe.

Côté stu­dio, Avalanche Kaito a sor­ti un pre­mier album éponyme en 2022 sur Glit­ter­beat (ci-dessous) et tra­vaille sur le deux­ième atten­du pour 2024. Mais c’est surtout en live que l’expérience se trans­forme et se vit dans la chair. Kaito exulte, sue, tem­pête, danse, se gorge de lumière, sur des morceaux s’étirant par­fois pen­dant de longues min­utes et forts de boucles de gui­tare, basse, bat­terie, quelques ban­des, quelques traite­ments de voix, et un petit cat­a­logue d’instruments tra­di­tion­nels africains (flûte peul, arc à bouche ampli­fié, flûte tout­lé, tambours…)

Ce soir-là, au Tremor, il n’y a pas de scène, le pub­lic est au même niveau que le groupe. Et les pre­miers rangs devraient s’en sou­venir encore : Kaito sou­tient leur regard, parade ; cer­tains seront même ten­tés de reculer un poil ou de baiss­er les yeux, tant la prox­im­ité sem­ble intense. Provo­quer aus­si bien la pas­sion que l’incommodité, et surtout ne jamais laiss­er indif­férent : l’apanage des grands lives.

Tsu­gi a eu la chance de dis­cuter avec le groupe quelques heures avant leur con­cert, his­toire de com­pren­dre un peu mieux l’intention der­rière le pro­jet, avant se laiss­er emporter par cette avalanche de neige ardente.

 

Com­mençons par le com­mence­ment : qu’est-ce qu’un griot ? 

Kaito : Les gri­ots sont les déten­teurs de l’histoire, des gar­di­ens de la tra­di­tion. C’est aus­si sou­vent quelque chose de famil­ial, de trans­mis­sion, à l’échelle d’un vil­lage. Ce rôle existe depuis la nuit des temps, aujourd’hui le monde a changé donc le gri­ot aus­si. Mais depuis tou­jours, le gri­ot n’est pas obligé de jouer pour son vil­lage unique­ment. Il peut jouer pour le ciel, pour la terre. C’est une sorte de com­mu­ni­ca­tion avec l’espace aus­si, attachée aux ancêtres, aux savoirs ances­traux. Les rôles sont multiples.

 

Ton père est gri­ot, tes frères aus­si. Quels sont vos points com­muns et dif­férences dans vos manières d’approcher le rôle ? 

Kaito : Il y a plusieurs branch­es. Tout à l’heure, on va aller au sauna, c’est une façon de se laver le corps, l’esprit, comme une douche ou un bain. Ce sont dif­férences méth­odes, mais on y va tou­jours de la même manière et avec le même but. Pour les gri­ots, c’est pareil. La trans­mis­sion se fait naturelle­ment en fonc­tion de la capac­ité de chaque per­son­ne dans la famille et la société. C’est pren­dre un fardeau : cer­tains le peu­vent, d’autres non. C’est une ques­tion de con­fi­ance, celle que la com­mu­nauté t’accorde et celle que tu as en toi-même.

 

Et entre vous trois, la con­fi­ance a été directe ?

avalanche kaito

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Kaito : Ça s’est fait naturelle­ment. Je me suis tout de suite sen­ti bien, j’ai pu me pro­jeter immé­di­ate­ment, y com­pris sur la musique et le choix d’apposer tel texte à tel morceau. Je peux sor­tir ces chan­sons, les inter­préter, et retrou­ver la paix intérieure.

Ben : On ne se pose pas trop de ques­tions. Le texte vient de Kaito, par­fois une idée de rythme aus­si. Il nous le chante, et ensuite on fait ce qu’on com­prend de ce truc-là avec nos capac­ités. Ça peut arriv­er par l’électronique ou par une idée de riff. C’est assez sim­ple : Kaito n’a pas peur de ce qu’on est, et inverse­ment. Il n’y a pas d’embrouille du genre “oulàlà ce n’est pas la tra­di­tion !” Kaito a vrai­ment envie de ramen­er la musique ampli­fiée et la musique élec­tron­ique au vil­lage, pour que la tra­di­tion des gri­ots intéresse les jeunes. Du coup, c’est super libre, il n’y a pas de carcan.

