Bendik Giske @ HAU 1 © Stefanie Kulisch CTM 2019

CTM Festival : 7 artistes aux portes du futur de l’électronique

Véri­ta­ble porte sur le futur de la scène élec­tron­ique, le CTM Fes­ti­val de Berlin clô­tu­rait sa 21e édi­tion le 2 févri­er. Entre musique avant-gardiste, tech­no pleine puis­sance et per­for­mances éton­nantes, on vous racon­te ce qu’on a préféré.

21e édi­tion pour le CTM Fes­ti­val (orig­inelle­ment Club Trans­me­di­ale) qui se déroulait du 24 jan­vi­er au 2 févri­er à Berlin, un fes­ti­val avant-gardiste et essen­tiel qui ne se focalise pas unique­ment sur la musique élec­tron­ique et l’art, mais aus­si sur toutes leurs man­i­fes­ta­tions les plus « aven­tureuses », con­tem­po­raines, dig­i­tales et expéri­men­tales. Sa par­tic­u­lar­ité ? Il s’est bâti sur dif­férents lieux (clubs, salles de con­cert, jardins…), dif­férents for­mats (instal­la­tions, DJ sets, lives, sound­bath, labs…), des approches très tech­niques ou au con­traire très poé­tiques, des styles var­iés allant de la noise à la trap en pas­sant par la tech­no, et des influ­ences inter­na­tionales…. Bref, la diver­sité y est érigée comme force.

En plus d’être un véri­ta­ble vivi­er de tal­ents, c’est l’endroit idéal pour que les artistes puis­sent s’exprimer de façon moins con­ven­tion­nelle, et que tout fasse un sacré pied-de-nez à l’uniformisation ambiante. D’ailleurs, le fes­ti­val est parte­naire de la plate­forme européenne SHAPE qui sou­tient les créa­tions audio­vi­suelles inno­vantes et les artistes de demain. Le thème de cette année était « Lim­i­nal », à la lim­ite de la per­cep­tion, et on a pu assis­ter à toutes sortes d’expériences entre­coupées de nuits très très cour­tes. Voici le réca­pit­u­latif des per­for­mances les plus mar­quantes de cette édi­tion 2020.

Louis-Philippe Demers & Bill Vorn — “Infer­no” — radi­al­sys­tem Halle © Ste­fanie Kulisch / CTM 2020

Hildur Guðnadóttir, compositrice de la BO de Joker et de Chernobyl

On l’attendait avec impa­tience, la venue de la tal­entueuse com­positrice et musi­ci­enne islandaise Hildur Guð­nadót­tir, qui a col­laboré aupar­a­vant avec Sunn O))) ou Ani­mal Col­lec­tive, et qui a raflé tout un lot de dis­tinc­tions en 2019–2020. Un Oscar et un Gold­en Globe pour la musique du film Jok­er et un Emmy et un Gram­my Award pour la BO de Cher­nobyl, la mini-série sur le drame nucléaire de 1986. C’est une ver­sion con­cert sen­sa­tion­nelle de Cher­nobyl que l’on nous a pro­posée à la Beton­halle de Silent Green (ancien Cre­ma­to­ri­um), avec une scéno­gra­phie vrai­ment réussie qui alli­ait lumières froides ou alar­mantes et néons stro­bo­scopiques, le tout dans un nuage opaque de fumée et une ambiance quasi-oppressante. Les musi­ciens au cen­tre de la salle, des mod­u­laires, un son spa­tial­isé et lit­térale­ment radioac­t­if, et Hildur Guð­nadót­tir au micro qui achevait de planter le décor avec des par­ties chan­tées dra­ma­tiques. On était tous à ce moment-là, à Tch­er­nobyl, avec nos masques et nos comp­teurs Geiger imaginaires.

