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Couv de Tsugi
13 septembre 2021

🤝 Interview : DJ Mehdi, Busy P, Djedjotronic… Let the children techno!

par rédaction Tsugi

Article publiĂ© dans le numĂ©ro 38 de Tsugi, en fĂ©vrier 2011, Ă  l’occasion de la sortie de la compil’ Let The Children Techno prĂ©parĂ©e par Busy P et DJ Mehdi sur Ed Banger. Quelques mois plus tard, le 13 septembre 2011, DJ Mehdi nous quittait, blessĂ© dans une chute. Une mort injuste et incomprĂ©hensible qui a choquĂ© le monde de la musique. C’Ă©tait il y a dix ans aujourd’hui, et en hommage, la rĂ©daction de Tsugi a dĂ©cidĂ© de publier cette interview Ă  trois sur le net, histoire de se souvenir de Mehdi entourĂ© de gosses et d’amis, en train de promouvoir la musique qu’il aimait.

Busy P et DJ Mehdi attaquent 2011 avec une compilation à la fraîcheur juvénile. De Djedjotronic à Flying Lotus en passant par Skream, Siriusmo et Gesaffelstein, ils ont convié à leur boum, pardon rave, les plus turbulents des enfants techno d’aujourd’hui. Leur chambre est en bordel ? Laissez-les jouer ! 

Tsugi : L’enfant techno vient de naître, vous êtes ses heureux papas. Pourquoi cette compilation, aujourd’hui, en 2011?

Pedro Winter alias Busy P : Ce qui nous intéressait, c’était de nous demander ce que nos enfants allaient écouter, en espérant qu’ils écouteront longtemps Let The Children Techno. Ed Banger a 8 ans, c’est un peu l’heure du bilan. Après avoir sorti Ed Rec vol. 1, 2 et 3 ces trois dernières années, on voulait casser ce rythme. Avec les Ed Rec, l’idée c’était de saisir l’instant ; là, on a envie de s’inscrire dans la durée. Donc, on arrête la série et on élargit le spectre. On utilise notre petit pouvoir artistique pour mettre en avant des musiciens que l’on a à l’oeil depuis pas mal de temps et dire à ceux qui nous suivent : « Tenez, écoutez, Ed Banger c’est aussi ça. » 

Il y a une volonté d’ouverture du son Ed Banger…

P. W. : Ed Banger a toujours été ouvert. Mais, effectivement, ceux qui pensent que le label se résume à Justice et Uffie risquent d’être surpris.

DJ Mehdi : Ce disque est une photographie de nos vies. Dans un DJ-set de Busy P ou DJ Mehdi, on retrouve du Ed Banger mais aussi plein d’autres artistes. La scène électro est en pleine expansion et c’est tant mieux. Il se passe des choses passionnantes, ce serait tellement triste si cela restait cloisonné dans un petit milieu. Avec cette compilation, nous voulions nous faire l’écho de cette explosion de sonorités. Nous présentons de nouveaux artistes, comme Djedjotronic, qui ne sont pas forcément des débutants mais peuvent bénéficier de la notoriété d’Ed Banger pour toucher un plus large public.

Comment avez-vous Ă©tabli votre casting ?

P. W. : Ce sont des rencontres, tout simplement. Djedjotronic, par exemple, je l’ai découvert il y a deux ans. J’ai pris une grosse claque avec l’un de ses premiers maxis, Turn off, je l’ai contacté, lui ai demandé un remix pour DSL et il en a claqué deux mortels. Et voilà, l’histoire était lancée.

M. : Nous sommes allés voir les gens que nous aimons. En retour, ils nous ont envoyé les sons qu’ils pensaient les plus adaptés à notre univers, nous laissant parfois le choix entre plusieurs titres. C’est une belle preuve de confiance.

P. W. : Skream m’a envoyé son morceau en me disant : « Je t’ai fait un truc disco ! » C’était « Boat Party », un pur son dubstep ! Dans son esprit, c’est sans doute plus léger que ce qu’il fait d’habitude. Je suis également ravi d’avoir Mattie Safer de The Rapture (ex-bassiste et seconde voix du groupe, ndlr). Il y a quelques mois à New York, il m’a parlé de son futur premier album et m’a fait écouter « Is that your girl ? ». J’ai trouvé le titre dément et lui ai proposé d’être sur la compile, ce qu’il a accepté en deux secondes. Flying Lotus, que je connais bien, a également adhéré très vite. Tout s’est fait de manière naturelle. Il a composé son morceau spécialement pour nous.

