đ€ Interview : DJ Mehdi, Busy P, Djedjotronic⊠Let the children techno!
ArtiÂcle pubÂliĂ© dans le numĂ©ro 38 de TsuÂgi, en fĂ©vriÂer 2011, Ă lâocÂcaÂsion de la sorÂtie de la comÂpilâ Let The ChilÂdren TechÂno prĂ©ÂparĂ©e par Busy P et DJ MehÂdi sur Ed Banger. Quelques mois plus tard, le 13 sepÂtemÂbre 2011, DJ MehÂdi nous quitÂtait, blessĂ© dans une chute. Une mort injuste et incomÂprĂ©henÂsiÂble qui a choquĂ© le monde de la musique. CâĂ©Âtait il y a dix ans aujourÂdâhui, et en homÂmage, la rĂ©dacÂtion de TsuÂgi a dĂ©cidĂ© de pubÂliÂer cette interÂview Ă trois sur le net, hisÂtoire de se souÂvenir de MehÂdi entourĂ© de gossÂes et dâamis, en train de proÂmouÂvoir la musique quâil aimait.
Busy P et DJ MehÂdi attaqueÂnt 2011 avec une comÂpiÂlaÂtion Ă la fraĂźcheur juvĂ©nile. De DjedÂjotronÂic Ă FlyÂing Lotus en pasÂsant par Skream, SirÂiusÂmo et GesafÂfelÂstein, ils ont conÂviĂ© Ă leur boum, parÂdon rave, les plus turÂbuÂlents des enfants techÂno dâaujourdâhui. Leur chamÂbre est en borÂdel ? Laissez-les jouer !
TsuÂgi : Lâenfant techÂno vient de naĂźtre, vous ĂȘtes ses heureux papas. Pourquoi cette comÂpiÂlaÂtion, aujourdâhui, en 2011?
Pedro WinÂter alias Busy P : Ce qui nous intĂ©resÂsait, câĂ©tait de nous demanÂder ce que nos enfants allaient Ă©couter, en espĂ©rant quâils Ă©couteront longtemps Let The ChilÂdren TechÂno. Ed Banger a 8 ans, câest un peu lâheure du bilan. AprĂšs avoir sorÂti Ed Rec vol. 1, 2 et 3 ces trois derniĂšres annĂ©es, on voulait cassÂer ce rythme. Avec les Ed Rec, lâidĂ©e câĂ©tait de saisir lâinstant ; lĂ , on a envie de sâinscrire dans la durĂ©e. Donc, on arrĂȘte la sĂ©rie et on Ă©larÂgit le specÂtre. On utilise notre petit pouÂvoir artisÂtique pour metÂtre en avant des musiÂciens que lâon a Ă lâoeil depuis pas mal de temps et dire Ă ceux qui nous suivÂent : âTenez, Ă©coutez, Ed Banger câest ausÂsi ça.â
Il y a une volonÂtĂ© dâouverture du son Ed BangerâŠ
P. W. : Ed Banger a touÂjours Ă©tĂ© ouvert. Mais, effecÂtiveÂment, ceux qui pensent que le label se rĂ©sume Ă JusÂtice et Uffie risquent dâĂȘtre surpris.
DJ MehÂdi : Ce disque est une phoÂtograÂphie de nos vies. Dans un DJ-set de Busy P ou DJ MehÂdi, on retrouÂve du Ed Banger mais ausÂsi plein dâautres artistes. La scĂšne Ă©lecÂtro est en pleine expanÂsion et câest tant mieux. Il se passe des choses pasÂsionÂnantes, ce serait telleÂment triste si cela restait cloiÂsonÂnĂ© dans un petit milieu. Avec cette comÂpiÂlaÂtion, nous voulions nous faire lâĂ©cho de cette exploÂsion de sonoritĂ©s. Nous prĂ©senÂtons de nouÂveaux artistes, comme DjedÂjotronÂic, qui ne sont pas forÂcĂ©Âment des dĂ©buÂtants mais peuÂvent bĂ©nĂ©ÂficiÂer de la notoriĂ©tĂ© dâEd Banger pour touchÂer un plus large public.
ComÂment avez-vous Ă©tabli votre casting ?
P. W. : Ce sont des renÂconÂtres, tout simÂpleÂment. DjedÂjotronÂic, par exemÂple, je lâai dĂ©couÂvert il y a deux ans. Jâai pris une grosse claque avec lâun de ses preÂmiers maxÂis, Turn off, je lâai conÂtacÂtĂ©, lui ai demandĂ© un remix pour DSL et il en a claquĂ© deux morÂtels. Et voilĂ , lâhistoire Ă©tait lancĂ©e.
