© Valentin Fabre

Interview : Ehla, nostalgie solaire des 90s, premier album, assurance et groove

Elle ne demande plus “L’au­tori­sa­tion”, pour laiss­er par­ler ses envies, ses choix, ses aspi­ra­tions. Ehla sem­ble avoir mis du temps à se trou­ver, mais alors que sort son pre­mier album Pause, elle s’as­sume aujour­d’hui pleine­ment en tant qu’artiste et en tant que per­son­ne. On a tenu à lui pos­er quelques ques­tions, à l’aube de ce renouveau. 

Ehla, elle l’a (OK elle était hyper facile, mais il la fal­lait. Et comme ça, on est débar­rassés). Non mais vrai­ment, elle l’a, ce “tout petit sup­plé­ment d’âme, cet indéfiniss­able charme, cette petite flamme”. Ehla c’est l’ha­bileté de la pop, des rythmes breakés et la douceur de miel du RnB années 90, bien soutenue par une voix tou­jours juste dans l’é­mo­tion, et en français dans le texte. C’est surtout une chanteuse qui nous avait tapé dans l’oeil avec son pre­mier EP Pas d’i­ci (2020) et qui revient aujour­d’hui pour l’al­bum, inti­t­ulé Pause (out le 2 juin).

Sa musique c’est du posi­tif, ses com­po­si­tions c’est du papi­er musique. En 2020, Ehla sor­tait l’EP Pas d’i­ci, six chan­sons sincères aus­si lumineuses que déjà nos­tal­giques : mélodies impa­ra­bles (“On me dit Ehla”), ten­dresse down­tem­po (“Nuit blanche”) et poten­tiels tubes comme “Minute” “L’an­ti­dote” et bien sûr “Pas d’i­ci”. Le titre s’of­fre même une renom­mée, puisqu’il est dif­fusé dans un épisode de Emi­ly In Paris : boom, propul­sé dans le top Shaz­am mon­di­al avec deux mil­lions d’é­coutes en 24h.

Vous l’avez sans doute déjà enten­due chanter, que ce soit récem­ment à la radio avec Waxx, sur les scènes des Zéniths en pre­mière par­tie de sa petite soeur Clara Luciani ou à la télé sur son “What A Won­der­ful World” en com­pag­nie de Sebas­t­iAn : la reprise est util­isée pour habiller l’une des dernières pub télé Lancôme. La voix qui chante alors qu’on voit les vis­ages de grandes dames (entre autres Julia Roberts, Zen­daya, Pene­lope Cruz ou Aya Naka­mu­ra), c’est bien celle d’Ehla.

La recette habituelle pour ses chan­sons ? Une voix de velours, une basse ronde, son sud natal et un yin-yang de mélan­col­ie enjouée. Et aus­si une fac­ulté éton­nante à se trou­ver tou­jours pile entre la pop et le RnB. Quelques semaines avant la sor­tie de l’al­bum, on a eu l’oc­ca­sion de dis­cuter de cette nou­velle galette, mais aus­si d’Ehla. De ses pre­miers émois musi­caux, de timid­ité, de mélodies, de lib­erté, de RnB en français, d’en­reg­istr­er de la musique sur des cas­settes, de con­fi­ance en soi. Rencontre.

 

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Avant de com­mencer : tu pré­pares ta release par­ty à la Maro­quiner­ie là, com­ment ça se présente ?

On a com­mencé à pré­par­er ! On tour­nait à deux pour l’in­stant, parce qu’on était en créa’ de l’al­bum. Mais pour le live à la Maro­quiner­ie, on a enfin un bat­teur avec nous et je t’avoue que ça change tout! Je cher­chais un bat­teur qui soit proche des sonorités hip-hop, des trucs qui groovent vrai­ment. Niveau dynamique, c’est assez fou comme ça trans­forme un set.

 

Dans quel envi­ron­nement musi­cal tu as gran­di ? Quelles sont tes pre­mières influ­ences artistiques ?

Jusqu’à mes 17 ans, je n’é­coutais QUE des pro­jets améri­cains ou anglais… Très très fan de RnB et de soul spé­ciale­ment. Mais je suis aus­si assez sen­si­ble à la pop, en général. J’é­coutais beau­coup Ali­cia Keys, Aaliyah, Ste­vie Won­der ‑qui est pour moi le dieu tout-puissant. Des choses très com­mer­ciales ‑je suis par exem­ple obsédée par des mélodies de Coldplay- comme d’autres un peu plus deep… C’est un mélange, une fusion de tout ça !