C’est une vraie compilation de DJ, mixée « à l’ancienne » avec une architecture très travaillée. L’agencement des titres est venu rapidement ?

P. W. : Mehdi a insisté pour qu’elle soit mixée et le résultat lui donne totalement raison. C’est le BPM qui nous a guidés. Ça commence à 105 BPM avec l’intro de Mr. Oizo, puis mon titre et celui de Duke Dumont, « Hipgnosis ». Les BPM montent au fil du disque, arrivent à un point culminant, puis on casse tout et on redescend à des rythmes plus calmes avec les morceaux de Mehdi, Skream et enfin Flying Lotus qui clôture parfaitement le voyage.

M. : On revendique tout : l’écoute chez soi pour danser ou faire l’amour, comme celle en club. Cette manière de procéder n’est pas très éloignée d’un DJ-set de Pedro. Si j’étais guitariste, j’essaierais de faire en sorte que mon jeu puisse émouvoir les gens et si j’étais Jim Morrison, je me servirais de ma voix. Être DJ, c’est la même chose, on tente de créer une émotion, donner envie aux auditeurs de s’aventurer vers de nouvelles musiques. J’aime beaucoup le mot « converser » : je te fais écouter, tu aimes ou tu n’aimes pas, mais au moins on dialogue, il se passe quelque chose. Si c’est une autoroute à 130 BPM, ça n’a pas d’intérêt. Nous, on préfère les surprises, les accidents. La qualité d’un DJ est dans cette capacité à converser avec son public. C’est dans cet esprit que la compilation a été pensée. Tout est imbriqué, j’ai par exemple composé mon morceau « Tragicomehdi » pendant le mix final, pour qu’il s’insère parfaitement entre ceux de Skream et Flying Lotus.

Mr. Oizo attaque le disque avec une intro très apocalyptique qui se déroule en 2017. C’est ça l’essence de la musique électronique, être futuriste?

P. W. : Nous regardons vers l’avenir, mais en même temps nous sommes très respectueux de ce qu’ont fait nos aînés, notamment à Detroit et Chicago. Mehdi et Riton, avec Carte Blanche, ils foncent vers le futur avec le rétroviseur braqué sur le Chicago des années 80-90. C’est important de rester connecté à l’histoire.

Est-ce que la techno de ce disque a encore un lien de parenté avec celle de Detroit ?

P. W. : À la première écoute, tu ne vas peut-être pas retrouver Derrick May ou Carl Craig. Mais je suis sûr que Carl Craig va trouver délicieux un morceau comme « Shark Simple » de Cassius remixé par L-Vis. J’ai la chance d’être en contact avec ces gens, ils savent très bien ce que l’on fait et je suis persuadé qu’ils ressentent eux aussi cette connexion.

Finalement, c’est qui, l’enfant techno ?

M. : C’est Pedro ! La clé de sa créativité, c’est d’avoir su rester un enfant. Je rappelle au passage que le monsieur a dix-huit ans d’activisme dans la techno. Après avoir pris sa gifle avec Underground Resistance, Masters At Work, la french touch, et enfin Justice, il pourrait être blasé ! Et bien non. Il a toujours une fraîcheur incroyable et une envie permanente de nouveauté.

P. W. : C’est So_Me qui a trouvé le titre de la compile, Let The Children Techno. C’est impossible à traduire et, en même temps, ça a du sens. C’est un peu : « Laissez-nous danser 2011, laissez-nous faire de la techno ! » 

Mais est-ce vraiment une compilation techno ?

P. W. : Bien sûr ! Le mot techno englobe beaucoup de choses.

M. : Il suffit de regarder la programmation du festival I Love Techno pour comprendre à quel point le genre s’est diversifié. On peut y entendre les Crookers par exemple. Les Crookers, c’est de la techno ? Oui ! La techno, c’est un mouvement qui est encore vivant, tu y mets ce que tu veux.

Est-ce qu’il faut dire « techno » ou « électro » ?

P. W. : J’adore le mot électro ! David Guetta, c’est de l’électro, et alors ? Aujourd’hui, le mot techno a peut-être quelque chose de plus noble, mais je ne comprends pas vraiment pourquoi.