M. : Nous sommes allĂ©s voir les gens que nous aimons. En retour, ils nous ont envoyĂ© les sons quâils penÂsaient les plus adapÂtĂ©s Ă notre univers, nous laisÂsant parÂfois le choix entre plusieurs titres. Câest une belle preuve de confiance.
P. W. : Skream mâa envoyĂ© son morceau en me disÂant : âJe tâai fait un truc disÂco !â CâĂ©tait âBoat ParÂtyâ, un pur son dubÂstep ! Dans son esprit, câest sans doute plus lĂ©ger que ce quâil fait dâhabitude. Je suis Ă©galeÂment ravi dâavoir MatÂtie Safer de The RapÂture (ex-bassiste et secÂonde voix du groupe, ndlr). Il y a quelques mois Ă New York, il mâa parÂlĂ© de son futur preÂmier album et mâa fait Ă©couter âIs that your girl ?â. Jâai trouÂvĂ© le titre dĂ©ment et lui ai proÂposĂ© dâĂȘtre sur la comÂpile, ce quâil a accepÂtĂ© en deux secÂonÂdes. FlyÂing Lotus, que je conÂnais bien, a Ă©galeÂment adhĂ©rĂ© trĂšs vite. Tout sâest fait de maniĂšre naturelle. Il a comÂposĂ© son morceau spĂ©ÂcialeÂment pour nous.
Câest une vraie comÂpiÂlaÂtion de DJ, mixĂ©e âĂ lâancienneâ avec une archiÂtecÂture trĂšs traÂvailÂlĂ©e. Lâagencement des titres est venu rapidement ?
P. W. : MehÂdi a insistĂ© pour quâelle soit mixĂ©e et le rĂ©sulÂtat lui donne totaleÂment raiÂson. Câest le BPM qui nous a guidĂ©s. Ăa comÂmence Ă 105 BPM avec lâintro de Mr. Oizo, puis mon titre et celui de Duke Dumont, âHipgÂnoÂsisâ. Les BPM monÂtent au fil du disque, arrivent Ă un point culÂmiÂnant, puis on casse tout et on redescend Ă des rythmes plus calmes avec les morceaux de MehÂdi, Skream et enfin FlyÂing Lotus qui clĂŽÂture parÂfaiteÂment le voyage.
M. : On revendique tout : lâĂ©coute chez soi pour danser ou faire lâamour, comme celle en club. Cette maniĂšre de procĂ©der nâest pas trĂšs Ă©loignĂ©e dâun DJ-set de Pedro. Si jâĂ©tais guiÂtariste, jâessaierais de faire en sorte que mon jeu puisse Ă©mouÂvoir les gens et si jâĂ©tais Jim MorÂriÂson, je me serviÂrais de ma voix. Ătre DJ, câest la mĂȘme chose, on tente de crĂ©er une Ă©moÂtion, donÂner envie aux audiÂteurs de sâaventurer vers de nouÂvelles musiques. Jâaime beauÂcoup le mot âconÂversÂerâ : je te fais Ă©couter, tu aimes ou tu nâaimes pas, mais au moins on diaÂlogue, il se passe quelque chose. Si câest une autoroute Ă 130 BPM, ça nâa pas dâintĂ©rĂȘt. Nous, on prĂ©fĂšre les surÂprisÂes, les acciÂdents. La qualÂitĂ© dâun DJ est dans cette capacÂitĂ© Ă conÂversÂer avec son pubÂlic. Câest dans cet esprit que la comÂpiÂlaÂtion a Ă©tĂ© penÂsĂ©e. Tout est imbriquĂ©, jâai par exemÂple comÂposĂ© mon morceau âTragiÂcomeÂhÂdiâ penÂdant le mix final, pour quâil sâinsĂšre parÂfaiteÂment entre ceux de Skream et FlyÂing Lotus.
Mr. Oizo attaque le disque avec une intro trĂšs apocÂaÂlypÂtique qui se dĂ©roule en 2017. Câest ça lâessence de la musique Ă©lecÂtronÂique, ĂȘtre futuriste?
P. W. : Nous regarÂdons vers lâavenir, mais en mĂȘme temps nous sommes trĂšs respectueux de ce quâont fait nos aĂźnĂ©s, notamÂment Ă Detroit et ChicaÂgo. MehÂdi et Riton, avec Carte Blanche, ils fonÂcent vers le futur avec le rĂ©troÂviseur braquĂ© sur le ChicaÂgo des annĂ©es 80â90. Câest imporÂtant de rester conÂnecÂtĂ© Ă lâhistoire.
