« Borderline » de Tame Impala, quand trop réfléchir gâche un track presque parfait
Souvent, la pratique artistique est faite de jeux d’équilibre. Le tout serait d’être motivé, lancé par un élan créatif, instinctif et brut… qu’on pourra ensuite façonner, modeler, apprivoiser avant de présenter au public le fruit de son travail. Exemple avec « Borderline » par Tame Impala, titre en apparence anodin, mais finalement révélateur d’une chose : à trop réfléchir, on en perd parfois l’essence.
Dans la composition, le jeu d’équilibre réside dans la tempérance du musicien : pour magnifier la proposition de base, naturelle et instinctive, sans qu’elle perde de sa saveur et de son intention première. Bon, je sens qu’on s’empêtre (déjà, oui). Pour être clair, prenons un exemple : le titre « Borderline » de Tame Impala et son contexte, de la sortie du single jusqu’à l’album.
Nous sommes le 12 avril 2019, à l’époque le dernier long-format de Tame Impala –Currents, évidemment- entre dans sa cinquième année. C’est le jour où Kevin Parker décide de sortir un premier single, pour mettre en avant son prochain album. Ce titre c’est « Borderline ». Comme à son habitude, Parker y fait tout : instruments, voix, arrangements. Un bonheur de retrouver l’ami Kevin aussi fringant. C’est encourageant, gavé de bonnes idées, avec ce quelque chose en plus qui différencie les bonnes des très bonnes compositions pop.
En moins de 5 minutes, on a basculé : on attend alors déjà la sortie de l’album, un an plus tard. Si toute la galette est du même niveau… Une basse ronde comme la terre et grasse quand il le faut, les flûtes parsemées au fil de la chanson, des choeurs dans le dernier refrain. C’est aussi l’occasion pour Kevin Parker, dans ses paroles, d’aborder l’évolution du projet : « Shout out to what is done / RIP, here comes the sun (…) Need to vitalize and wait for something ». Eh oui : on est désormais loin du rock psyché des débuts sur InnerSpeaker (2010); les envies et les compositions ont changé.
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Ce « Borderline », c’est un grand espoir. Celui d’un Parker nouveau et libéré de toute contrainte mentale, pour s’aventurer sur les terrains qu’il voudra, assurément pop et même électroniques. En témoigne le Tiny Desk (Home) Concert réalisé sur la chaîne YouTube de NPR peu après. Et puis près d’un an plus tard, après quelques sorties de singles, entre chansons insipides (« It Might Be Time ») et quasi-chefs d’oeuvre (« Posthumous Forgiveness », « Lost In Yesterday »), le nouvel album The Slow Rush sort enfin. À l’intérieur on retrouve « Borderline », dans une version différente.
Cette version album semble policée : exit la voix perturbatrice du début, le gras de la basse… Et a contrario, des lignes mélodiques sont rajoutées par endroits, là où on aurait préféré se laisser respirer. À l’écoute, on a cette impression que « Borderline » est passé à la moulinette du mixage, perdant la rondeur du titre original, ses aspérités, bref : sa saveur. Et peut-être même son intérêt.
L’avis semble partagé par pas mal de fans de Tame Impala. Sous la vidéo YouTube de la première version, beaucoup louent les qualités du titre, jugé bien meilleur que la version album. D’autres la réclament sur les plateformes de streaming (cap. écran à gauche). C’est même devenu une blague récurrente parmi les aficionados de Tame Impala : exemple avec ce commentaire « je préfère cette version de Borderline » sous une vidéo où Parker reproduit à la bouche ses drums préférés (cap. écran à droite).
Évidemment, Kevin Parker garde la main et la maîtrise complète de son projet Tame Impala. Mais avec « Borderline », on peut se demander si l’Australien n’a pas sur-réfléchi. Ce faisant, il semble avoir dénaturé un titre qui possédait un souffle, pour le rendre plus fade. Parfois, l’instinct et la première intention font bien les choses. Le tout serait de se faire confiance.