Hildur Guð­nadót­tir – “Cher­nobyl” ft. Sam Slater & Chris Wat­son — silent green – Beton­halle © Irma FS / CTM 2020

Hildur Guð­nadót­tir – “Cher­nobyl” ft. Sam Slater & Chris Wat­son — silent green – Beton­halle © Irma FS / CTM 2020

 

Astrid Gnosis, la grande gueule

La grande gueule du CTM, c’était elle. On était beau­coup à ne pas encore la con­naître mais à coups de « Drop Dead » et de « Fuck You » sur fond de visuels gothico-tuning sor­tis de nulle part, Astrid Gno­sis nous a plu, frontale­ment. Vivant à Lon­dres, assumant son héritage colom­bi­en, se procla­mant comme artiste, celle qui « glo­ri­fie le malaise comme moyen d’existence » et cherche à décon­stru­ire les tra­vers de la société occi­den­tale a réus­si à nous faire jubil­er avec sa vio­lence ver­bale assumée, mais portée par une voix qui a du cof­fre, des rythmes gab­ber voire hard­core et des clins d’œil sup­posés à Mar­i­lyn Man­son. Déca­dente et cathartique.

 

Aquarian, club music et plus encore

On a ren­con­tré Aquar­i­an autour d’un thé, quelques jours après son pas­sage remar­qué au Berghain, tem­ple tou­jours aus­si impres­sion­nant de la tech­no. Le jeune orig­i­naire de Toron­to vient tout récem­ment de quit­ter New York où il a ter­miné ses études de pho­to pour démé­nag­er à Berlin, ville qui a catalysé toutes ses espérances car il enchaîne depuis les dates, vient de rejoin­dre la plate­forme SHAPE, et de sor­tir son pre­mier album sur le label Bedouin Records : The Snake That Eats Itself. Il nous avouera d’ailleurs qu’il s’impatientait de pou­voir sor­tir ces dix titres qu’il avait gardés bien au chaud depuis 2016 pour se con­sacr­er à son autre pro­jet plus ori­en­té club, AQXDM avec le Français Deap­mash. Parce qu’Aquarian, c’est un peu plus que du club, c’est une vraie recherche de sound design et d’ambiances, avec des approches ciné­ma­tiques ou car­ré­ment post-drum’n’bass hyper justes. Gros poten­tiel, on met sans hésiter une petite pièce sur lui.

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VTSS, nouvelle techno

Si la nou­velle scène tech­no pou­vait avoir un porte-étendard, ce serait sans doute elle : Mar­ty­na Maja aka VTSS. La Polon­aise pos­sède sans con­teste la force de frappe et l’assurance néces­saires pour se propulser dans le techno-game, dans le sil­lage de ceux qui aiment quand ça tape comme il faut tout en gar­dant la tête sur les épaules. Récem­ment nom­mée rési­dente des soirées parisi­ennes Pos­ses­sion, une des artistes SHAPE 2020, pro­gram­mée dans tous les meilleurs évène­ments du genre à l’international, elle garde cette apti­tude à nous pren­dre de court dans ses pro­duc­tions comme dans ses mix­es. Comme à ce clos­ing du ven­dre­di soir au Berghain où elle nous a tous enflam­més avec un set tout en crescen­do, moins EBM que prévu, mais avec de beaux enchaîne­ments breakés et une énergie qui don­nait claire­ment envie de faire des heures supp’. En un mot : puissant.

 

Emptyset, Intelligence Artificielle

Avant-garde, noise, con­ceptuel, on pour­rait décrire de plusieurs façons la musique d’Emptyset. Depuis sa créa­tion en 2005 à Bris­tol par James Ginzburg et Paul Pur­gas, Emp­ty­set est passé par les labels Raster Noton ou dernière­ment Thrill Jock­ey, mais aus­si par toutes sortes d’expérimentations : instal­la­tions artis­tiques, per­for­mances (comme Sig­nal en 2015 qui étudie la prop­a­ga­tion du son dans l’ionosphère), réflex­ions sur la composition…parfois à la lim­ite de l’art con­tem­po­rain. Mais leur tout dernier sujet d’exploration, c’est l’Intelligence Arti­fi­cielle. Ils ont dévelop­pé la leur pen­dant deux ans et l’ont util­isée pour com­pos­er leur dernier album Blos­soms. Sonorités métallisées, agres­sives, vrai­ment inhab­ituelles, de quoi faire trem­bler les murs béton­nés du Berghain, sold-out ce soir-là, et transpercer nos frag­iles enveloppes cor­porelles. Une jouis­sance franche­ment pas ordi­naire (sorte de sado­masochisme sonore) qu’il faut vivre pour comprendre.

