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©Aurore Vinot
3 mai 2017

De Paname à Johannesbourg : Mo Laudi invente la « Paris Afro House »

par Clémence Meunier

Paris Afro House Club : tout est dans le titre. Avec un bon paquet d’années de carrière au compteur, le Sud-Africain Mo Laudi a eu beau chanter le punk ou été MC chez Radioclit, c’est toujours à l’afrohouse que ce Parisien d’adoption revient – voilà pour la partie « Paris Afro House ». Quant au « Club », il se retrouve évidemment au sein de ces quatre titres et deux remixes, portés par l’épatant « The Rebirth Of Ubuntu », qui appellent autant à la transe africaine qu’aux mélodies de boîtes européennes. Et c’est dans cette symbiose que le travail et la personne de Mo Laudi s’épanouissent le plus. Un voyageur jamais très loin de ses racines, aussi bien dans ses productions que sur Tsugi Radio, où il présente un jeudi sur deux ses « Globalisto Sessions ». Rencontre entre deux tours, alors que plus que jamais l’ouverture aux autres cultures apparait comme un geste essentiel.

Si vous êtes plutôt Spotify :

On mettait ce mois-ci Spoek Mathambo en couv’ de Tsugi, le collectif dont il fait partie, Batuk, a sorti l’année dernière un album qui a reçu d’excellentes critiques et enchaîne depuis les collaborations… Dirais-tu qu’il y a un fort gain d’intérêt pour la musique sud-africaine en France depuis deux-trois ans ?

Non, parce que je suis là depuis plus longtemps que ça ! (rires) Plus sérieusement, quand je suis arrivé à Paris il y a quelques années, très peu de gens parlaient des artistes sud-africains, ou alors il s’agissait de Johnny Clegg, Miriam Makeba… Des musiciens d’une autre génération. Il y avait également un vide quand j’ai commencé à organiser mes soirées chaque semaine à Londres, qui m’ont permis de faire découvrir la musique sud-africaines à de nombreuses personnes. Ce n’est pas qu’il y a un boom de cette scène en ce moment – elle a toujours existé. C’est juste que les gens commencent à seulement à s’y habituer. Et puis c’est cyclique : tous les dix ans, les gens s’intéressent un peu plus à l’Afrique car la musique européenne est assez consistante en matière de rythmes, contrairement à la musique africaine qui expérimente plus rythmiquement. Et bien sûr, il y a l’ouverture au monde, qui est devenu presque à la mode et en tout cas facilitée avec internet. Les gens ne vivent plus dans une bulle.

C’est pour cette raison que tu as appelé tes soirées, tes résidences sur Tsugi Radio et ton label « Globalisto » ?

« Globalisto » est dérivé de « globalization » (mondialisation en anglais, ndlr), mais l’idée était d’être anti-mondialisation dans le sens capitaliste et européen du terme. Ça se rapproche plutôt du sens africain de l' »ubuntu » (un ancien mot bantou qui signifie « je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous », ndlr). Par exemple, en Europe on dit que Christophe Colomb a découvert l’Amérique, ou que Jan van Riebeeck a découvert l’Afrique du Sud. C’est faux, car il y avait évidemment des gens qui vivaient là-bas avant, et on ne raconte pas assez leur histoire. J’ai envie que l’on change de perspective, avec une autre façon de voir et d’explorer le monde.

Et ça rappelle aussi le terme « global music », de plus en plus utilisé pour remplacer les mots « world music » connotés assez négativement… Tu considères que tu fais de la « global music » ?

Exactement ! Car tout pourrait être de la « world music ». Techniquement, si tu passes de la musique française à un mec à Londres, ce sera de la world pour lui. Le terme repose trop sur une construction européenne et occidentale de ce que devrait être LA musique. Donc oui, utiliser les mots « global music » est également une manière de déconstruire cette idée.

Depuis combien de temps es-tu à Paris ?

Quelques années. Mais je vais, je viens. Si je joue en Allemagne je vais peut-être y rester un mois, puis je pars quinze jours à Londres, je retourne ensuite en Afrique du Sud… Je bouge beaucoup, mais aujourd’hui je suis plus ou moins installé ici.

