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4 juin 2015

Dans les coulisses du Weather Festival 2015

par Estelle Morfin

Après Le Bourget l’année dernière, le festival investit cette fois le bois de Vincennes pendant trois jours. Le Weather, tout le monde vous le dira, il y a un avant et un après. Voici l’avant.

Dans les bureaux des organisateurs Surpr!ze, les Post-it ont colonisé les murs et on boit du Red Bull à la chaîne. Il reste moins de deux mois avant la tenue du Weather Festival, et tout le monde s’affaire pour boucler les préparatifs d’un projet véritablement colossal : le montage d’une ville techno éphémère en plein Paris, où 50 000 personnes sont attendues. En seulement deux éditions, le festival s’est hissé dans le peloton de tête des festivals du genre, surfant sur un engouement sans précèdent pour la techno, mais aussi sur sa réputation et une programmation très alléchante.

Nouveauté cette année, la Mairie de Paris a donné son accord pour que la manifestation s’implante sur le site du bois de Vincennes et affirme officiellement son soutien au Weather… qui espère continuer longtemps à faire la pluie et le beau temps.

Rattraper le temps perdu

Mais il a bien fallu en arriver là. Souvenez-vous en 2013, les créateurs du phénomène clubbing Concrete décident de lancer leur propre festival orienté techno-house. Premier coup d’essai au Palais des congrès de Montreuil (halle Dufriche): 14 000 participants pour un bilan quelque peu assombri par une grosse chaleur due à une panne de ventilation combinée au manque de points d’eau potable en accès libre sur le lieu, le tout soldé par un procès avec le gestionnaire de la halle. Très vite, les organisateurs rebondissent et confirment leur volonté de “désenclaver” le festival, mais surtout de sortir du schéma classique festival/palais des congrès.

La deuxième édition se tiendra donc sur trois lieux différents, l’Institut du Monde Arabe, l’île Seguin et Le Bourget. Avec 35 000 festivaliers, c’est un succès, même si Adrien Betra, vice-président de Surpr!ze, nous explique que l’organisation, notamment le montage-démontage des scènes d’un jour sur l’autre, avait été “une véritable galère”, avait fait prendre “beaucoup de risques”, essentiellement au niveau budgétaire et avait demandé à tous “une énergie considérable”. Toutefois, portés par le soutien palpable d’une communauté weatherienne, et par la réussite de l’édition hivernale du 21 février, l’équipe du festival a placé cette année la barre encore plus haut : 50 000 participants visés, un budget de plusieurs millions d’euros, une programmation artistique de plus en plus riche et audacieuse, et une implantation en pleine nature intégrant une vraie recherche scénographie (et des espaces chill dignes de ce nom).

Pourtant, le festival a quelque peu joué de malchance : entre les attentats de Charlie Hebdo du mois de janvier et la rapidité légendaire de la paperasserie administrative, la Mairie de Paris n’a accepté que très tardivement la demande du Weather d’occupation du bois de Vincennes. “On a eu l’autorisation il y a seulement deux mois, alors qu’on l’attendait il y a six, explique Adrien Betra, on travaille jour et nuit pour faire en trois mois ce qu’on aurait dû faire en un an.” Le cabinet de Bruno Julliard, premier adjoint au maire chargé de la culture se défend : “Le soutien culturel a été très vite obtenu, mais les analyses de faisabilité et les préoccupation de préserver le bois de Vincennes nécessitaient une instruction longue.” Mais les équipes du Weather, qui ont été renforcées de quelques CDD et stagiaires, sont désormais efficaces et préparées à répondre aux contraintes liées au timing, au lieu et au cahier des charges imposé par la Ville de Paris. Cédric Le Goff, directeur de production chez Surpr!ze, relativise : “On avait anticipé tout ça, par exemple on avait déjà créé les postes d’écoresponsabilité, de médiation culturelle c’était prévu, c’est normal.”

Se responsabiliser et responsabiliser

Le principal challenge de cette édition 2015 est donc d’investir correctement un lieu avec autant de participants, pour ne pas que la gentille rave dans les bois ne se transforme en jungle anarchique démoniaque. Première mesure : une édition qui se veut “écoresponsable”. Cela passe par l’embauche d’un responsable du développement durable, l’utilisation d’éco-cups, de toilettes sèches ou encore l’appel à des fournisseurs de denrées bio. Le festivalier sera lui aussi encouragé à adopter une démarche “verte”, à emprunter les transports en commun, à utiliser les cendriers de poche distribués, et pourra compter sur la présence d’une “brigade verte” de bénévoles. Car entre les déchets, la consommation d’électricité ou le transport de matériel, un festival ne peut assurément pas prétendre être totalement écologique, d’où l’importance de comportements responsables dans les deux sens, pour réduire au maximum son empreinte écologique. Aurélien Dubois, directeur de Surpr!ze, précise : “On est dans une démarche d’exploitation pour du long terme, montrer qu’on n’est pas là pour tout déglinguer et repartir, mais mener une action pérenne.”

