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25 janvier 2018

Daniel Alexander, ex-Breton, compte bien changer l’image de la chanson politique

par Clémence Meunier

Peu de photos, peu d’interviews. Difficile d’en apprendre des tonnes sur Daniel Alexander, si ce n’est qu’il est anglais, roux, ex-bassiste de Breton. Et, surtout, auteur d’un premier EP solo, Unfree, sorti fin novembre sur le label français Maison Ainsi (Haje, Nuit Ocean), écrit, composé et arrangé seul. Soit cinq titres où une pop belle à en pleurer – qui rappelle forcément les belles heures de feu Breton – rencontre des textes politiques et engagés (à gauche). Une formule originale dans un style plutôt connu pour ses chansons d’amour, que ses productions mélancoliques pourraient tout à fait accueillir sans que quiconque ne cille. Mais Daniel Alexander, pour qui Breton et ses deux excellents albums sortis en 2012 et 2014 furent la première « vraie » expérience musicale, a d’autres choses à dire. Et, après quelques mois à sortir des titres de ci de là, il a aujourd’hui bien envie d’en parler haut et fort, à coups de grandes tirades passionnantes, de fougue à l’anglaise (on aura enlevé les « fucks » de notre traduction, vous ne nous en voudrez pas) et de recherche d’originalité. Histoire de se convaincre que la chanson politique n’est pas réservée aux punks ou aux saltimbanques qui sentent le tabac froid. De quoi découvrir, aussi, une personnalité atypique sur une scène pop augmentée d’électronique généralement policée, en attendant de le voir ce mercredi 31 janvier au Pop-Up du Label à Paris.

Avec ta pop triste infusée de soul froide, on doit souvent te rapprocher de James Blake. Tu te retrouves dans cette comparaison ?

J’écoute pas mal James Blake, je trouve qu’il est brillant et représente un phénomène musical générationnel. Mais je suis toujours surpris quand on me rapproche de James Blake, il a tellement de capacités vocales, c’est très flatteur ! Je ne sais pas si je fais partie d’une scène en particulier et même si je ressens une affiliation avec certains artistes, c’est plutôt sur un plan spirituel ou intellectuel, comme Kate Tempest, qui écrit des trucs très puissants. Elle raconte l’intime avec une perspective très anglaise, elle arrive à évoquer des sujets politiques via des histoires personnelles. Ça me parle beaucoup, et c’est quelque chose que j’adorerais essayer de faire, plutôt que d’être à 100% politique. Mais en ce moment, pour moi c’est Arca le meilleur. Il est gender-fluid, ressemble à un alien… Il vient du futur ! J’aime le fait qu’il soit si progressiste et visionnaire, et j’aimerais bien comprendre ce qu’il dit dans son dernier album – malheureusement, je ne parle pas espagnol. Mais je suis sûr que certains sujets trouveraient un écho chez moi, tout comme le fait qu’il essaye constamment de créer de nouveaux environnements sonores, en permettant aux gens d’écouter quelque chose qu’ils n’ont jamais entendu avant. C’est ce que je voudrais faire aussi. Je veux pas être juste ce mec blanc avec une guitare et une batterie qui chante des trucs de merde. Je veux être moderne.

La dernière actualité d’Arca, c’est l’album Utopia qu’il a produit pour Björk. Tu as déjà écrit pour d’autres ? 

Non jamais mais j’aimerais bien ! J’ai toujours eu des fantasmes sur le fait d’être le quatrième membre de Young Fathers, donc ça serait chouette de produire leurs morceaux (rires).

Au-delà des productions, l’intérêt de cet EP réside dans les paroles, en anglais. Pour les LV1 espagnol parmi nous, ça t’ennuierait d’expliquer le sujet d’une de tes chansons ? Mettons, « Separatehood » ?

