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Juliette Armanet aux Nuits Secrètes © Coolen
26 juillet 2022

Bêtes de scène, public enflammé et karaoké : les dessous des Nuits Secrètes

par Bérénice Hourçourigaray

Le festival n’a plus de secrets pour nous : il bouillonne, présente la fine fleur des artistes de tous les horizons et réserve de belles surprises autant musicales que culinaires. Les Nuits Secrètes se tenaient du 22 au 24 juillet, Tsugi y était et vous livre son jardin secret.

On est vendredi soir, dans un TER crasseux. Les mines sont grises, on est entouré de voyageurs pendulaires et avec la canicule, la semaine a été dure pour tout le monde. Mais à l’approche de la station d’Aulnoye-Aymeries, une horde de personnes se prépare à sortir, armée de sacs de couchage et de sacs plastique débordants de boîtes de conserve. Avec un pass camping à 20 €, nos camarades de train ne se sont pas privés. Le festival est à seulement 15 minutes à pieds de la gare. Plus on s’approche, plus on sent les vibrations des basses qui résonnent et l’odeur de la bière qu’on devine tiède. Dans la file pour entrer, les gens sont déchainés. Les « cul sec » s’enchaînent sous la bienveillance des bénévoles qui nous vaporisent de l’eau et diffusent des messages de prévention. L’entrée du festival est mémorable : une immense lune imaginée par Luke Jerram surplombe le site. C’est bon, on est bien arrivé aux Nuits Secrètes. Allez, on vous embarque dans ces 3 jours de folie. Destination ? La lune.

Les Nuits Secrètes n’ont cessé de s’agrandir. Le festival comporte maintenant 4 espaces scéniques distincts. La Grande scène qui accueille les têtes d’affiche souvent affiliées au rap, Damso, Rilès, PNL, Oboy, Orelsan pour ensuite laisser place à des DJ pour les closing : Charlotte de Witte, Jamie XX, Vitalic. Malgré un système-son qui aurait pu mieux couvrir les côtés de la scène, elle offre un superbe espace pour se déchainer. À l’unanimité, l’Eden éclipse toutes les autres scènes. Elle est tantôt un lieu de délices lorsque November Ultra s’empare de sa guitare, tantôt un fruit défendu lorsqu’ascendant vierge se met derrière les platines. Placé tout au fond du festival, son toit rouge laisse passer les derniers rayons de la journée et offre un joli coucher de soleil. Petit inside, cette scène est collée à la loge des artistes. On a donc pu assister à des scènes mémorables. Le premier soir, Shygirl entame les festivités. Au milieu de la salle, un petit groupe s’attroupe, mais ce n’est pas pour danser. C’est pour prendre une photo avec Rone qui grille sa clope en musique avant son passage sur scène à 22h.

La station secrète et l’oasis ont été le théâtre de beaucoup d’amusement, puisqu’elles proposaient des activités pour les festivaliers avant que les concerts ne commencent. Elles ont aussi accueilli le collectif parisien La Darude, pour l’opening et le closing du dimanche. Leur DJ-set a littéralement mis en liesse le public. Et en même temps, leur énergie positive est si communicative que le show ne pouvait être que réussi.

Maroilles, karaokés et sirtakis

Un des secret de ce festival réside dans son public. Toute la ville d’Aulnoye se mobilise pour l’évènement : une petite scène est installée dans un passage pour que la fête ne s’arrête jamais. On y voit des jeunes comme des vieux avec des colliers de fleurs, se prenant par les épaules dès 15h. On comprend aux cernes de certains que leur soirée se termine. Pour d’autres, c’est la fête qui (re)commence. Le kara-okay était un moment mémorable de la journée du samedi. Les festivaliers ont complètement joué le jeu et se sont révélés être de très bons interprètes.

Bref, les gens du nord savent s’amuser. Ce sont les seuls capables de lancer une peña sur la reprise de « The Age of love« , inconditionnel morceau transe merveilleusement bien remixé par Charlotte de Witte. Une femme revêtue de néons fluorescents menait la danse. Sur le refrain frénétique « Come on dance with me », une trentaine de courageux sautaient de tout leur poids sur leurs camarades pour rejoindre le paquito. Vraiment fous ces ch’tis !

Des DJ qui nous en mettent plein la vue

La programmation des DJ nous mettait déjà l’eau à la bouche. Mais la triade : Rone, Jamie XX  et NTO a surpassé nos espérances. Grâce à leurs mises en scène épatantes, ils ont réussi à nous mettre des frissons, convoquant tous nos sens avec des jeux de lumière et de fumée particulièrement réussis.

