© Marion Sammarcelli

Interview : Vel, musique abstraite, kicks puissants et synthés virtuels

Du 17 au 21 mai 2023, on s’est ren­dus à Lyon pour célébr­er les vingt ans de Nuits sonores. Une chose est sûre : on ne pou­vait pas quit­ter la ville sans avoir ren­con­tré Vel, DJ et pro­duc­trice, dernière recrue de Mama Told Ya et surtout, Lyon­naise d’adop­tion. Lors du sec­ond day, elle a délivré une heure de live au cœur du Azar Club, accom­pa­g­née de son fidèle ordi­na­teur, de quelques syn­thé­tiseurs et d’un con­trôleur. Une réus­site. Le lende­main, sur la ter­rasse de HEAT ‑comme à la maison‑, on a pu dis­cuter. D’une fameuse nuit passée au Sucre il y a sept ans, de son live juste avant l’in­ter­view, de son proces­sus créatif, de son amour pour les algo­rithmes et de l’empreinte qu’elle laisse sur les musiques élec­tron­iques aujourd’hui. 

 

Tu peux nous racon­ter cette nuit au Sucre ? Il paraît que c’est là que tu es tombée amoureuse de la musique électronique.

Ça remonte, alors je n’ai pas trop de sou­venirs (rires). C’était il y a sept ans. Je ne con­nais­sais absol­u­ment rien à la musique élec­tron­ique : je viens du Maroc et on n’en écoutait pas là-bas. Je suis arrivée à Lyon pour mes études, je fai­sais un peu la fête et j’ai voulu tester Le Sucre. Tout le monde en par­lait. Pour moi qui ne con­nais­sais que les bars dansants où je me fai­sais chi­er, j’ai pris une grosse claque (rires) ! J’avais l’impression de ren­tr­er dans un musée. Pas un bar plein de déco’, avec du son bizarre et des gens qui se bous­cu­lent. Là c’était min­i­mal­iste avec beau­coup de respect, le pub­lic était atten­tif à la musique… Je pense que l’artiste était berli­nois, mais je ne me sou­viens plus du tout de son nom (rires). À cette époque je ne savais rien de la tech­no. Ça m’a bouleversée.

 

© Mar­i­on Sammarcelli

 

La musique a tou­jours été quelque chose d’important dans ma vie. J’ai fait de la gui­tare et du piano quand j’étais gosse. J’ai voulu con­tin­uer adulte, mais je ne trou­vais pas les bonnes per­son­nes avec qui jouer… Quand j’ai décou­vert la musique élec­tron­ique, je me suis dit “Putain, je peux être toute seule et le faire !” Ça m’a directe­ment don­né envie. 

 

Con­crète­ment, qu’est-ce qui t’a don­né l’impulsion de te lancer dans les musiques élec­tron­iques en tant que DJ et productrice ?

Ça a mis deux ans entre la pre­mière fois où je suis allée au Sucre et le moment où je me suis lancée. J’étais étu­di­ante à l’INSA, une école d’ingé’ avec pré­pa, et per­son­ne ne s’in­téres­sait à la musique dans mon entourage. On était con­cen­trés sur les études et on avait tous lais­sé tomber nos pas­sions, car c’était vrai­ment prenant. J’étais dans un gouf­fre… Je pen­sais que la vie, c’était juste tra­vailler en entre­prise et voilà.

J’ai fini par par­tir en échange au Mex­ique et j’ai décou­vert la lib­erté. Je ne l’avais jamais vrai­ment con­nue. Quand je vivais au Maroc, j’étais sou­vent avec ma famille puis là-bas quand t’es une fille, tu ne peux pas for­cé­ment te balad­er seule : ce n’est pas un pays très égal­i­taire… En France j’étais pris­on­nière de mes études, et au Mex­ique j’ai été six mois en vacances (rires) ! Puis là-bas je suis retournée à une soirée et je me suis : Bon, quand je ren­tre en France il faut vrai­ment que je fasse de la musique, c’est plus pos­si­ble.” Je n’avais pas envie de mourir en me dis­ant Ton rêve c’était de faire de la musique, tu l’auras jamais fait, c’est trop bête, donc vas‑y bouge-toi !” Ça a été un déclic. Deux mois après, j’avais instal­lé Able­ton et passé des mil­lions d’heures devant des tuto­riels pour appren­dre ! 

 

© Mar­i­on Sammarcelli

 

Ça vient d’où “Vel” ? 

C’est un nom que j’ai inven­té et qui ne veut rien dire, car je ne voulais pas de sig­ni­fi­ca­tion par­ti­c­ulière. J’aime ce qui est abstrait. Je voulais fab­ri­quer un mot court, facile à pronon­cer et à retenir… Alors j’ai pris trois let­tres et j’essayais dif­férentes com­bi­naisons dans ma tête. Jusqu’à trou­ver celle qui me plai­sait le plus. Et j’aimais cette idée de don­ner une sig­ni­fi­ca­tion par une sonorité, plutôt que par un sens. C’est pour cela que j’ai util­isé des let­tres labi­ales le ‘V’, le ‘L’… C’est léger, ça évoque la féminité, le velours, la flu­id­ité… J’ai trou­vé ‘Vel’ il y a cinq ans en sor­tant d’un bus. Jamais je n’au­rais imag­iné que ce moment plutôt insignifi­ant don­nerait une car­rière en musique des années après (rires) ! 

 

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Selon-toi, quelle est la plus-value d’un live sur un DJ-set ? Ton live en est-il dif­férent ? 