Est-ce que la techÂno de ce disque a encore un lien de parÂenÂtĂ© avec celle de Detroit ?
P. W. : Ă la preÂmiĂšre Ă©coute, tu ne vas peut-ĂȘtre pas retrouÂver DerÂrick May ou Carl Craig. Mais je suis sĂ»r que Carl Craig va trouÂver dĂ©liÂcieux un morceau comme âShark SimÂpleâ de CasÂsius remixĂ© par LâVis. Jâai la chance dâĂȘtre en conÂtact avec ces gens, ils savent trĂšs bien ce que lâon fait et je suis perÂsuadĂ© quâils ressenÂtent eux ausÂsi cette connexion.
FinaleÂment, câest qui, lâenfant techno ?
M. : Câest Pedro ! La clĂ© de sa crĂ©aÂtivÂitĂ©, câest dâavoir su rester un enfant. Je rapÂpelle au pasÂsage que le monÂsieur a dix-huit ans dâactivisme dans la techÂno. AprĂšs avoir pris sa gifle avec UnderÂground ResisÂtance, MasÂters At Work, la french touch, et enfin JusÂtice, il pourÂrait ĂȘtre blasĂ© ! Et bien non. Il a touÂjours une fraĂźcheur incroyÂable et une envie perÂmaÂnente de nouveautĂ©.
P. W. : Câest So_Me qui a trouÂvĂ© le titre de la comÂpile, Let The ChilÂdren TechÂno. Câest imposÂsiÂble Ă traduire et, en mĂȘme temps, ça a du sens. Câest un peu : âLaissez-nous danser 2011, laissez-nous faire de la techno !â
Mais est-ce vraiÂment une comÂpiÂlaÂtion techno ?
P. W. : Bien sĂ»r ! Le mot techÂno englobe beauÂcoup de choses.
M. : Il sufÂfit de regarder la proÂgramÂmaÂtion du fesÂtiÂval I Love TechÂno pour comÂprenÂdre Ă quel point le genre sâest diverÂsiÂfiĂ©. On peut y entenÂdre les CrookÂers par exemÂple. Les CrookÂers, câest de la techÂno ? Oui ! La techÂno, câest un mouÂveÂment qui est encore vivant, tu y mets ce que tu veux.
Est-ce quâil faut dire âtechÂnoâ ou âĂ©lecÂtroâ ?
P. W. : Jâadore le mot Ă©lecÂtro ! David GuetÂta, câest de lâĂ©lectro, et alors ? Aujourdâhui, le mot techÂno a peut-ĂȘtre quelque chose de plus noble, mais je ne comÂprends pas vraiÂment pourquoi.
M. : Pour moi, ce sont quaÂsiÂment des synÂonymes ! Nous ne voulons surtout pas donÂner lâimpression quâon a choisi le terme techÂno parce quâil est celui quâutilisent les puristes. Ce nâest pas du tout le proÂpos. Câest juste que Let The ChilÂdren TechÂno câest plus joli que Let The ChilÂdren ElecÂtro.
Dans lâADN de lâenfant techÂno, on retrouÂve ausÂsi pas mal de chroÂmoÂsomes hip-hopâŠ
M. : Ăa fait bien longtemps que le rap est lâune des facettes de la pop interÂnaÂtionale. Et ce, bien avant PharÂrell, TimÂbaÂland ou David GuetÂta. Ce disque est mulÂtiÂple, comme lâĂ©poque ! La musique Ă©lecÂtronÂique bĂ©nĂ©ÂfiÂcie des bouleÂverseÂments de notre quoÂtiÂdiÂen, et le plus imporÂtant de tous, câest lâordinateur, qui a totaleÂment dĂ©cloiÂsonÂnĂ© les genÂres. Câest pour cette raiÂson que cette musique est touÂjours en mouÂveÂment, ni morte, ni figĂ©e. Le funk, par exemÂple, est un courant figĂ©. Tu ne peux pas le rĂ©inÂvenÂter, si tu veux le faire, tu vas forÂcĂ©Âment te conÂfronÂter Ă des sons des annĂ©es 70â80 et câest difÂfiÂcile de mieux jouer de la basse que BootÂsy Collins ! La techÂno, comme le rap, bouge encore !