*Pour preuve, voilà une reprise d’Aaliyah par Ehla, sur son compte Insta

 

Il me sem­ble que ton père est musi­cien aus­si : c’est un envi­ron­nement musi­cal qui t’a influ­encée, ou tu as tracé ta route ?

Si bien sûr, j’ai baigné là-dedans depuis que je suis née. Mon papa n’est pas musi­cien de pro­fes­sion, il est ‘juste’ très doué : il est bassiste et gui­tariste, fan de Mar­cus Miller… Il m’a beau­coup fait écouter ça aus­si. C’est claire­ment lui qui m’a mis dans la musique et qui m’a fait écouter tous ses vieux vinyles : depuis petite, c’é­tait mon ency­clopédie et mon mod­èle à la fois. Claire­ment, j’ai eu cette chance-là.

 

Et du coup, com­ment es-tu tombée dans le RnB ?

Je pense qu’à l’époque où j’é­tais ado­les­cente, c’é­tait l’émer­gence de cette musique et de cette culture-là. Dif­fi­cile de pass­er à côté. C’é­tait l’époque où tu enreg­is­trais ta musique sur des cas­settes, où tu par­tais au col­lège avec ton lecteur CD. Je me sou­viens d’aller à la médiathèque et de chercher fréné­tique­ment l’al­bum des 3T ‑les neveux de Michael Jack­son. Il y avait une émer­gence folle, c’é­tait très riche. On avait du Lau­ryn Hill / Fugees, qui était quand même assez pro­fond, acous­tique etc. Et tu avais des trucs style Aaliyah, Mýa, Ashan­ti… J’aimais vrai­ment les deux : les chan­sons bling bling et les trucs plus deep.

 

Pourquoi cette volon­té de chanter en français et de ne pas par­tir vers de l’anglais, ce qui aurait été assez logique pour des com­po­si­tions qui tirent vers le RnB ?

En fait il y a deux choses : la pre­mière, c’est que j’ai un très bon accent mais je suis pas très douée en anglais. Donc déjà, c’é­tait mal bar­ré (rires). Et puis la sec­onde, c’est que j’ai l’im­pres­sion qu’il y a déjà large­ment assez d’artistes qui le font très bien, mieux que moi, en anglais. Et aus­si, je trou­ve ça assez moti­vant, de faire un style de musique qui, en France, n’est pas encore extrême­ment exploité en français. Comme un défi

J’ai des choses à dire, à racon­ter, donc ça m’embêtait de réduire ça à quelque chose de peut-être moins pro­fond parce que mon vocab­u­laire serait restreint en anglais. Alors c’est moins facile c’est sûr, car la langue française n’est pas faite pour groover, pas faite pour le rebond… Mais c’é­tait impor­tant pour moi.

 

Je te trou­ve un peu dure sur ton anglais… Je me rap­pelle que dans ton titre “Cool”, le pré-refrain est en anglais… et ça passe, non ? 

Non mais l’ac­cent est bon ! C’est pas si ter­ri­ble en fait. Mais par con­tre, je pars à New York cet été et je ne sais pas com­ment je vais faire. Je pense que ça va don­ner des bons fous rires.

 

Qu’est-ce qui a changé chez toi depuis ton EP Pas d’i­ci (2020), artis­tique­ment mais aus­si humainement ?

Je pense que ma quête dans la vie, c’est de me rap­procher le plus pos­si­ble de ce que je suis vrai­ment. Ça m’a pris un peu de temps, mais là je crois que je suis vrai­ment à 100% en phase. Je n’ai fait aucune con­ces­sion sur ce que je voulais vrai­ment racon­ter, sur les sonorités que je voulais utilis­er. J’ai des morceaux dans l’al­bum qui sont vrai­ment RnB et aujour­d’hui, j’as­sume tout ça. Ce qui a changé, c’est cette volon­té de ne plus du tout me brid­er, de n’é­couter que moi et de me faire kiffer !

 

C’est assez mar­rant de don­ner à son pre­mier album le titre de Pause. Pourquoi ce titre ? Qu’est-ce que ça sig­ni­fie pour toi à ce moment-là ?

