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© Expo disco de la Philarmonie de Paris / © Alexander Hansez
12 mars 2025

‘Disco, I’m Coming Out’, la folle expo de la Philharmonie

par Patrice BARDOT

Du 14 février au 17 août, la Philharmonie de Paris accueille Disco, I’m Coming Out une exposition où, sous les paillettes et la boule à facettes, on (re)découvre que le disco est une musique engagée dans les combats de son époque. Tour d’horizon avec deux familiers de ces pages : le commissaire de l’exposition Jean-Yves Leloup et le conseiller scientifique, Patrick Thévenin. Let’s groove !

 

Interview issue du  Tsugi Magazine n°177 : Comment le Disco a percuté le monde’, dispo partout !

 

 

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D’abord, une question sémantique : dit-on ‘le’ ou ‘la’ disco ?

Patrick Thévenin : Cela a fait l’objet d’une grosse réflexion entre Jean-Yves et moi. Il est plutôt ‘la’ disco et moi, je penche pour ‘le’ disco. On a même interrogé Chat GPT pour nous départager. (rires)

Jean-Yves Leloup : En français, les choses ont évolué. À une époque, on disait ‘le’ pop. Les gens évoquent aussi ‘le’ funk, ou ‘la’ funk. Finalement, on a tranché pour ‘le’ dans le catalogue et dans l’expo. Il fallait être cohérents.

 

Comment définiriez-vous le disco ?

Jean-Yves : C’est une musique d’origine noire américaine qui naît au début des années 1970 et qui est l’héritière de la soul, du gospel et du funk, mêlée aussi des refrains de la pop mainstream américaine ou européenne. Elle possède un motif de batterie caractéristique : le fameux ‘four-to-the-floor’ avec la grosse caisse sur tous les temps, et tout un jeu de charley, inventé par un fameux batteur, Earl Young, à l’occasion de ‘The Love I Lost‘ de Harold Melvin & The Blue Notes. Une chanson caractéristique de ce que l’on a appelé le Philly Sound.

Disco

© Maxime Guthfreund

 

Le disco est toujours associé aux paillettes et à la boule à facettes, mais est-elle aussi une musique engagée ?

Patrick : Justement, à travers cette expo, on voulait montrer aussi que c’est une musique qui est la bande-son des années 1970. L’homosexualité n’est pas encore dépénalisée, dans un club, il faut une femme pour trois hommes, d’ailleurs ni les femmes ni les mecs n’ont le droit de danser ensemble. Pourtant, le disco prend son essor dans des lieux gays. Après les émeutes de Stonewall en 1969 suite à une descente de police violente dans un bar, la communauté est moins harcelée. Le disco est donc une musique qui accompagnera les droits civiques, la libération LGBT et ce qu’on appellerait aujourd’hui l’afroféminisme.

DiscoJean-Yves : Il fait écho aux luttes qui sont très nombreuses au début des années 1970. C’est comme si elles s’incarnaient dans une musique de fête. Beaucoup de morceaux chantés par des femmes noires célèbrent une émancipation vis-à-vis des hommes et du patriarcat. Comme Candi Staton, ‘Young Hearts Run Free’. Littéralement c’est : ‘Fuis, échappe-toi des coups de cet homme.’ Ce sont des chansons féministes interprétées par des femmes noires qui s’assument de manière différente du gospel, de la soul ou du funk.

D’autres morceaux expriment une prise en main par les femmes de leur propre sexualité, même si beaucoup d’entre elles sont  ‘objectifiées’ dans le disco sur les pochettes ou parfois uniquement recrutées pour faire acte de présence sur les plateaux de télévision. C’est quand même une musique qui atteste vraiment de la popularisation de la culture noire américaine au sein du très grand public aux États-Unis. Femmes, gays et afro-américains vont exister culturellement de manière beaucoup plus forte à travers le disco.

 

Patrick : Malgré son côté superficiel, festif, cette musique est assez engagée. Mais les revendications féministes ne se font pas comme aujourd’hui avec des slogans très durs. On rencontre beaucoup ce que les Anglais appellent le ‘double entendre’. Par exemple, quand Anita Ward chante ‘Ring My Bell’. ‘Fais sonner ma cloche’ signifie en réalité ‘fais sonner mon clito’ et tout le monde le comprend comme ça sur la piste de danse. C’est vraiment lié aussi à l’émancipation sexuelle. ‘I Will Survive’ de Gloria Gaynor, c’est une grande chanson de résilience. ‘I’m Coming Out’ de Diana Ross, c’est ‘voilà, j’arrive, je suis la Queen noire et c’est moi qui vais faire un peu la loi’. 

Jean Yves : C’est pour cela que l’on a choisi en sous-titre de l’expo ‘I’m coming out’. Quand on écoute cette chanson, elle peut très bien parler de Diana Ross, d’une femme noire, ou de n’importe qui, sortant de son placard et assumant son identité. Le disco est lié avec la manière dont une partie des gens dans les années 1970, à travers la musique et sur la piste de danse, ont fait naître quelque chose de plus personnel, en exprimant leurs désirs et leur identité. Ces questions sont en filigrane de beaucoup de chansons disco. Même s’il en existe aussi de très simples et très stupides. (rires) On a cherché dans l’expo à trouver le bon équilibre entre la fête et la dimension politique.

 

Comment est née cette idée d’expo ?