Pourquoi Paris ? La plupart des gens s’accordent à dire que musicalement c’est à Londres ou Berlin qu’il faut être…

J’aime bien vivre ici, j’aime l’atmosphère et la scène alternative parisienne. Et puis quand des gens disent qu’il manque quelque chose quelque part, c’est l’occasion parfaite pour l’importer ! Quand je suis arrivé à Londres, personne ne jouait régulièrement de la musique sud-africaine, et j’ai créé un mouvement. Paris, c’était à peu près la même chose, il n’y avait pas de rendez-vous régulier afro-house, ça ne demandait qu’à être créé. Peut-être que la prochaine fois j’irai au Japon pour faire quelque chose de nouveau là-bas ! (rires) Il n’y pas d’endroits ennuyants ou pauvres en soirées : ce sont seulement des challenges.

Tu animes, le jeudi tous les quinze jours, les « Globalisto Session » sur Tsugi Radio. Qu’est-ce que tu y fais ?

La même chose qu’à Londres ou aujourd’hui à Paris avec mes DJ-sets : j’essaye de mettre différents artistes dans la lumière, de faire en sorte que les gens prennent conscience de ce qu’il se passe musicalement autour d’eux en terme d’afro-house et de musique tropicale. Jusqu’ici, j’y ai fait jouer DJ Satelite, bientôt on aura Aero Manyelo de Batuk, We Are Gold Diggers, Africa DJ, un DJ que j’ai rencontré à Abidjan…

Comment choisis-tu les artistes que tu invites ?

J’aime bien faire le lien entre les gens, créer un réseau. La plupart, je les ai rencontrés sur une date, comme un des gars de We Are Gold Diggers que j’ai croisé au Pop-Up du label.

Faire des liens, rencontrer des gens puis les inviter à collaborer… C’est presque le travail d’un label que tu fais – d’ailleurs Globalisto est déjà un label. Est-ce que l’idée, à terme, est de signer ces gens que tu as invité sur Tsugi Radio ?

J’aimerais bien faire une compilation un jour oui ! Certains sont uniquement DJ et ne produisent pas, mais si Globalisto le label et les Globalisto Sessions peuvent leur donner un cadre pour s’y mettre, pour qu’on grandisse tous ensemble en partageant nos musiques, je serais ravi.

La prochaine sortie du label Globalisto est ton premier EP en tant que producteur solo. Pourquoi seulement maintenant ?

Je voulais que ça sorte en novembre dernier, pour mon anniversaire. Mais finalement ce n’était pas vraiment le moment idéal pour moi, j’ai eu des petits soucis persos et j’ai tout repoussé. C’est la vie ! Là, toute mon attention est concentrée sur la musique, je m’occupe de tout autour de cet EP : les relations presse, l’artwork, les vidéos… Mais ça fait longtemps que j’ai cette sortie en tête, j’ai par exemple écrit le morceau « The Rebirth Of Ubuntu » il y a un an et demi, et j’ai déjà un autre EP prêt pour juin, encore un autre pour septembre ! J’ai beaucoup de matière depuis un certain temps, j’avais juste besoin de la bonne stratégie et du bon réseau.

« Ubuntu » n’est pas un terme que tu as choisi par hasard sur ce morceau…

« Ubuntu » renvoie à la notion de partage, de communauté. C’est ce que j’aime à propos de ce mot, car j’ai l’impression qu’aujourd’hui beaucoup sont effrayés et égoïstes car ils se sentent menacés par l’immigration – mais c’est uniquement parce que les gens ne comprennent pas ce qu’il se passe, font grimper l’extrême droite… Quand tu comprends et sais ce qu’ii se passe ailleurs dans le monde, quand tu connais les causes, tu es plus compatissant, tu penses plus aux autres et tu as plus envie de partager. Un attentat au Kenya aura des conséquences à Paris, surtout si le gouvernement français décide d’y larguer des bombes ! C’est comme ça que l’on combat le racisme : en prenant aussi en compte la souffrance qui existe partout à la fois. Ubuntu, c’est ça. Et Globalisto aussi. Un monde sans frontière ! En Afrique du Sud, il y a des gens qui ont peur du reste de l’Afrique, il y a des crimes xénophobes vis à vis des gens du Nigéria ou du Zimbabwe… Uniquement parce qu’ils ont peur de l’autre, peur qu’ils leur prennent leur travail. Je rêve d’un monde différent, avec la paix dans le monde ! (rires)

Le morceau est appelé « The Rebirth Of Ubuntu ». Je comprends pourquoi tu sous-entends avec ce titre que l’Ubuntu est mort et a besoin d’être ressuscité, mais crois-tu qu’il a déjà existé ?

