Crédit photo : Frédérique Veysset

Edith Nylon, les années 80 (re)commencent

Légende de la scène rock française du tout début des années 80, Edith Nylon a pour­tant eu une tra­jec­toire éphémère. Le groupe se reforme le temps d’un con­cert en jan­vi­er à Petit Bain à Paris et ses mem­bres racon­tent ces temps héroïques où le rock en France en était encore à sa préhistoire.

90 000 exem­plaires, un chiffre de ventes qui aujourd’hui ferait grimper aux rideaux n’importe quel groupe de rock français. C’est la per­for­mance, pour­tant pas excep­tion­nelle pour l’époque, réussie par les Parisiens d’Edith Nylon à l’occasion de la sor­tie en 1979 de leur pre­mier album homonyme. Ces gamins alors âgés d’à peine 18 ans, fans de punk-rock, étaient emmenés par Mylène Khas­ki, chanteuse à la coif­fure de feu inspirée par celle de la fiancée de Franken­stein, dont les paroles “socié­tales” et vision­naires évo­quent aus­si bien les manip­u­la­tions géné­tiques, le fémin­isme que le tran­shu­man­isme. Sa scan­sion tran­chante, inspirée par les reines bri­tan­niques Siouxsie Sioux, Ari Up (The Slits) ou Poly Styrene (X Ray Spex), par­ticipe tout autant de l’originalité du groupe. Si leur musique est dom­inée par les gui­tares, les claviers inven­tifs bal­an­cent des flèch­es syn­thé­tiques en rac­cord avec leur époque et qui, rétro­fu­tur­isme oblige, n’ont pas pris une ride aujourd’hui. Tout comme les Nylon ? Nous n’irons pas jusque-là, mais force de recon­naître que 40 ans après leurs débuts, la foi qui les ani­me est intacte. Ils se sont jetés dans ce con­cert de ref­or­ma­tion avec la même fougue et le même sérieux qu’à l’aube des années 80. C’est d’ailleurs dans leur stu­dio de répéti­tion que nous les avons ren­con­trés. Plus tout à fait des jeunes gens, mais tou­jours mod­ernes en tout cas. 

 Qu’est-ce qui vous a motivé pour remon­ter sur scène ? 

Mylène Khas­ki (chanteuse) : Il y a un an et demi, nous avons réédité tout notre cat­a­logue en dig­i­tal en col­lab­o­ra­tion avec Sony. Ce gros boulot a été le point de départ de cette ref­or­ma­tion. 

Aram Kevorkian (claviers) : Il a fal­lu récupér­er les droits. CBS, notre label de l’époque, est devenu Sony. Ils nous ont demandé si on avait gardé notre con­trat qu’ils avaient per­du. Heureuse­ment Mylène en avait une copie. Ils avaient ressor­ti notre pre­mier album en 2001 avec le sin­gle “Femmes sous cel­lo­phane”, mais pas le sec­ond John­ny John­ny, parce qu’ils avaient per­du les ban­des ! Echo Bra­vo, le troisième, est lui paru sur un label qui n’existe plus. Il a fal­lu retrou­ver à qui avaient été ven­dus les droits. Ces recherch­es nous ont réveil­lés. De toute manière, nous étions tous restés en con­tact. C’est un groupe famil­ial. Zako (le bassiste, ndr) est le frère de Mylène, Albert (le bat­teur, ndr) leur cousin… Yann (Le Ker, ancien Mod­ern Guy, gui­tariste, ndr) et moi sommes qua­si­ment de la famille. Il y avait une envie, et puis Mylène était remon­tée sur scène avec des cama­rades de boulot aux USA.

M : On a joué “Edith Nylon” et “John­ny John­ny”. J’ai eu l’impression que le temps n’était pas passé. Dès le lende­main, j’ai appelé les autres et je leur ai dit : “OK les gars, je peux le faire.” Et du coup, on répète depuis un an. Bon, j’habite aux États-Unis alors ce n’est pas non plus tous les jours. (rires)

Quel était votre back­ground musi­cal avant Edith Nylon ?

M : J’avais 16 ans quand on a com­mencé. Zako avait une for­ma­tion de gui­tariste, moi zéro pointé à part la chorale de Noël.

