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©Coline Bonnaud
7 avril 2021

Comment le rédac chef de Trax a tout lâché pour lancer son média sur l’écologie, Pioche!

par Tsugi

Le nouveau magazine en ligne Pioche! fait, entre autres choses, le pont entre deux sujets encore trop peu traités ensemble, l’écologie et la musique. On a cherché à comprendre comment on passe de l’électronique au vert avec Jean-Paul Deniaud, anciennement rédacteur en chef de Trax et nouvellement cofondateur, avec Calixte de Procé, de ce joli média sur les initiatives écologiques.

C’est dans l’air du temps et ce n’est pas trop tôt : les initiatives écologiques se multiplient… presque autant que les moyens de les raconter. Initiative écologique en soi, le nouveau magazine en ligne Pioche! veut se faire le relais des « initiatives écologiques et solidaires locales, avec un regard ouvert et curieux ». En pleine campagne de levée de fonds en vue de son lancement officiel, le média donne déjà de quoi réfléchir sur son site avec, par exemple, des articles sur une veste de ski « 100% biosourcée » ou une application qui scanne l’impact environnemental des produits en rayon. Mais aussi – et surtout pour nous – plusieurs articles en lien avec la musique électronique comme la BO d’un film sur les microplastiques signée SebastiAn ou une interview de l’artiste techno français Molécule sur son rapport à la nature. Un axe musical si fort que même l’artiste techno française La Fraîcheur, engagée pour l’environnement, offre huit tracks à télécharger contre 5€ de soutien à la campagne de Pioche!.

Une surprise qui n’en est pas vraiment une quand on sait qui est derrière le projet ; un certain Jean-Paul Deniaud, ancien rédacteur en chef du magazine des cultures électroniques Trax. Avec le journaliste Calixte de Procé, ils se lancent dans cette nouvelle aventure qui, de fait, construit un pont entre deux sujets encore trop peu traités ensemble, l’écologie et la musique. Avec lui, on a cherché à comprendre comment on passe de l’électronique au vert.

« On veut parler de cette écologie locale de la même façon que si c’était de la musique, des festivals ou de jeunes collectifs : en racontant la motivation et la personne qui est derrière, avec énergie, curiosité et bienveillance. »

Qui es-tu Jean-Paul Deniaud ? Raconte-nous un peu ton parcours jusqu’ici…

D’abord, merci pour cet entretien pour Tsugi, un magazine que j’ai lu dès son premier numéro en 2007, et que je rêvais secrètement de rejoindre lorsque je suis arrivé à Paris comme jeune journaliste il y a dix ans. Les hasards de la vie ont fait que je me suis finalement retrouvé chez Trax, dont je suis devenu rédacteur en chef en 2014, puis directeur éditorial, jusqu’à mon départ en juin 2020 pour monter Pioche!, mais c’est un petit kiff perso d’être enfin publié chez vous.

Quand j’étais chez Trax, j’ai essayé de détacher le magazine de la hype club et Ibiza où il était un peu coincé depuis quelques années pour renouer avec ce qui m’avait plu quand j’ai découvert ce magazine au lycée : un mag de toutes les musiques électroniques, des plus “intello” aux plus “populaires”, de la techno des villes à la techno des champs. J’avais très envie de lire du journalisme sérieux sur des cultures souvent méprisées par les rédacs parisiennes comme la psytrance, la hardtek, le hardcore. Tout en suivant bien sûr de près les autres avant-gardes plus “légitimes”.

Je viens d’un parcours universitaire assez politique et ancré à gauche. Trax a aussi été un moyen, je l’avoue, de voir le magazine comme une sorte de cheval de Troie pour porter ces valeurs de diversité, de féminisme, de territorialité, d’écologie, qui sont d’ailleurs inhérentes aux cultures électroniques. Je suis fier d’avoir porté en couv une Black Madonna déjà engagée et encore méconnue, un Kiddy Smile sous les ors de la République après son coup d’État queer à l’Élysée, ou encore en 2016 un numéro écolo titré en couv « Peut-on faire la fête et sauver la planète ? ».