Vendredi soir, Rone chauffe la salle en commençant par son hit, « Bye bye Macadam« . Les têtes se balancent. Perché sur scène avec ses platines, il endosse parfaitement le rôle de chef d’orchestre qui guide ses spectateurs dans leur danse. Les jeux de miroirs s’adaptent parfaitement aux mouvements lancinants de la foule qui, à cette heure-ci, ne demande qu’à rejoindre les étoiles.

Jamie xx reprend l’univers chromatique de la pochette d’In Colour. On est dans son univers, des projecteurs de toutes les couleurs impulsent ses morceaux et semblent les porter jusqu’à l’autre bout du festival. Spéciale dédicace au morceau qui ouvre son album, « Gosh« . Il réussit à nous tenir en haleine pendant plus de 10 minutes, en apportant variations et coloration à ce morceau pourtant déjà culte.

Dimanche soir, NTO clôt ce merveilleux cycle en nous emmenant dans les fonds marins. Tout de noir vêtu, il se fond dans son décor pour ne faire qu’un avec sa musique. Réalisée par Jordan Magnée, la scénographie reprend le visuel de son album Apnea et réussit le pari de nous plonger la tête sous l’eau pendant plus d’une heure. Chaque track a sa propre identité visuelle en gardant toujours la même ligne directrice : les formes géométriques.

À côté de moi, un vieux tape frénétiquement son gobelet conte sa jambe, signe d’approbation à un artiste qu’il ne connaît pas. Pari réussi pour ces DJ qui réussissent à séduire toutes les générations présentes aux Nuits Secrètes.

 

Des bêtes de scène 

Sur les 14 noms à se partager la grande scène, seulement quatre étaient des femmes. Loin de vouloir jeter la pierre aux Nuits Secrètes, dont nous avons déjà vanté les mérites en matière d’égalité, le constat demeure sans appel. Mais les artistes sélectionnées par le festival nous ont offert des prestations inoubliables, chacune avec leur univers bien marqué. Bref, des bêtes de scène, prêtes à rugir pour le bonheur des festivaliers.

Izïa s’est littéralement emparée de la scène. Elle enchaine les sons avec une aisance déconcertante, piochant dans ses 5 albums. Son énergie déborde, elle ne peut se retenir d’arpenter la scène de droite à gauche, comme si elle voulait ne pas faire de jaloux. Un frisson nous parcourt l’échine lorsqu’elle entame « Trop vite », chanson qui livre les aléas de son hypersensibilité. « Passer du rire aux larmes si vite », c’est un peu ce que la chanteuse a réussi à faire ce vendredi soir. Juste après, elle annonce que c’est sa première fois aux Nuits secrètes avant d’ajouter, sourire en coin, « les premières fois c’est toujours les plus excitantes ». 

Mara est définitivement sacrée reine du festival. Son show était un délicieux mélange de provocation qui voilait une timidité totalement craquante. La vierge Marie se meut en vierge Mara à coups de bling-bling, de dancehall et de féminisme malicieux. Mini-jupe en cuir noir, cuissarde léopard : Mara se joue des codes de la féminité pour réinventer la sexy attitude !

Dans un tout autre style mais la même énergie, Mansfield.TYA lançait les concerts de dimanche. Comme elles aiment à le dire, leur live était « une cérémonie moderne » où les prêtresses sont habillées en noir, évidemment. Rebeka Warrior et Carla Pallone nous offrent une superbe performance, malgré un bon nombre de difficultés techniques : la « chaleur de gueux », le soleil qui les aveugle, la carte son qui grille. Un « elle est beaucoup trop sexy » fuse. C’est vrai que Rebeka Warrior a une prestance inimitable. Alors, lorsqu’elle demande à la foule de s’écarter pour faire pogo, celle-ci s’exécute sans broncher.

Enfin, l’apothéose est atteinte avec l’une de nos « chouchoutes » : Juliette Armanet. « Vous savez, j’ai fait 15h de trajet pour vous voir ». Et quel trajet ! Pour arriver à l’heure, elle a chevauché une moto et a ridé jusqu’à Aulnoye. Sacrée Juju. Elle oscille entre ses slows et ses morceaux groovy où il est impossible de ne pas danser. Triste ironie du sort : « son chagrin d’amour nous aura valu un merveilleux album » résume parfaitement notre directeur d’antenne, Antoine Dabrowski.

Bref, les artistes féminines ont électrisé nos nuits. Chacune à leur manière, elles dessinent les contours d’un manifeste sur ce qu’est d’être une femme et apporte une réponse concrète à la question que nous avons soulevée dans notre dernier numéro print : c’est quoi être artiste en 2022 ?

Meilleur moment : Lorsqu’une pluie de billets à l’effigie de Mara s’est abattue sur nous

Pire moment : Quand on est passé à ça d’attraper la bouteille d’eau de Rebeka Warrior

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