C’est com­plète­ment dif­férent. Pour le live, il y a énor­mé­ment de risques. Pour le DJ-set, tu arrives avec ta clé USB ; le matériel (platines, table de mix­age) est déjà fourni. Alors si tu as un prob­lème, tu peux dire que ce n’est pas de ta faute (rires). Là j’arrive avec mon ordi, mes syn­thés, je ramène tous les câbles, branche­ments, hubs… C’est la panique. Parce que quand tu regardes des inter­views d’artistes qui se pro­duisent en live, ils racon­tent qu’ils ont tous eu des expéri­ences affreuses : l’ordi qui tombe, la carte son qui explose… Cat­a­stro­phe. Mais j’ai tou­jours été attirée par ça, car en tant que con­som­ma­trice de clubs j’ai plus été mar­quée par les lives que par les DJ-sets : Polar Iner­tia à Pos­i­tive édu­ca­tion, Float­ing Points, .VRIL, Vois­ki… Tous ces lives m’ont boulever­sée. J’ai voulu faire pareil. Le fait que ce soit la musique de l’artiste à 100% et pas la musique des autres, c’est très intense. Puis il y a un côté beau­coup plus fatidique avec le stress plutôt qu’avec le con­fort d’arriver avec ta clé USB. Mais j’avoue que sur le coup je ne sais pas pourquoi je m’inflige des trucs aus­si stres­sants (rires) ! Mon live doit rester sacré : je ne le fais que dans des con­di­tions opti­males, comme là à Nuits sonores. Puis une dizaine de fois par an, pas plus, car c’est épuisant. 

 

 

Quelles machines utilises-tu pour ton live ? 

J’ai mon Mac, c’est vrai­ment la pièce cen­trale de mon live. J’ai un amour pour le dig­i­tal, les syn­thé­tiseurs virtuels. Je tra­vaille dans l’informatique alors je suis fascinée par les algo­rithmes, par tout ce que tu peux faire avec un code binaire. Au début, je ne savais pas trop quel set-up adopter… J’ai donc décidé d’ajouter la TR‑8, qui est une boîte à rythmes avec laque­lle tu as tous les instru­ments ryth­miques, per­cus­sions, hats, les claps… Elle est très intu­itive, j’ai appris à la maîtris­er en cinq min­utes. Ensuite j’ai un syn­thé­tiseur Microf­reak Arturia. C’est un ordi­na­teur ce truc, c’est pour ça que je l’adore je pense (rires). Il y a des cen­taine de sonorités dif­férentes. Puis, j’ai un con­trôleur qui me per­met de pilot­er l’ordinateur. Grâce à lui, je peux con­trôler les effets. J’hésitais à acheter une pédale d’effet mais avec, tu ne peux en avoir qu’un seul, alors que sur Able­ton j’ai une cen­taine de reverb’ dif­férentes. Pourquoi se lim­iter (rires) ? 

 

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© Mar­i­on Sammarcelli

 

Quand tu pro­duis, que fais-tu en pre­mier ? Quel est ton proces­sus ? 

Ça dépend. En ce moment, je pro­duis de la tech­no. Alors je mets des kicks en pre­mier, un BPM ‑env­i­ron 145. Puis je cherche dans ma bib­lio­thèque de syn­thé­tiseurs des sons qui me plaisent, je mets des effets… Mais je n’ai pas fait beau­coup de musique avec des mélodies, car j’aime beau­coup l’abstrait. J’ai envie de don­ner une lib­erté d’interprétation aux gens : en met­tant une mélodie, je trou­ve qu’on en impose une. Alors je prends plein de petits sons ridicules, bizarroïdes et je les empile. Je mets la même note partout, le même mou­ve­ment alors ça fait un sound design, une tex­ture évo­lu­tive dans le temps. J’aime tra­vailler comme ça, car je me sur­prends. Je ne sais jamais où je vais. La musique est mon tra­vail, mais cela fait par­tie du domaine du diver­tisse­ment. Donc on est là pour faire plaisir et se faire plaisir. 

 

Quel est le track que tu as préféré produire ?

You Taste Like Zaatar” (rires). Ce track, c’est une dinguerie : je me rap­pelle que je l’ai pro­duit dans la cham­bre de mes par­ents, avec mon père qui fai­sait la sieste à côté (rires). J’ai com­posé le morceau en trois heures. Je m’en foutais, je me repo­sais au Maroc, j’avais mangé plein de tajine toute la semaine et “Zaatar” c’est sor­ti comme ça (rires) ! Je tra­vail­lais sur les petits snares qui s’enroulent… Et per­son­ne ne fait bouger le rate (vitesse d’avancement du snare sur l’arpège). Je me suis dit “Vas‑y je fais n’importe quoi et je m’en fous” (rires) ! Et ça a fonc­tion­né. Les gens aiment bien n’importe quoi. 

 

 

Quelle est ta mar­que de fab­rique ? Ce qui définit ton “empreinte” sur la musique élec­tron­ique ? 

Mon “empreinte” c’est une dual­ité entre des kicks forts et des notes plus frag­iles. Ce n’est pas de la musique de bour­rin (mal­gré les gros kicks). Il y a beau­coup de sub­til­ité dans le sound design, enfin c’est ce que j’essaye de trans­met­tre. J’aime con­fron­ter ces deux mon­des : je veux que ce soit énergique et qu’on danse dessus, mais que cela fasse fonc­tion­ner le cerveau des gens en même temps. 

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