Pause” c’est extrait d’une chan­son qui s’ap­pelle “1000 ans” dans mon album : j’y racon­te que j’aimerais pou­voir vivre une éter­nité. Parce que j’adore vivre, tout cro­quer, j’adore les journées rem­plies, ren­con­tr­er plein de gens, faire plein de trucs. Et à la fois, je trou­ve que la vie ‑notam­ment la vie parisienne- est quand même par­fois érein­tante… Et au-delà de la vie réelle, s’a­joute aus­si nos vies virtuelles. J’ai eu besoin d’une pause, à un moment don­né où j’ai eu l’im­pres­sion que j’al­lais imploser.

Alors cet album, je l’ai conçu comme un arrêt : juste un cocon, une bulle de douceur, de bien­veil­lance et de trucs posi­tifs. En tout cas j’en avais besoin, et j’avais l’im­pres­sion que c’é­tait pareil pour nous tous. Donc c’est une pause sur ce monde de fou en fait (rires) !

 

C’est mar­rant parce que je regar­dais l’in­ter­view qu’on avait faite ensem­ble il y a quelques années, et tu dis­ais déjà “qu’il y ait du posi­tif dans ma musique, c’est hyper impor­tant pour moi” : en fait, l’essen­tiel n’a pas vrai­ment changé ? 

Non, pas trop ! Et encore que je dirais que sur l’EP, c’é­tait une autre péri­ode de ma vie et je le trou­ve quand même un petit peu plus “som­bre” que l’al­bum. Pour l’al­bum, je pense que je suis arrivée dans une phase de ma vie où je n’ai pas trop à me plain­dre. Donc c’est dif­fi­cile pour moi d’avoir des morceaux lar­moy­ants, tristes…

 

C’est ce que tu dis dans le dernier morceau de l’al­bum, “Faux problèmes”

C’est ça : je vais bien donc j’avais envie de partager ça et de faire du bien à mon tour. C’est impor­tant. Je n’ap­prends rien à per­son­ne mais je trou­ve que le monde va mal, que l’hu­main est pas ter­ri­ble tout le temps, que chaque jour il se passe des trucs atro­ces. Ce que je veux laiss­er de moi, de mon mes­sage, c’est un peu de paix.

 

ehla

© Ella Hermë

 

 

De qui tu t’es entourée pour com­pos­er cet album ?

Je voulais avoir une palette large. J’ai un peu l’an­goisse des albums trop linéaires, où d’une chan­son à l’autre tu n’as que très peu de dif­férences, de rup­tures. Alors j’ai tra­vail­lé avec Augustin Char­net, qui a bossé avec Dinos, et avec Dis­iz sur son dernier album (on lui doit entre autres “Ren­con­tre” pour un feat avec Damso)… J’ai tra­vail­lé avec des gens proches du hip-hop comme Twenty9, lui aus­si un des bras droit de Dinos. Pour le côté plus pop, il y a eu Ilan Rabaté qui a fait “L’an­gle mort”, le feat. avec Brö et le titre “Comme Sophia”, qui a une palette de sonorités très large. Et j’ai aus­si bossé avec un ancien de chez Roche, Duñe, pour un côté plus soul / nu-soul. Il y a aus­si Nxxxxs et Fer­dous, qui ont tra­vail­lé sur deux titres.

 

L’un des pre­miers extraits de l’al­bum que tu avais partagés, c’est le titre “L’au­tori­sa­tion”. Déjà c’est co-écrit avec Brö**, qu’on a égale­ment eue récem­ment en inter­view. Tu nous racontes ? 

**Les deux chanteuses ont col­laboré plusieurs fois : elles parta­gent notam­ment le titre “Qui me ressem­ble”, présent sur l’al­bum de Brö.

Ini­tiale­ment je suis très fan d’elle, déjà. Je trou­ve que c’est l’une des meilleures artistes qu’on ait en ce moment en France. Je la trou­ve com­plète, extrême­ment intel­li­gente, elle a une musique riche… Je la trou­ve extra­or­di­naire et on est dev­enues très amies. Du coup, je lui ai demandé qu’elle m’aide à retran­scrire quelques trucs, à adoucir quelques phras­es, à m’ap­porter sa vision à elle.

 

Quelle était l’in­ten­tion de cette chan­son, du message ?