Tu viens de lancer Pioche!, de quoi s’agit-il exactement ?

Oui, après ces sept années à défendre la musique tout en étant personnellement très engagé, que ce soit chez Technopol ou ailleurs, j’ai convenu avec l’équipe de Trax qu’il était bon de prendre le large pour porter mes projets. Parmi ceux-là, il y avait surtout cette idée de magazine en ligne dédié à l’écologie locale et citoyenne qui m’habitait depuis un an. Au même moment, c’était au lendemain du premier confinement, mon ami Calixte de Procé, également journaliste culture, revenait tout juste de Montréal. On s’est appelés dix minutes – Calixte avait la même envie de porter ces sujets – et la seconde suivante on commençait à bosser ensemble.

On partageait le constat qu’il y a plein de gens qui s’intéressent à l’écologie mais qui ne vont pas lire les médias spécialisés sur la question. Ce ne sont pas forcément des militants mais des écolos du quotidien, ceux qui changent peu à peu leurs modes de vie, se posent des questions sur leurs anciennes habitudes, font des petits choix du quotidien qui comptent, même s’ils ne vont pas aller bloquer un aéroport. Attention, on a aussi besoin de ceux qui bloquent les aéroports, mais il faut un faisceau d’engagements.

« Pioche!, on l’a voulu justement pour montrer que ce « monde d’après » qu’on désire tant est en fait déjà là, sous nos yeux, prêt à être saisi et qu’il faut le soutenir. »

Dans le même temps, il y a aussi plein de solutions qui se créent en France pour mieux manger, s’habiller français, voyager dans nos régions. Il y a plein de jeunes qui s’engagent pour faire de meilleurs produits, faire de la consigne, qui créent des outils pour nous aider à passer le pas. On a tous envie de ça, mais on ne sait parfois pas trop comment faire. Pioche!, on l’a voulu justement pour montrer que ce « monde d’après » qu’on désire tant est en fait déjà là, sous nos yeux, prêt à être saisi et qu’il faut le soutenir.

Surtout, on veut parler de cette écologie locale de la même façon que si c’était de la musique, des festivals ou de jeunes collectifs : en racontant la motivation et la personne qui est derrière, avec énergie, curiosité et bienveillance. Et comme pour la culture, on se dit que ça peut permettre de renforcer ces solutions pour qu’elles deviennent de solides alternatives. Montrer que c’est possible, c’est aussi convaincre que, oui il y a de l’espoir, et qu’on n’est pas obligé d’aller voter contre, qu’il y a des solutions.

 

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De la musique électronique à l’écologie donc… Quel a été le déclic ? Une envie, une obligation, une urgence, une opportunité ?

Avec Calixte, on a tous les deux grandi à la campagne, lui en Bretagne, moi en Vendée. On a donc un rapport particulier à nos environnements de vie. Quand on revient chez nous ou quand on se balade en région, on voit bien qu’il n’y a plus toute cette faune, tous ces insectes, qu’on a connus. C’est hyper flippant ! Il faut se bouger maintenant, c’est clair. Nous sommes déjà en retard. Dire qu’il y a urgence ne sert à rien, on le sait. Plusieurs études montrent qu’on n’est pas, en tant qu’humain, sensible à ce type de message tant que ça ne nous touche pas. On le ressent avec le Covid : soudain, ça nous touche et on écoute, on ressent l’urgence. Pas tous malheureusement, mais ça bouge quelque chose en nous. On sait qu’il faut prendre les choses en main.

« Les artistes ont toujours été aux avant-postes des combats de leurs époques. Et c’est d’autant plus vrai pour la musique électronique. »

On s’est également dit que c’est en faisant ce qu’on sait faire de mieux qu’on allait pouvoir faire notre part. Le journalisme culturel est un journalisme amoureux. Il reste critique et vigilant, il n’ignore pas son histoire et il comprend les enjeux en cours. Mais il est franc et passionné, il transmet un enthousiasme sincère. C’est, je crois, ce dont l’écologie a besoin aujourd’hui. De passeurs d’histoires et d’émotions qui nous ont touchées, pour toucher le lecteur et l’inviter à agir, pourvu qu’on soit honnête avec lui.

