©Glauco Canalis

Inter[re]view : Ce superbe album de Kamaal Williams n’est pas du jazz, “c’est du Wu funk”

Après l’introductif et désor­mais clas­sique Black Focus avec le bat­teur Yussef Dayes, et le plus com­plexe The Return en solo qui encap­su­lait “l’essence du Lon­dres under­ground”, le vir­tu­ose du clavier Kamaal Williams revient avec un tout nou­veau disque, Wu Hen. Un long qui en dit beau­coup sur son iden­tité per­son­nelle et artis­tique, qui l’impose (enfin) avec fra­cas, comme une référence d’outre-Manche – pour ne pas affirmer autre chose.

Sous un soleil de plomb à l’une des tables de l’Hôtel Amour, au lende­main d’une Fête de la musique un poil spé­ciale pen­dant laque­lle Kamaal Williams – Hen­ry Wu pour le civ­il – ridait sur le toit d’une caisse dans le Pigalle de son ami Stéphane Ash­pool, nous avons ren­con­tré le natif de Peck­ham pour par­ler de Wu Hen, sa toute dernière propo­si­tion musi­cale ; aus­si com­plète que géniale. Autant vous l’avouer tout de suite, et bien enten­du, en accord avec les dires de son créa­teur : “Wu Hen est [s]on meilleur album, le disque ultime”. Alors, que se cache-t-il sous cette pochette à la fois sug­ges­tive et éva­sive réal­isée par le pein­tre en vogue Oth­e­lo Ger­va­cio ?

Wu Hen est mon meilleur album, le disque ultime.”

Art­work

Si vous con­nais­sez l’artiste et ses obses­sions, vous serez donc fam­i­li­er avec cette com­po­si­tion à trois, déjà bichon­née sur ses précé­dents essais, octroy­ant “le plus d’espace pos­si­ble, per­me­t­tant à chaque musi­cien de “s’exprimer le plus libre­ment qu’il soit”. Selon cette idée pré­cise, on est heureux de retrou­ver à la baguette pour la total­ité des cordes du disque, Miguel Atwood-Ferguson, dont la répu­ta­tion et le brio se mesurent à son grand nom­bre de col­lab­o­ra­tions (Ray Charles, Fly­ing Lotus, Dr. Dre, Seu Jorge, Thun­der­cat…). Mais Kamaal a le nez fin, et son flair, en plus de l’allier au(x) meilleur(s), l’a amené à s’associer à un jeune artiste totale­ment dévoué au sax­o­phone, ren­con­tré en tournée, à Atlanta : Quinn Mason. Un tal­ent brut, “un frère”, qui n’a ni plus ni moins “com­plète­ment changé [s]a façon glob­ale de com­pren­dre la musique.”

Avec eux, mais aus­si en com­pag­nie du New-Yorkais Greg Paul à la bat­terie – “le respon­s­able de ce groove appuyé” –, le bassiste Rick James – “un nom comme ça, ça ne s’invente pas” —, Ali­na Bzhezhin­s­ka à la harpe et la chanteuse Lau­ren Faith sur le funky “Hold On” (qu’on vous présen­tait en avant-première), Wu Hen prend une tout autre ampleur. Pour une fois sous ce nom, Kamaal Williams se détache de ce côté plus expéri­men­tal, pour finale­ment accouch­er d’un son plus organique, pré­cis, à en faire pâlir les musi­ciens issus du monde académique du jazz. Sans les nom­mer, et sans en être, le Lon­donien s’amusera sim­ple­ment à dire : “Les mecs, vous vouliez du jazz ? OK, vous l’avez !” Une pos­ture de rup­ture, ou à l’inverse, d’élévation, qui a le mérite d’être directe.

Comme un exem­ple par­mi d’autres, prenons le morceau “Pigalle”. Un titre qui nous a ren­voyé non sans nos­tal­gie dans ce Paris ear­ly fifties qui sédui­sait déjà le jeune Miles Davies – “le vrai monde du jazz” acqui­esce Kamaal. En plein cœur de ce Saint-Germain-des-Prés, qui vibrait aux souf­fles des instru­ments à vent, tran­spi­rant sur ces ritour­nelles de pianos qui rap­pel­lent la façon de jouer des bat­teurs. Ce don avec tech­nique, ces claviers qui son­nent comme des per­cus­sions et qui agis­sent comme de solides “fon­da­tions”, c’est effec­tive­ment la sig­na­ture du lon­donien. Un style ultra-reconnaissable, per­fec­tion­né depuis ses débuts, et finale­ment label­lisé comme étant du “Wu funk”. D’un check assuré et de ce “you got it baby!” qui se passe de tra­duc­tion, nous sommes flat­tés d’avoir visé juste.

 

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En plus d’être son nom d’usage, Hen­ry Wu est égale­ment l’alias que le Lon­donien embrasse lorsqu’il se mue en DJ. Un pro­duc­teur chevron­né, en bon Anglais, fana­tique de house – et par exten­sion de bro­ken beat. Son amour pour ce genre, il l’a con­stam­ment chéri, et comme sur tous ses dis­ques jusqu’ici, Kamaal Williams a tou­jours eu cette volon­té de pro­pos­er “une ver­sion live de la house music – ce qui était d’ailleurs l’idée de base de Black Focus [son pre­mier album sous Yussef Kamaal, avec le bat­teur Yussef Dayes]”. Pour Wu Hen, c’est le track “Mr Wu” qui décroche ce pré­cieux rôle ; et quel nom plus appro­prié à ça, finalement ?

Puisque Kamaal Williams men­tionne son pre­mier disque, nous n’avions pas d’autre alter­na­tive que de lui deman­der un bref com­men­taire sur le long de Dayes et Tom Misch. La réponse vaut son pesant d’or : “Tu sais, je suis un sportif, un vrai com­péti­teur. Je pen­sais que son album me remet­trait illi­co au boulot. Mais ça n’a pas été le cas, son disque m’a vrai­ment déçu. Yussef n’est pas cen­sé être le meilleur bat­teur ? On a déjà fait un clas­sique ensem­ble, alors, s’il est chaud, retournons en stu­dio pour faire un Black Focus 2 !” On ne va pas refaire l’histoire, mais si on peut la faire avancer…

©Glau­co Canalis

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