J’aime bien les paroles de cette chanson, elles sont un peu plus imagées que sur mes autres titres. J’y parle de ce mythe de la séparation que l’on peut ressentir entre nous, humains, qui nous empêche de réaliser de vrais progrès ou changements sur les machinations massives, non durables et meurtrières des gouvernements. Si nous pouvions surpasser ces séparations illusoires, tout ce qui nous divise et nous fait nous battre les uns contre les autres, nous pourrions nous rendre compte de toutes ces choses qui, pour l’instant, nous dépassent. C’est utopiste bien sûr, et ça pourrait même être considéré comme mielleux, mais l’isolement mène à l’isolement. Et « ils » veulent que nous restions comme ça, pour que nous demeurions immobiles. C’est pour ça que je chante « my separatehood don’t do me no good ». Cette chanson parle aussi des médias, des « news », avec notamment les phrases « Have you been listening to the bells ? Singing in fiction, a twisted hand around my throat », pour évoquer les cloches qui autrefois sonnaient quand il se passait quelque chose d’important dans un village. C’est drôle qu’on appelle ça des « news » d’ailleurs, c’est de la connerie : on vit dans l’appareil de propagande le plus avancé qu’il n’ait jamais existé. Peut-être que ça a été le cas un jour, mais aujourd’hui ce n’est pas comme si les « news », les « nouvelles », étaient ce truc indépendant qui te raconte tout simplement ce qu’il se passe dans le monde. Non, les médias présentent des événements avec des images et des mots bien précis, pour susciter les émotions qu’ils veulent chez leur lecteur ou spectateur. Bullshit ! Il faut que nous fassions tous attention à notre sémantique, aux mots que nous utilisons pour dénoncer tel ou tel problème, car c’est ce que les puissants font constamment.

Par exemple ?

Un bon exemple : Podemos en Espagne qualifie souvent notre société de « totalitarisme financier ». C’est une bonne manière de décrire nos sociétés éperdument dédiées à l’argent, plutôt que de simplement dire « le système ». A l’inverse, les partisans de Trump se font appeler « l’alt-right », parce que « droite alternative », ça sonne mieux que « Ku Klux Klan ». En changeant de vocabulaire, on change l’idée qui se cache derrière. Notre langage façonne le monde dans lequel nous vivons.

Mais il y a toujours des médias qui font correctement leur travail, tout de même…

Oui, bien sûr ! Et heureusement qu’il existe ces nouveaux médias, mais je parle surtout des gros journaux ou chaînes de télé plus « mainstream », qui s’acoquinent avec de plus grosses institutions et les gouvernements. L’hystérie autour des « fake news » est assez hilarante : ça fait un siècle que ces médias-là nous balancent des fake news sans que l’on bronche ! Mais en même temps, qu’est-ce qu’on peut attendre de rédactions qui partagent leurs lits avec les gros sous du monde de la finance ou de l’entreprise ? Ces medias sont financés par ces gens-là, comment peuvent-ils être impartiaux ? C’est dans une drôle d’époque que nous vivons. On n’a qu’à espérer qu’internet reste libre encore quelques temps, pour pouvoir avoir accès plus facilement aux quelques mediums survivants qui font bien leur travail.

Et tu parles de tout ça dans des ballades aux mélodies mélancoliques. Pourtant, ces thèmes-là ont le plus souvent été évoqués dans le rock dur, le punk, le hip-hop… Pas forcément en pop. Tu cherches à mettre en place un contraste entre le fond et la forme dans tes chansons ?

Oui, c’est assez juste. C’est difficile de parler de ces sujets de manière artistique, tout en restant original et sans trop « prêcher la bonne parole ». Et puis sans non plus raconter n’importe quoi. J’ai conscience que c’est casse-gueule. Mais je trouve aussi que c’est très important de pouvoir parler de ces sujets, et me censurer parce que c’est « pas cool » de parler explicitement de politique, c’est hors de question. Qu’est-ce qu’il y a de plus important que ça ? Et placer ces paroles dans un environnement sonore actuel, et essayant d’être moderne dans les productions, était essentiel. J’espère rester original et pertinent. Si tu veux chanter que tout part en couille, dénoncer les hommes politiques troubles ou les histoires de gros sous, c’est dommage de faire ça sur une guitare sèche seulement ou avec un groupe punk et des Gibsons – ce serait cliché, la formule est complètement essorée aujourd’hui.

Ça ne t’a jamais tenté de te lancer dans la politique ? 

Je pense que je ne suis pas assez corrompu comme ça. Ou alors on lance notre partie et Tsugi sera le journal officiel, un vrai beau magazine de propagande !

On ne sait pas si on va lancer Tsugi-propagande de sitôt, mais on sera en tout cas au Pop-Up du Label le 31 janvier prochain pour le concert de Daniel Alexander et Jaws Of Love. Plus d’infos sur l’event Facebook du concert

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