C’est le tout pre­mier titre que j’ai écrit sur l’al­bum. En fait à l’époque, je ne savais même pas qu’il y aurait un album. Je sor­tais d’une péri­ode de ma vie et je com­mençais à entrevoir la lumière, mais j’é­tais encore un peu amère dans ma façon de penser. J’ai écrit ce truc-là sur une boucle de piano assez vite, je sen­tais qu’il y avait un truc. Mais ce morceau est resté pen­dant quelques mois ‑je dirais même pen­dant un an- de côté, parce que les textes étaient un peu trop “abrasifs”. J’ai envie d’avoir un dis­cours en paix dans mes chan­sons… Et ce n’é­tait pas com­plète­ment en phase. Donc j’ai pris le temps.

 

Et d’avoir un regard extérieur, de la part de Brö, j’imag­ine que ça t’a aidée à pren­dre du recul ?

C’est ça. On se con­naît telle­ment qu’en plus, je sais à qui j’ai demandé, qu’elle me con­naît très bien, même si ça fait peu de temps.

Et puis cette chan­son était trop impor­tante pour moi. Parce que je suis quelqu’un d’ex­trême­ment timide. Pen­dant très très longtemps, j’ai pas trop osé dire non, j’é­tais un peu effacée. Et j’é­tais déçue par quelques trucs. Au moment où j’ai fait ce morceau, j’ai vrai­ment tout envoyé bouler. Je me suis dit “non, main­tenant tu vas vrai­ment exis­ter, tu vas arrêter de te la fer­mer, tu vas vivre et tu vas laiss­er une trace de ce que tu es toi.”

ehla

© Valentin Fabre

Toi qui es fan de mélodies : qu’est-ce qui pour toi fait une bonne mélodie ?

La sincérité. Je pense qu’une très bonne mélodie ne se réflé­chit pas. Tu as l’im­pres­sion que tu as une “tourne” d’ac­cord, tu es avec quelqu’un, tu es seul devant ton ordi ou ton piano… Et ça vient vrai­ment du bide : quand c’est ce départ-là, c’est telle­ment pro­fond et sincère que ça réus­sira for­cé­ment à touch­er d’autres humains. Pour moi c’est ça une bonne mélodie : quelque chose de très effi­cace. Et l’ef­fi­cac­ité vient directe­ment de la sincérité.

 

Tu dis “J’ai été en apnée pen­dant 15 ans, mais aujour­d’hui je suis très en paix” : ça veut dire que tu as mis du temps à te trou­ver en tant qu’artiste, peut-être aus­si en tant que personne ?

C’est ça. Je suis vrai­ment quelqu’un de très timide, c’en était mal­adif. Devoir acheter une baguette de pain créait une angoisse pas pos­si­ble, aller par­ler à des gens… C’é­tait une tor­ture pour moi de devoir répon­dre au télé­phone… Quand tu pars avec ça, c’est dif­fi­cile dans le méti­er que j’ai décidé de faire. Et puis il y a le truc de tomber par­fois sur les mau­vais­es per­son­nes aus­si, en amour notam­ment. Tu peux très longtemps te faire écras­er parce que tu peines à exis­ter, à trou­ver ta place, à te faire enten­dre. Et quelque part, quand tu ne t’aimes pas assez, c’est dif­fi­cile pour l’autre de t’aimer de façon puissante.

Je n’ai pas une grande con­fi­ance en moi, mais je trou­ve que je suis un peu une war­rior pour ça : parce que je pars de très loin. Niveau assur­ance, niveau timid­ité, aisance en milieu social. C’est une de mes fiertés aujour­d’hui : réus­sir à avoir ce que j’ai aujour­d’hui, avec ce que j’é­tais au départ.

 

C’é­tait quoi ton ambi­tion dans cet album ? Qu’est-ce que tu as voulu racon­ter, met­tre en avant ?

J’avais envie de quelque chose de fausse­ment léger, que tu puiss­es écouter dans le métro, quand il est bondé, que c’est l’en­fer et que tout le monde crie autour. Je voulais qu’on ressente toutes mes inspi­ra­tions… Je voulais être hyper authen­tique dans ce que j’aime, dans ce que j’ai écouté. Et surtout, pass­er ce mes­sage de femme douce mais affir­mée, bien ancrée dans son époque et très libre. Il y a un vrai sym­bole de lib­erté dans ces nou­velles chan­sons. Il n’y a plus rien qui me retient de rien, tu vois. Je me sens très très libre et j’es­time qu’on aurait toutes et tous l’être.

 

Pour écouter l’al­bum d’Ehla, voici les liens si vous êtes plutôt Spo­ti­fy ou même plutôt Deez­er.