En Afrique du Sud, oui, dans les petites communautés. Mais plus tu te diriges vers les grandes communautés et les grandes villes, plus tu deviens matérialiste, tu te concentres sur ton travail, tu t’isoles. Je trouve que cet esprit de l’Ubuntu est mort en Afrique du Sud et qu’il n’a jamais vraiment existé en Europe – j’ai envie de donner naissance à quelque chose de nouveau ici.

Tu as tout fait sur cet EP, y compris le visuel…

Je voulais que ça ressemble à un motif, comme pour un boubou mais inspiré par Basquiat. Comme ça je pourrai en faire de beaux tee-shirts ! J’étais assez bon en dessin, mais je me suis vite tourné vers la musique. Il y a de la musique partout en Afrique, tout le monde chante à gorge déployée dans la rue, à l’église… Quand je suis arrivé à Londres, c’était comme une évidence pour moi de passer des disques… Et puis ça m’a permis de payer le loyer londonien rapidement !

Mo Laudi à l’époque des Secousse Party à Notting Hill

On t’a déjà demandé d’arrêter de passer de l’afrobeat pour mettre de la techno de Berlin, car c’est ça qui est à la mode en ce moment ?

Non. Et puis de toute façon, c’est la musique sud-africaine qui est à la mode à Berlin ! Innervisions, le label de Dixon et Âme, a même signé un artiste sud-af’, Culoe De Song, tandis qu’Aero Manyelo de Batuk a sorti cette année un titre sur Get Physical. Les plus grands DJs du monde commencent de leur côté à passer de la musique sud-africaine. Je crois bien que l’Afrique du Sud est le pays le plus consommateur de musique house au monde. C’est comme un petit laboratoire. Drake ou Major Lazer découvrent aujourd’hui des choses qui étaient à la mode en Afrique du Sud il y a dix ans, ils sont très old-school !

N’as-tu pas peur de t’ennuyer en restant cantonné à ce seul style afrohouse ?

J’ai fait beaucoup de choses différentes dans ma vie. Quand j’étais à Londres, j’organisais une fête hebdomadaire, je mixais beaucoup, mais j’étais également chanteur dans un groupe de punk-rock. Aussi, j’étais MC dans le collectif Radioclit, ce qui m’a permis de tourner partout dans le monde. Et pendant ce temps, je mixais toujours de l’afrohouse ! Je ne me suis jamais ennuyé, surtout parce que ça me permet de faire découvrir de nouvelles choses aux gens. Ce n’est pas une mode que je suis, j’ai toujours fait ça et j’aime ça très sincèrement. Aussi j’en connais les racines : les rythmes de l’afrobeat existent depuis des générations, bien avant que les enregistrements soient inventés, et étaient utilisés dans les danses de la pluie ou les prières pour les dieux… Ça en devient spirituel, je me sens très connecté à ces rythmes, on s’y perd facilement en plus, comme du vaudou ou de la transe ! Donc non, je ne m’ennuie pas, de la même manière que les gens ne se lassent pas de prier ou d’aller à l’église.

Et maintenant, quels sont tes prochains projets ?

J’aimerais bien proposer des cours de danse. Parfois, les gens ne comprennent cette musique qu’en voyant d’autres gens la danser, ils peuvent voir concrètement l’effet de ces rythmes. Aussi, pourquoi pas cette compilation Globalisto dont je parlais tout à l’heure, d’autres EPs, un album à la fin de l’année… Et puis mixer un peu partout, toujours !

Mo Laudi jouera ce 5 mai à l’ouverture du Communion (ex-Nuba), à l’ouverture du Hasard Ludique (Paris 18) le 13, au festival Sud à Arles à La Friche La Belle de Mai à Marseille le 10 juin et le 25 au Sucre à Lyon – sans compter plusieurs dates en Allemagne, Suisse ou à Montréal le 28 octobre.

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