 

Debmaster X MC Yallah, futur africa

Le gang Nyege Nyege, du label ougandais, était tout par­ti­c­ulière­ment mis en valeur cette année avec la venue de pas mal de ses artistes phares : Catu Dio­sis, DJ Dia­ki, la The Nakibe­m­be Xylo­phone Troupe qui a fait une per­for­mance superbe, mais aus­si Deb­mas­ter et MC Yal­lah qu’on a enten­dus dans l’enceinte du club Schwuz. Fort de leur dernière album Kubali, sor­ti à l’automne dernier, le duo a fait une belle démon­stra­tion de son effi­cac­ité sur scène, entre MC Yal­lah, petit bout de femme au flow impa­ra­ble et au peps con­tagieux et Deb­mas­ter aux platines et à la pro­duc­tion, pour un ren­du entre bass music, trap voire rag­ga, mais tou­jours attaché à ses racines africaines.

Deb­mas­ter & MC Yal­lah — SchwuZ I © Ste­fanie Kulisch / CTM 2020

Deb­mas­ter & MC Yal­lah — SchwuZ I © Ste­fanie Kulisch / CTM 2020

 

Maria Thereza Alves & Lucrecia Dalt, balade bucolique

Alors non, ce n’était pas un con­cert mais une instal­la­tion sonore, « You will go away one day but I will not », dans une serre trop­i­cale, au Jardin Botanique de Berlin. Splen­dide idée. Nous étions invités à pren­dre un casque bin­au­r­al muni de cap­teurs qui nous per­me­t­tait de déam­buler et d’explorer indi­vidu­elle­ment dans la serre une créa­tion sonore spé­ciale et évo­lu­tive, inspirée par le tra­vail de Maria T. Alves avec le peu­ple Guarani, com­mu­nauté indigène du Brésil et mise en forme par Lucre­cia Dalt qu’on con­nais­sait pour ses explo­rations sonores, son don pour les nappes éthérées et les nar­ra­tions intimistes. En util­isant les voix Guarani, leurs maximes, sur un tapis de sonore végé­tal et de musique organique, les deux femmes nous amè­nent à sen­tir que la forêt et ses mur­mures sont bien présents, vivants, et nous accompagnent.

Instal­la­tion by Maria Thereza Alves and Lucre­cia Dalt — Botan­ic Gar­den Berlin © Ste­fanie Kulisch / CTM 2020

Instal­la­tion by Maria Thereza Alves and Lucre­cia Dalt — Botan­ic Gar­den Berlin © Ste­fanie Kulisch / CTM 2020

 

Tant de bons artistes ! Men­tions spé­ciales égale­ment à Jacob Kirkegaard pour sa pièce Opus Mors, pour laque­lle il enreg­is­tra notam­ment les sons d’une cré­ma­tion et d’une autop­sie, le jam mod­u­laire de 8h de 3DDancer (Axel the Fairy, Rachel Lyn, Vol­rup­tus) au Saüle, Patiño & Schut­tel pour leur per­for­mance basée sur le rire avec cinq comé­di­ens, l’Américaine Bby­Mutha et son rap engagé, le grand Square­push­er pour son live Warp aux 200BPM de moyenne et Robert Henke, le papa d’Able­ton, qui œuvrait en live sur de vieux ordi­na­teurs CBM 8032 des années 80.

Nik Nowak — The Man­tis @ CTM Fes­ti­val © Camille Blake — CTM-14

Jacob Kirkegaard — Opus Mors — silent green Beton­halle — © Irma FS / CTM 2020

Music­Mak­ers Hack­lab Finale 2020 — radi­al­sys­tem Halle – © Eunice Mau­rice / CTM 2020

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