Patrick : J’avais réalisé le catalogue de l’expo Électro, dont Jean-Yves était déjà le commissaire. J’avais envie de traiter l’apport de la communauté LGBT à la musique. On a proposé cette idée d’expo sur le disco à la directrice du Musée de la Philharmonie, Marie-Pauline Martin. Elle trouvait que le lieu n’avait pas encore abordé ces questions d’identité et que le disco en serait le vecteur parfait. Après avoir écrit un premier projet très succinct, on nous a commandé un synopsis plus développé. C’était il y a trois ans. Je trouve que l’équilibre est parfait entre Jean-Yves et moi. Il apporte son côté plus historien de la musique et moi un ressenti plus freestyle. (rires)

Jean-Yves : Quand on écrit sur l’histoire de la house, de la techno, de l’électro, finalement, on s’aperçoit que les racines de toute cette culture DJ, c’est le disco.

Patrick : Le disco, c’est vraiment la naissance de concepts qui sont aujourd’hui très forts. Comme le safe place, l’intersectionnalité, et même le selfie, ce culte de soi. On a parlé à un moment d’’ego disco’ en référence aux gens qui font le show sur la piste de danse. Et puis, en France c’est une musique qui est restée populaire, c’est celle des mariages, de Radio Nostalgie le samedi soir.

 

Comment est organisée l’expo ?

Jean-Yves : Elle est d’abord centrée sur les années 1970, jusqu’au début des années 1980. Même si à la fin, on évoque le disco d’aujourd’hui chez Clara Luciani, Madonna ou Kylie Minogue. L’expo est divisée en quatre parties. La première, ‘Let’s Groove’, sur la musique, les musiciens, les chanteurs, les disco divas, les studios, les instruments. C’est l’âge d’or de la production et de l’enregistrement analogique. On a reconstitué une cabine DJ avec du matériel d’époque, comme les enceintes Klipsch, qui étaient celles du Loft, et les platines vinyles Thorens.

DiscoLa deuxième, ‘I Am What I Am’, évoque des questions politiques et aussi les figures du mouvement, les créatures un peu transgenres. On a de très beaux costumes de Sylvester qui nous ont été prêtés par une association de San Francisco qui veille à la préservation de la culture gay. Comme dans toutes les expos de la Philharmonie, on se sert d’œuvres d’art pour expliquer ou enrichir l’imaginaire et la philosophie de la musique. C’est pour cela que l’on voit des tableaux de Warhol dans l’exposition ou des boules à facettes revues et corrigées par des artistes contemporains. La troisième partie, ‘Night Fever’, est centrée, elle, sur la discothèque.

Un phénomène qui explose vraiment avec le film La Fièvre du samedi soir, qui sort fin 1977 aux États-Unis et début 1978 en Europe. On s’intéresse aux danses et à la chorégraphie, notamment à travers beaucoup de reportages photo. On met vraiment l’accent sur des photographes qui ont capturé New York dans les années 1970, comme Meryl Meisler qui, le jour, était instit’ dans le quartier très pauvre de Bushwick, et, la nuit, allait aussi bien dans les clubs queers les plus underground qu’au Studio 54. Enfin, la dernière partie, ‘Celebration’, montre à travers un montage vidéo la persistance du phénomène disco, la manière dont il est entré dans la pop culture de ces vingt dernières années.

 

 

L’exposition a-t-elle été compliquée à monter ?

Jean-Yves : C’est une musique qui, en termes de droits, génère encore aujourd’hui énormément d’argent, donc c’est très compliqué de sensibiliser les descendants d’artistes, les agents ou Diana Ross, par exemple, à participer à une expo en France. Ça ne les intéresse pas beaucoup. Nile Rodgers nous a dit oui tout de suite, mais au final, il n’a pas trop eu de temps à nous consacrer. Mais j’ai vraiment été touché par l’aide que nous ont apportée les associations gays.

Patrick : Oui on a reçu quand même un enthousiasme assez fort des Américains. Ils trouvaient cela dingue que ce soit des Français qui organisent quelque chose qui aurait dû être fait aux États-Unis depuis longtemps. Le problème auquel on peut être confronté, c’est que, dans le disco, tu as d’un côté des diggers qui sont peut-être les pires de la planète, et de l’autre des gens qui, lorsque tu leur dis disco, te répondent ‘ah oui, ABBA…’, sans avoir conscience que c’est une musique afro-américaine. Donc on doit à la fois satisfaire des gens qui connaissent énormément de choses sur le sujet, mais aussi faire de l’éducation.

Jean-Yves : C’est important de dire que si le disco attire toujours autant aujourd’hui, c’est qu’il possède quelque chose d’un peu inimitable. De nos jours le rap et le R&B sont assez tristes et angoissés. Une partie des musiques électroniques, en techno notamment, est avant tout très rapide et sombre. Au final, il existe très peu de musiques populaires portées par une sorte d’énergie hédoniste et optimiste, comme l’était le disco. Cette sorte d’appel à la jouissance, on ne le retrouve plus dans la culture pop aujourd’hui, ou alors très peu.

 

Votre titre de disco préféré ?

Jean-Yves : Sister Sledge, ‘Lost In Music‘.

Patrick : Freddie James, ‘Get Up And Boogie‘.

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Expo Disco, la bande-son

Pour accompagner la déambulation, on entendra une bande-son réalisée par l’incontesté spécialiste disco Dimitri From Paris, à la manœuvre pour un mix de 1 h 30 imaginé à partir d’edits d’une trentaine de morceaux. Comme l’expliquent de concert Patrick et Jean-Yves : ‘C’est un retour aux origines afro-américaines de cette musique avec des très grands musiciens et chanteuses. C’est d’un très haut niveau, car c’est très difficile à mixer le disco, comme c’est joué à la batterie, il y a forcément des décalages humains. La touche automatique “sync” ne peut pas exister.’

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