M. : Pour moi, ce sont quasiment des synonymes ! Nous ne voulons surtout pas donner l’impression qu’on a choisi le terme techno parce qu’il est celui qu’utilisent les puristes. Ce n’est pas du tout le propos. C’est juste que Let The Children Techno c’est plus joli que Let The Children Electro.

Dans l’ADN de l’enfant techno, on retrouve aussi pas mal de chromosomes hip-hop…

M. : Ça fait bien longtemps que le rap est l’une des facettes de la pop internationale. Et ce, bien avant Pharrell, Timbaland ou David Guetta. Ce disque est multiple, comme l’époque ! La musique électronique bénéficie des bouleversements de notre quotidien, et le plus important de tous, c’est l’ordinateur, qui a totalement décloisonné les genres. C’est pour cette raison que cette musique est toujours en mouvement, ni morte, ni figée. Le funk, par exemple, est un courant figé. Tu ne peux pas le réinventer, si tu veux le faire, tu vas forcément te confronter à des sons des années 70-80 et c’est difficile de mieux jouer de la basse que Bootsy Collins ! La techno, comme le rap, bouge encore !

Le funk, le rap, la techno sont les révolutions musicales des années 70, 80, 90. On a du mal à trouver un équivalent dans les années 00, 10. La grande révolution ne serait-elle pas justement l’éclatement des genres dominants ?

M. : Ça fait un moment que les chapelles ne sont plus sanctifiées.

P. W. : Je dirais depuis début 2000. C’est sans doute ce qui fait de nous des types étranges. J’allais en rave en 1992, j’avais les cheveux décolorés et dans mon lycée de cailleras, les mecs hallucinaient que je leur parle de Run-DMC.

M. : Ça fait combien de temps qu’on ne t’a pas demandé : « T’écoutes quoi comme musique ? » Plus personne ne pose cette question !

P. W. : L’ordinateur et Internet ont accéléré ce mouvement. Beaucoup de gens un peu réactionnaires ont du mal avec cette explosion des genres qui brouille les pistes. Je pense que les gamins, eux, s’y retrouvent très bien.

M. : C’est aussi très sain qu’il y ait des forces conservatrices ! Heureusement qu’on a toujours DJ Premier pour nous dire que le rap ne doit pas changer ! Face à lui, il faut des gens qui ont envie de tout bousculer. La créativité vient de cette confrontation permanente. On a besoin des Clash et des Sex Pistols !

Artwork de la compilation

L’une des très belles surprises de la compile, c’est la présence de Skream. Que vous évoque l’émergence de la scène dubstep ? Est-ce que Londres est en train de devenir une place forte de la techno ?

P. W. : C’est Feadz qui m’a fait découvrir Skream en 2005, avec « Midnight Request Line ». J’ai pris le dubstep dans la tronche et je l’ai incorporé dans mes mixes. L’effet a été immédiat, c’est parfait pour épicer une soirée. La scène dubstep est aujourd’hui très solide et influence largement les autres scènes électroniques. L’album de Magnetic Man est numéro 1 en Angleterre et Britney Spears demande des remixes à Rusko. Skream, je l’ai rencontré à Miami et j’ai pris une torgnole. Il a 23 ans, il fait deux mille titres par an et dégage une énergie dingue. Quand il a joué « The Epic Last Song » ce soir-là, j’ai vu Jésus !

M. : Le dubstep, j’y viens doucement, mais je suis beaucoup moins vif que Pedro pour choper les nouveaux trucs. On me dit souvent « écoute ça, c’est LE truc qui démonte en ce moment, tu vas adorer » mais ça ne me frappe pas forcément immédiatement. Flying Lotus par exemple, il a fallu que je le rencontre pour comprendre sa musique. Quand tu découvres quelque chose qui questionne de manière radicale tes repères, tu peux avoir une réaction instinctive de recul. Il faut prendre le temps. Ça permet aussi de mieux se connaître, pour ne pas citer Socrate…

P. W. : Socrate, le rappeur ?

M. : Le rappeur, bien sûr ! (rires) J’ai appris à ne pas tirer un trait définitif sur les musiques quand elles ne me parlent pas d’emblée. Je n’ai pas besoin de trancher, je ne suis ni prof, ni journaliste. Je suis juste un enfant techno…

L’enfant techno, il écoutera quoi en 2017 ?

P. W. : Des sons de 2011, de 1965 et des super trucs de 2017.

M. : Je ne veux surtout pas savoir !

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Julien Chavanes

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