On n’imagine pas forcément ces deux mondes-là liés, pourtant, quand on lit vos premiers travaux sur Pioche!, on a des articles sur l’artiste techno Molécule qui parle d’écologie ou de Massive Attack sur l’empreinte carbone des tournées musicales. Il y a donc de la matière et des ponts, c’est ce que vous vouliez démontrer avec ce projet ou est-ce que vous comptez aller plus loin ?

Les artistes ont toujours été aux avant-postes des combats de leurs époques. Et c’est d’autant plus vrai pour la musique électronique. C’est bien sûr le cas pour l’environnement, chez nous comme ailleurs. Fakear jouait derrière la militante Camille Etienne lors de la dernière Marche pour le Climat à Paris, Rone a consacré sa dernière œuvre, Room With A View, à l’urgence climatique, Anetha mène un combat pour des tournées plus responsables, La Fraîcheur ou Molécule s’engagent aussi via leurs œuvres et leurs prises de paroles… Beaucoup de Français ont rejoint l’appel international Music Declares Emergency aux côtés de Thom Yorke, Massive Attack et beaucoup d’autres, dont Pioche! Donc les ponts existent, à fond ! Et il faut en parler.

 

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La culture est aussi à un tournant. Les concerts plein de plastique et de débauche d’énergie, les déplacements en avion, les flux de public, le stream… Le monde de la culture sait qu’il doit repenser ses modèles, et c’est un défi dans ce contexte où elle est extrêmement fragilisée. Mais c’est possible. On le voit avec un We Love Green qui traite ces questions et trouve des réponses, même si c’est un énorme enjeu que de construire une ville éphémère de 50 000 ou 80 000 personnes sans impact. S’il y a bien un milieu où se trouve la créativité pour inventer des choses, servir d’exemple ou de passerelle pour inspirer, c’est bien celui des arts. C’est, je crois, clairement l’une des luttes que les artistes ont à mener aujourd’hui, et beaucoup sont déjà sur le pont. En tant qu’anciens journalistes culture, c’est bien sûr autant de sujets dont on veut traiter sur Pioche!.

Sur une note plus personnelle, quand tu te retournes sur l’état de la scène électronique à partir du moment où tu as commencé à la défendre en 2013 jusqu’à aujourd’hui, quelles conclusions te viennent ? Et penses-tu qu’elle aille dans le bon sens ?

La scène électronique est fabuleuse : quelle autre culture musicale s’est autant réinventée et avec autant de diversité depuis son apparition ? Aujourd’hui, cette scène, qui est en grande partie festive même si elle ne se réduit pas à cela, souffre grandement. Parce qu’au-delà de la scène, c’est aussi une culture qui manque. On manque de ce que produisent les événements électroniques sur le public : la liberté d’être soi-même parmi les autres et de “rencontrer”, au sens fort de la rencontre. C’est-à-dire aller au-delà de soi, s’ouvrir à l’inconnu, et être surpris par des choses nouvelles, hasardeuses, qui vont nous construire. Cette “sécheresse” actuelle est difficile à vivre, surtout pour les plus jeunes qui ne vivent pas ces moments importants. Sincèrement, c’est un crève-cœur.

« Quand la fête repartira, la musique électronique sera à nouveau au rendez-vous des enjeux d’aujourd’hui, c’est dans son ADN. »

Dans le même temps, la scène en a profité pour se retrouver après dix ans de faste et de succès. Les compétiteurs d’hier se sont mis autour de la table pour se serrer les coudes. On retrouve un peu cette conscience de “scène” du milieu des années 90, quand sont nés Technopol et la Techno Parade. Cette crise est dure et va laisser des traces, notamment chez les artistes. Mais il va en ressortir des collaborations intéressantes. Et c’est déjà le cas entre organisateurs… Il faut s’accrocher. Selon les oracles, la fête pourrait revenir dès cet été. Et quand ça repartira, la musique électronique sera à nouveau au rendez-vous des enjeux d’aujourd’hui, c’est sûr, c’est dans son ADN.

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