Le funk, le rap, la techÂno sont les rĂ©voÂluÂtions musiÂcales des annĂ©es 70, 80, 90. On a du mal Ă trouÂver un Ă©quivÂaÂlent dans les annĂ©es 00, 10. La grande rĂ©voÂluÂtion ne serait-elle pas justeÂment lâĂ©clatement des genÂres dominants ?
M. : Ăa fait un moment que les chapelles ne sont plus sanctifiĂ©es.
P. W. : Je dirais depuis dĂ©but 2000. Câest sans doute ce qui fait de nous des types Ă©tranges. Jâallais en rave en 1992, jâavais les cheveux dĂ©colÂorĂ©s et dans mon lycĂ©e de cailleras, les mecs halÂluÂciÂnaient que je leur parÂle de Run-DMC.
M. : Ăa fait comÂbiÂen de temps quâon ne tâa pas demandĂ© : âTâĂ©coutes quoi comme musique ?â Plus perÂsonÂne ne pose cette question !
P. W. : Lâordinateur et InterÂnet ont accĂ©lĂ©rĂ© ce mouÂveÂment. BeauÂcoup de gens un peu rĂ©acÂtionÂnaires ont du mal avec cette exploÂsion des genÂres qui brouille les pistes. Je pense que les gamins, eux, sây retrouÂvent trĂšs bien.
M. : Câest ausÂsi trĂšs sain quâil y ait des forces conÂserÂvaÂtriÂces ! HeureuseÂment quâon a touÂjours DJ PreÂmier pour nous dire que le rap ne doit pas changÂer ! Face Ă lui, il faut des gens qui ont envie de tout bousÂculer. La crĂ©aÂtivÂitĂ© vient de cette conÂfrontaÂtion perÂmaÂnente. On a besoin des Clash et des Sex Pistols !

ArtÂwork de la compilation
Lâune des trĂšs belles surÂprisÂes de la comÂpile, câest la prĂ©sence de Skream. Que vous Ă©voque lâĂ©mergence de la scĂšne dubÂstep ? Est-ce que LonÂdres est en train de devenir une place forte de la techno ?
P. W. : Câest Feadz qui mâa fait dĂ©couÂvrir Skream en 2005, avec âMidÂnight Request Lineâ. Jâai pris le dubÂstep dans la tronche et je lâai incorÂporĂ© dans mes mixÂes. Lâeffet a Ă©tĂ© immĂ©ÂdiÂat, câest parÂfait pour Ă©picer une soirĂ©e. La scĂšne dubÂstep est aujourdâhui trĂšs solide et influÂence largeÂment les autres scĂšnes Ă©lecÂtronÂiques. Lâalbum de MagÂnetÂic Man est numĂ©ro 1 en Angleterre et BritÂney Spears demande des remixÂes Ă Rusko. Skream, je lâai renÂconÂtrĂ© Ă MiaÂmi et jâai pris une torgnole. Il a 23 ans, il fait deux mille titres par an et dĂ©gage une Ă©nergie dingue. Quand il a jouĂ© âThe Epic Last Songâ ce soir-lĂ , jâai vu JĂ©sus !
M. : Le dubÂstep, jây viens douceÂment, mais je suis beauÂcoup moins vif que Pedro pour chopÂer les nouÂveaux trucs. On me dit souÂvent âĂ©coute ça, câest LE truc qui dĂ©monte en ce moment, tu vas adorÂerâ mais ça ne me frappe pas forÂcĂ©Âment immĂ©ÂdiÂateÂment. FlyÂing Lotus par exemÂple, il a falÂlu que je le renÂconÂtre pour comÂprenÂdre sa musique. Quand tu dĂ©couÂvres quelque chose qui quesÂtionne de maniĂšre radÂiÂcale tes repĂšres, tu peux avoir une rĂ©acÂtion instincÂtive de recul. Il faut prenÂdre le temps. Ăa perÂmet ausÂsi de mieux se conÂnaĂźtre, pour ne pas citer SocrateâŠ
P. W. : Socrate, le rappeur ?
M. : Le rappeur, bien sĂ»r ! (rires) Jâai appris Ă ne pas tirÂer un trait dĂ©finiÂtif sur les musiques quand elles ne me parÂlent pas dâemblĂ©e. Je nâai pas besoin de tranchÂer, je ne suis ni prof, ni jourÂnalÂiste. Je suis juste un enfant technoâŠ
Lâenfant techÂno, il Ă©coutera quoi en 2017 ?
P. W. : Des sons de 2011, de 1965 et des super trucs de 2017.
M. : Je ne veux surtout pas savoir !
â
Julien ChaÂvanes