A : C’était les années 70, on écoutait Bowie, Lou Reed.

M : On était allé à Lon­dres voir tous les groupes de punk et on s’est dit qu’on pou­vait nous aus­si le faire. Siouxsie sur scène m’a énor­mé­ment inspirée.

Zako Khas­ki : On a com­mencé, Albert et moi, sans Mylène, qui nous a rejoints un peu plus tard avec Christophe, le gui­tariste. On jouait sur des bar­ils de lessive et naturelle­ment, on s’est intéressés aux morceaux à deux accords. Gen­e­sis, qu’on écoutait comme tout le monde à l’époque, c’était inat­teignable comme niveau. Lou Reed et le Vel­vet nous sem­blaient possibles.

M : On essayait de faire des repris­es, mais ça ne col­lait pas et on s’est mis à com­pos­er. Pareil avec l’anglais. Nous avions essayé pour imiter les groupes qu’on aimait, mais cela n’avait pas d’intérêt et on est vite par­ti sur le français, avec des textes qui sig­nifi­aient quelque chose. Puis c’est allé très vite. On a don­né quelques petits con­certs, CBS nous a vus à l’occasion d’un trem­plin organ­isé par Hol­ly­wood Chewing-gum et nous a signés.

Edith Nylon en 1982

Crédit pho­to : DR

Très rapi­de pour un jeune groupe français en 1979, ça veut dire quoi ?

Z : Le pre­mier album s’est ven­du à 90 000 exem­plaires, c’est énorme aujourd’hui, mais pour l’époque, ce n’était pas extra­or­di­naire. Dans ces années-là, CBS avait plein d’argent grâce au suc­cès d’Annie Cordy. Patrice Fabi­en (dis­paru en 2008, ndr) était l’un des directeurs artis­tiques et il nous a pris sous son aile. C’est lui qui nous a signés, man­agés. Il avait pro­duit de la var­iété française, mais était très attiré par le rock. Il nous a ren­con­trés dans un con­cours en Nor­mandie pen­dant ses vacances. On s’y était inscrit, pen­sant qu’on aurait moins de con­cur­rence qu’à Paris. Il nous a demandé notre numéro de télé­phone, mais il n’a pas appelé tout de suite. Loin de là.

M : Et puis un jour, alors qu’on était en plein démé­nage­ment et qu’il ne restait que le télé­phone dans l’appartement, notre mère, qui avait oublié quelque chose, est remon­tée et c’est là qu’il a sonné !

Vous étiez encore lycéens ?

M : Oui, et c’était com­pliqué ! Pour le pre­mier album, on ne pou­vait enreg­istr­er que pen­dant les vacances sco­laires. J’ai raté mon bac une pre­mière fois. J’étais en C, c’était costaud.

Com­ment réagis­saient vos familles ?

Z : Nous sommes issus d’une famille d’immigrés. Pour eux, on devait s’intégrer de la manière la plus tra­di­tion­nelle possible.

M : Mais en fait, on s’est beau­coup mieux inté­gré comme ça.

1979–1980, c’est un peu la préhis­toire du rock en France, il y avait encore peu d’infrastructures, c’était handicapant ?

M : Chez CBS, notre label, le seul autre groupe de rock était Trust. Les autres artistes mai­son étaient Julio Igle­sias et Mireille Math­ieu. En Angleterre et aux USA, un jeune groupe pou­vait envis­ager de faire une car­rière dans le rock, mais en France, c’était dif­fi­cile­ment imag­in­able. Les choses ne se sont struc­turées que dans les années 90.

A : Télé­phone et Trust ont marché rapi­de­ment, mais les autres groupes ne ren­con­traient qu’un suc­cès cri­tique. C’était avant Les Rita, Indo­chine ou Nia­gara qui ont con­nu, eux, un véri­ta­ble suc­cès pub­lic. L’industrie du disque ne savait pas encore dévelop­per un groupe comme nous sur le marché français.

Est-ce que vous vous définissiez comme punk ?

M : Rock, plutôt.

Z : Un peu punk quand même dans la men­tal­ité. On pou­vait être très destruc­teur à l’époque. On était clean côté drogues, mais pas au niveau de l’attitude. Quand on allait chez CBS, on les traitait de con­nards, on allait loin dans la surenchère pour s’amuser.

