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Crédit : Le Contenu
5 avril 2019

Chaton : « Brune Platine, c’est moi »

par Simon Capelli-Welter

29 novembre 2017, le monde découvre Chaton, et son drôle de clip « Poésies ». Un an et demi plus tard, 5 avril 2019, l’animal sort son nouvel album, Brune Platine. Entre les deux, il s’est passé pas mal de choses, entre concerts, Colors, succès, compliments d’Audrey Fleurot ou découverte de la paternité. Quand même, il était temps de défaire un peu la pelote.

Si vous êtes plutôt Spotify :

À quel moment de l’aventure Chaton, tu t’es dit que ça dépassait tout ce que tu avais pu imaginer, espérer ? Un moment où tu réalises et te dis « non mais ok, c’est un délire là » ?

Sur la route. Ça se matérialise vraiment à ce moment-là. Que ce soit une salle, où t’es complètement halluciné parce que les gens connaissent tout et te soutiennent, ou en festival, quand tu joues devant des tonnes de gens, alors qu’un an et demi avant, t’étais en train de finir un disque que tu pensais sortir sous le manteau…

Et y’a pas un moment où tu te dis que c’est trop, une peur que le truc ne t’appartienne plus ?

C’était très dense tout ça, c’est allé très vite, donc je n’ai pas eu trop le temps de tergiverser. Je tenais à continuer de créer, justement pour ne pas laisser la place à cette peur panique d’enchaîner. Quand tu fais un truc qui est un peu exposé, tu peux commencer à réfléchir en fonction des gens, à intellectualiser un peu trop et oublier pourquoi tu fais les choses ; c’est vraiment tout ce que je ne voulais pas faire. Parce que ton propos prend sens au moment où tu arrêtes de l’intellectualiser. C’est une super leçon : ta singularité, c’est ce qui fait ce que tu es ; soit tu essayes de la maquiller, soit tu l’épouses. Quand tu ne l’épouses pas complètement tu peux encore dire : « c’est parce que je n’ai pas tout donné ». Mais une fois que tu l’épouses complètement, c’est sans filet. Tu n’as rien à perdre, tu donnes tout. Et pour le coup, si tu prends un mur, c’est très dur. C’est aussi pour ça qu’on fuit ou retarde ce moment-là. Mais ouais, il y’a eu des trucs hallucinants, et tu les perçois plutôt dans le ressenti des gens. Au moment où tu fais un JT de M6, l’entourage, au sens large, te parle différemment : « Ah mais il est vraiment connu en fait ».

Forcément, tu passes sur la chaîne de Top Chef, tu deviens populaire.

C’est la première fois où t’es en famille à l’autre bout de la France, dans un resto machin, et t’as un mec qui vient te demander un selfie. Là, tu te dis, « Ok, là y’a un truc qui a dépassé ce que j’espérais… ». Non mais même pas dépassé ce que j’espérais en fait. J’espérais juste faire un disque. Dès le début, c’était fou pour moi, donc tout le long, ça n’a été qu’une escalade de folie.

La bascule pour toi entre les médias disons plus branchés, prescripteurs, et le vrai grand public, comment tu t’en rends compte ?

Le moment où tu le sens, c’est parce que t’as un différent public, composé de gens qui ne sont pas concernés par les canaux dans lesquels tu t’exprimes habituellement. Dans un festival, une dame est arrivée face à moi, tombe en larmes, et me dit « depuis qu’Audrey Fleurot a parlé de vous à la télé, je vous suis ». Audrey Fleurot, c’est une actrice qui a dit un jour un truc hyper sympa sur « Poésies » (et qui, ndlr, joue dans Engrenages ou Intouchables pour ceux qui ne voyaient toujours pas).

Peut-être qu’elle ne connaissait pas Chaton, mais certains des morceaux de variété que tu avais écrit auparavant ?

Plein de gens se sont retrouvés à écouter « Poésies » et ne peuvent absolument pas savoir que j’ai écrit « Je danse » pour Jenifer.

Et qui ne te croiraient jamais si tu leur disais que c’était toi…

Ça m’arrive de temps en temps, quand je discute avec des gens qui ont peu diggé sur Internet : « ah mais en fait, c’est toi qui a fait ça ? »

Et de l’autre côté du spectre médiatique, tu as fait une session Colors.