Cette action prosélyte touche aussi la gestion des relations avec le voisinage, avec les habitants du bois (le théâtre de la Cartoucherie et l’Hippodrome, notamment) et des mairies environnantes. Avant l’intervention des médiateurs culturels, un responsable d’un des théâtres nous confiait son appréhension quant à la tenue d’un événement de ce type : “On voit ça d’un mauvais œil, parce qu’on n’a pas été prévenu suffisamment en avance et qu’on a dû décaler plusieurs spectacles. Vous imaginez comme ce serait perturbant pour notre public, le bruit, les accès bouchés ?” Un avis que ne partage pas l’Hippodrome qui se s’affirme “pas du tout opposé” et “nullement impacté”. De son côté, le Weather a privilégié le dialogue et la transparence, afin que la cohabitation ne se passe pas dans la douleur. Un encadrement complet des festivaliers a aussi été prévu, avec une coordination intérieure et extérieure incluant la sécurité, les éclairages et des “signaleurs” postés aux points stratégiques pour limiter les impondérables.

En espérant que cette année, personne n’escaladera le plafond des scènes en plein milieu d’un set de Marcel Dettmann. Quant au camping, ce ne sera pas pour cette année, les délais sont trop courts pour préparer un accueil digne de ce nom et ce service, qui peut vite devenir agressif pour le bois, demande à être un peu plus étudié. “On veut marquer le moins possible le site, et que les gens puissent y jouer au foot la semaine suivante, comme si de rien n’était !”, plaisante Cédric Le Goff. Seul l’avenir nous dira pourtant si toutes ces mesures de bonne volonté suffiront à maintenir le festival dans le bois de Vincennes, le cabinet de la Mairie ne voulant en rien s’engager sur ce point : “Pour l’instant, l’édition 2015 n’est pas gage d’une édition 2016.”

Un changement d’échelle

Parce que les instigateurs du Weather Festival ont de l’ambition, ils ont tenté de tout mettre en œuvre pour que leur événement puisse s’imposer à plusieurs niveaux. D’abord au niveau de la capitale, avec l’avantage d’un lieu “intra-muros”, le développement du off et des événements satellites comme les concerts à l’Institut du Monde Arabe, les différentes conférences et ateliers ainsi que l’engagement des clubs comme la Machine du Moulin Rouge ou le Batofar. Pour Aurélien Dubois, “il est primordial de faire participer les autres établissement parisiens avec qui nous partageons la même vision de la musique électronique. Ce sont tous des amis et des collègues.” Les organisateurs ne cessent en effet de prôner l’ouverture et de faire preuve d’initiative pour toucher un public plus large : une Mini Weather destinée aux enfants ou un concert d’ouverture associant un orchestre, Derrick May et Francesco Tristano… tout est fait pour valoriser ce qui aurait pu autrefois paraître trop “underground” ou pointu. Il faut aussi souligner le tarif du festival : 105 euros pour le pass trois jours, contre 180 euros pour le Sónar par exemple.

Au-delà de la capitale, Weather entend exister au niveau de la France entière, et vu que l’évènement n’a pas beaucoup de concurrents, devenir une référence nationale (un système de navettes a d’ailleurs été mis en place pour les provinciaux), mais aussi, petit à petit, une référence européenne. Ce changement d’échelle occasionne quelques surprises. En plus des événements périphériques au festival, la programmation artistique des trois nuits du Weather (concoctée par Brice Coudert), qui s’inspirait un peu du Dekmantel Festival à Amsterdam, se permet en 2015 une pointe d’audace : des b2b originaux, des lives très attendus, les plus hautes pointures de la techno et une scène française bien mise en avant. Que demander de plus ? Même Nina Kraviz a voulu faire partie de l’aventure, annulant sa venue au We Love Green. Petite rivalité entre deux festivals assez proches dans le temps et maintenant dans l’espace ? “Ce n’est pas le même exercice ni le même public, répond Aurélien Dubois, We Love sont des professionnels avertis, et il y a de la place pour tout le monde à Paris.”

Paris, ville ouverte

Quand bien même, il y avait de quoi être aussi légèrement surpris par ce partenariat entre la Mairie de Paris et le Weather Festival : madame Hidalgo aurait-elle été piquée par la mouche techno ? On ne peut que saluer cette initiative et supposer que l’électro s’est désormais débarrassée de sa mauvaise réputation.

Ainsi, le Weather Festival participe en toute logique à la dynamique de développement du genre, comme le confirme le cabinet de Bruno Julliard : “On a souvent entendu à tort que Paris manquait de festivals en rapport à la scène électro, comparé à d’autres grandes villes européennes comme Barcelone, Berlin… Le fait que le festival puisse s’implanter à Paris intra-muros cette année était très important : on sait que c’est un type d’événement phare pour le public qui contribue au rayonnement culturel, au tourisme et à l’économie. Nous avons la volonté évidente de montrer que Paris est une ville très ouverte aux musiques électroniques et qui a des festivals de grande ampleur, et le Weather au bout de quelques éditions s’est imposé comme un incontournable, qui n’a pas à rougir ni du Sónar, ni des Nuits Sonores, ni d’aucun autre festival.”

 

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