M : Bizarrement, on nous reprochait par­fois d’être trop clean, car on ne se droguait pas. On était plus jeune que les autres groupes.

Yann Le Ker (gui­tariste) : Comme tous les groupes qui ont duré, les Nylon étaient avant tout des musi­ciens qui bos­saient dur, avec comme mod­èle les Anglais de Mag­a­zine (le groupe d’Howard Devo­to, qui lui aus­si util­i­sait beau­coup les claviers, ndr).

A : Gross­es gui­tares et syn­thés mélodiques, c’est ce qui a ren­du notre son intem­porel. Sans oubli­er la moder­nité des textes de Mylène.

Juste­ment Mylène, les thèmes de tes chan­sons, comme le tran­shu­man­isme, les manip­u­la­tions géné­tiques, la con­quête spa­tiale, son­nent tou­jours très actuels. 

M : J’écrivais beau­coup sur la con­di­tion des femmes, je par­lais aus­si des ques­tions d’immigrations, des guer­res. Il se pas­sait plein de choses, c’était la fin de la guerre froide. On n’imaginait pas faire du rock sans vouloir chercher à dire quelque chose. The Clash et leur con­science citoyenne ont été une grosse influ­ence. Les chan­sons étaient en quelque sorte une tri­bune. Dans notre réper­toire, il n’y a qu’une chan­son d’amour, “Le meilleur des amours”, et elle par­le des sen­ti­ments dans un monde futur.

Y : L’écriture des Nylon était plus mature que beau­coup d’autres groupes de l’époque. Ils avaient du style, mais surtout des chansons.

Vous avez enreg­istré votre deux­ième album John­ny John­ny à Lon­dres chez vos idol­es de The Clash.

M : On enreg­is­trait en même temps qu’ils fai­saient San­din­ista. Mick Jones (chanteur, gui­tariste de The Clash, ndr) a chan­té sur “John­ny John­ny”, on les a aidés à traduire une chan­son pour Ellen Foley (chanteuse, actrice et petite amie de Mick Jones à l’époque, ndr). Top­per (Head­on, bat­teur de Clash, ndr) est venu faire des percussions.

Z : Ils avaient tous leurs instru­ments dans le grand stu­dio et un soir en cachette, on les a pris pour jouer. Ce qui sor­tait c’était le son de Lon­don Call­ing. On a été The Clash quelques minutes !

Aviez-vous réfléchi longue­ment à votre iden­tité visuelle, qui était très forte ? 

Z : Les looks, les pochettes, le graphisme, c’était super impor­tant. Pour cer­tains d’entre nous, c’était même 80 % de leur temps, debout devant la glace, comme des gravures de mode. On voulait le con­trôle total de notre image. La seule fois qu’on a lais­sé CBS faire un truc, c’était hor­ri­ble : “Edith Nylon un pied d’acier dans un bas nylon.” On leur a dit de ne rien sor­tir sans notre accord. Christophe, notre gui­tariste, était graphiste. Il a beau­coup con­tribué à créer notre image.

M : Mais il ne faut pas oubli­er l’apport de Jean-Baptiste Mondi­no, qui a réal­isé toutes nos pho­tos et nos pochettes. Le rock, c’est aus­si avoir un look fort.

Aviez-vous beau­coup de rela­tions avec les autres groupes de l’époque ? 

M : Pas vrai­ment, nous étions con­cen­trés sur notre groupe et notre pub­lic. Pas sur ce que les autres faisaient.

Albert Tau­by (bat­teur) : Nous n’étions pas des fêtards. On n’allait pas aux Bains ou au Rose Bon­bon tous les soirs, et du coup, on s’est retrou­vé en périphérie du reste de la scène. Bien sûr j’aimais faire la fête, mais je voulais surtout faire notre musique. On était des bosseurs, on répé­tait tous les jours, ce qui n’était pas le cas de tous les groupes.

Mylène, est-ce que tu étais le leader d’Edith Nylon ? 

M : Pas vrai­ment, il y avait une cer­taine forme d’identification, il arrivait qu’on m’appelle Edith, mais le tra­vail était collectif.