Tous les artistes demandent à faire Colors je crois dans la vie. Donc le label avait fait une demande, et en fait, le mec qui masterise mes disques me dit « un mec essaye de te joindre, il s’appelle Jimmy, il bosse pour Colors, je sais pas si tu connais ». J’étais juste ouf. J’adore leurs sessions. Et ça c’est confirmé quand je suis allé là-bas, ils sont juste mortels.

Ce deuxième album, c’est une évidence totale, mais on sent que c’est forcément la suite du précédent. Déjà à travers le motif de la paternité, mais aussi parce tu es encore plus « chaton ». Quels verrous supplémentaires as-tu fait sauter entre ces deux albums ?

Je me suis vraiment astreint à être sans filtre, et à ne jamais chercher à me donner un rôle qui soit le bon ou le mauvais, juste à dire : « voilà, c’est ça ma vérité ».

Mais tu le fais déjà sur le premier album ça…

Oui, mais c’est une question de confiance. Quand je fais le premier, je donne tout ce que j’ai et je n’ai pas de filtres, mais personne n’est là pour me taper sur l’épaule et me dire qu’il a envie d’écouter ce que je fais. Là, y’avait une attente, une bienveillance aussi, ça me donne envie de rendre la pareille, et de mettre encore moins de filtres.

Et techniquement, entre les deux albums, tu as progressé ?

Au départ, j’ai choisi de garder le même set-up, c’est à dire à la maison dans les mêmes conditions, pour m’éviter de me distraire du propos même. Effectivement, sur un deuxième album, après un premier qui a connu un peu de visibilité, on peut te proposer plus de moyens techniques. Mais je pensais, dans ce cycle de création, que c’était dans cette configuration que j’étais le plus juste. On verra après en tout cas.

Ça sort d’ou « Brune Platine » ?

À la base, titrer un album avec le nom d’une chanson n’était pas mon truc. Quand j’ai fait cette chanson, l’idée, en gros, c’est de dire à ma fille « tu m’as changé, mais je demeure ce punk qui va pas aller dans le sens de la marche, mais pour toi et rien que pour toi, s’il faut retourner à l’usine, je retournerai à l’usine. Je redeviendrai Brune Platine. » Pour moi, Brune Platine, c’est tout ce que je peux être, comme à l’époque où quand je faisais un disque, c’était platine. Et je trouvais aussi que ça sonnait super, qu’il y’a un truc dans le non-genré, je trouvais ça col de parler de moi au féminin. Parce que c’est moi Brune Platine… En fait, la cover a été décidée avant le nom. Et après, j’ai eu envie de l’appeler « Brune Platine », parce qu’avec cette image, ça veut dire plein de choses. Parce que tout ça c’est trouble, pour moi, pour les gens. Le genre. Le mainstream, pas mainstream.

Tu t’es amusé à googler Brune Platine ?

Non.

Brune Platine est également le titre d’un roman de Séverine Danflous. En gros, c’est l’histoire d’un cinéaste, Paul, qui cherche à mettre en scène une nouvelle adaptation de L’Odyssée. C’est un roman sur la post-modernité et tout le dilemme du processus créatif actuel, entre le désir d’inventer de nouvelles formes mais aussi la conscience que tout a déjà été fait, écrit, dit, chanté…

J’ai le sentiment, en tout cas, qu’on est à l’aube d’un nouveau paradigme niveau création. Je suis déjà trop avancé dans ma vie et dans ma carrière pour y participer d’une façon franche. Puis j’ai été élevé avec une somme de modèles qui sont trop durs à remettre en question. Mais les moyens d’expression comme de diffusion se modifient, l’intelligence artificielle aussi, quelque chose va radicalement changer. Je pense que c’est une question de format général. Et le mystère humain reste infini. Là, ma grand-mère vient de décéder ; ça m’a mis face à la mort. Tu te reposes des questions mais tu ne trouveras jamais la réponse, c’est complètement aberrant l’existence. Cette réponse, on ne l’aura jamais, donc on va continuer à la tourner dans tous les sens. Ce qui va beaucoup changer, ce sont les outils, mais au final, depuis toujours, on raconte toujours la même chose. De toute façon, les créatifs, c’est toujours pareil, ils racontent quelque chose parce qu’ils ne sont pas à l’aise dans l’existence. C’est ça le moteur de chaque création.

Au départ, il existe forcément une asymétrie, un mal-être ?

Une incompatibilité au moins. Mais je suis content d’être incompatible avec une partie du monde : je ne le vénère pas vraiment.

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