Kaito : Le boulot du gri­ot, c’est de trans­met­tre des nou­velles, des his­toires, aux gens du vil­lage. La seule chose qui change, c’est ta réal­ité, ce que tu vis. Quand tu inventes des choses à racon­ter, ça peut se sen­tir dans l’émotion, tan­dis que si c’est du vécu, c’est bien plus fort : je suis allé là, j’ai vécu ça, voilà ce que j’ai appris, en l’occurrence en Europe ! Quand je chante aux côtés de mes deux cama­rades, c’est comme si j’étais assis au vil­lage en train de racon­ter mes aven­tures, c’est naturel.

 

As-tu peur du sacrilège ? 

Kaito : Il y a des choses inter­dites, des sujets sacrés, que je ne vais pas abor­der car je respecte : c’est “totem”, c’est-à-dire tabou. Au-delà de ça, je con­sid­ère qu’on peut être partout chez soi. Mais cela va aus­si dépen­dre de quel type de gri­ot on est, cer­tains ne peu­vent pas voy­ager comme je le fais. Je suis le cadet de la famille, je suis davan­tage libre de bouger.

 

Il y a l’album, il y a le live, et ce sont deux choses assez dif­férentes pour vous, ce qui n’est pas habituel pour un groupe… 

Kaito : L’important, c’est vrai­ment la scène, car l’univers du gri­ot est large, ça doit se vivre et ça dépasse tout ce qu’on peut étudi­er dans les conservatoires.

Ben : Et on ne veut pas s’imposer de lim­ite, quel que soit le for­mat : on ne veut pas s’empêcher d’intégrer un morceau dans l’album car on ne pour­ra pas le jouer live et vice et ver­sa. On fait n’imp’, dans le bon sens du terme, dans l’un comme dans l’autre ! Par exem­ple, “Toulele” : sur l’album, c’est une impro­vi­sa­tion de Kaito à la Mai­son de la Cul­ture sur laque­lle j’ai ajouté des machines. Mais com­ment jouer ce truc-là en live ? C’est là qu’est inter­venu Nico, et on se retrou­ve avec une ver­sion live beau­coup plus rock. J’aime beau­coup, je trou­ve ça très créatif comme manière de travailler.

Nico : Il y a une par­tic­u­lar­ité avec la musique de Ben et Kaito, c’est qu’un morceau joué live ne sera pas tou­jours iden­tique à chaque con­cert. Il y a de l’improvisation, des erreurs, on teste des choses… Il y a des groupes qui jouent leur musique de façon car­rée, mil­limétrée, on n’est pas du tout là-dedans.

 

Com­ment ressortez-vous de ces con­certs très intenses ?

Kaito : Je me sens génial. Si ça a bien marché, on descend de scène trem­pés mais avec tou­jours l’énergie au plus haut, on cause avec les gens, et on con­tin­ue à pren­dre de l’énergie – j’adore aller par­ler avec les gens.

Ben : Tu parades ! (rires) 

Michael (leur man­ag­er) : on peut dire aus­si qu’on est sou­vent invité à faire la fête après avec les gens qui nous ont pro­gram­més, voire même avec le pub­lic directe­ment qui nous invite à aller dans tel lieu de la ville.

Ben : Faut pas racon­ter ça, c’est totem ! (rires)

Kaito : Ça rejoint en tout cas cette volon­té d’échange avec le pub­lic, de trans­mis­sion, inhérente aux gri­ots. Entre les morceaux, j’essaie d’expliquer la sig­ni­fi­ca­tion des paroles, mais l’après-concert per­met de pou­voir éventuelle­ment aller plus loin avec ceux que ça intéresse.

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Pour voir Avalanche Kaito en con­cert (et pourquoi dis­cuter – et faire la fête ? – avec eux ensuite), rendez-vous le 16 juil­let aux Vieilles Char­rues !

 

avalanche kaito

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