A : Les gens recon­nais­saient le groupe grâce à Mylène. C’est elle qui l’incarnait, comme tout chanteur à vrai dire, même si son aisance sur scène ou sa coif­fure fai­saient qu’elle atti­rait les regards.


Quand votre deux­ième album est sor­ti, cela s’est-il aus­si bien passé que pour le premier ? 

Z : Non, nous avons com­mencé à avoir des fric­tions avec CBS. Patrice Fabi­en, qui nous avait signés, était sur le départ. John­ny, John­ny (1980) est sor­ti sans un gros investisse­ment mar­ket­ing, d’autant plus que nous avions fait l’erreur de sor­tir le sin­gle “Femmes sous cel­lo­phane” et l’EP Qua­tre Essais Philosophiques avant cet album. CBS avait du mal à nous suiv­re. Cela a dis­per­sé le bud­get de pro­mo­tion sur plusieurs sor­ties plutôt que tout con­cen­tr­er sur la plus impor­tante, le deux­ième album.

Z : Après cette sor­tie plan­tée, nous avons décidé d’un com­mun accord de quit­ter CBS. Au même moment, Albert et moi avons quit­té le groupe. Des dis­putes comme il en arrive tout le temps dans un groupe. Il y a prescription.

A : C’est comme ça que je suis entré dans Edith Nylon pour le troisième album Echo Bra­vo, mais en étant un peu triste de ne pas rejoin­dre la for­ma­tion d’origine que j’avais telle­ment aimée.

M : Il n’y avait pas un bon envi­ron­nement pour le rock en France à l’époque. On débu­tait un groupe par pas­sion, mais, même si cela mar­chait un peu, on se rendait vite compte qu’il n’y avait pas beau­coup d’avenir. Les groupes de rock s’arrêtaient aus­si vite qu’ils avaient com­mencé. Edith Nylon a encore con­tin­ué le temps d’un album, mais sans grand espoir d’aller plus loin.

A : On s’est éclaté, mais quand on analyse rétro­spec­tive­ment c’était un sac­er­doce de faire du rock en France. D’autant que le trib­ut à pay­er à cette musique est ter­ri­ble, quand on voit ce qui est arrivé aux mem­bres de Taxi Girl et à tant d’autres groupes de l’époque.

Yan : Philippe Pas­cal (chanteur de Mar­quis de Sade, récem­ment dis­paru, ndr) a dit une chose très vraie : les groupes de rock de cette époque sont tous des échecs. Artis­tique­ment, ils sont très créat­ifs, mais com­mer­ciale­ment, ils ne mar­chaient pas du tout.

Avant l’année dernière, vous n’aviez jamais eu envie de revenir ? 

Z : Albert, Lau­rent (gui­tariste, ndr) et moi avons tou­jours plus ou moins joué ensemble.

M : Moi, je me suis vrai­ment arrêtée en revanche. J’ai repris mes études (Sci­ences Po Paris dans la même pro­mo­tion que François Hol­lande, ndr) et je suis par­tie vivre à l’étranger. Je suis restée onze ans en Asie entre Hong Kong et Sin­gapour. Puis, je suis allée à New York où je tra­vaille encore aujourd’hui dans l’aviation.

Com­ment expliquez-vous la nos­tal­gie actuelle pour les groupes des années 80 ? 

Y : Ce sont des cycles. Dans les années 80, on était nos­tal­gique des années 60. Aujourd’hui, on se sou­vient que les années 80 étaient une époque charnière qui explo­sait de créa­tiv­ité dans la musique, le ciné­ma, le graphisme, la mode…

A : Quand on entend les syn­thé­tiseurs de Metron­o­my, de Tame Impala, de Tem­ples, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas très éloignés de ce qu’on fai­sait à l’époque.

M : Mais on ne revient pas à cause de ça.

A : Le con­cert a été com­plet rapi­de­ment. On reçoit des témoignages émus de gens qui nous écoutaient, mais n’avaient pas pu nous voir à l’époque. On a de nou­veaux titres, on va sans doute en jouer quelques-uns et on ver­ra bien où cela nous mènera.

Edith Nylon sera en con­cert à Petit Bain le 17 jan­vi­er 2020.

Edith Nylon

Crédit pho­to : Frédérique Veysset

Par Patrice Bar­dot et Alex­is Bernier