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© Sebastian Kapfhammer
16 novembre 2022

Entretien avec PVA : Party, Vérité, Amour

par Tsugi

Extrait du Tsugi 154

Par Thomas Andréi

Entre parlé chanté, dancefloor et incantations post-punk, le trio londonien PVA unit sur son premier album Blush l’instantanéité du live et la rigueur de l’électronique. Un mélange détonnant expliqué par Ella Harris et Josh Baxter, les deux voix du trio.

Le 19 août, quand Ella Harris, la chanteuse-guitariste de PVA, grattait sa Fender dans la chaleur estivale du Ballà Boum Festival en Corse, beaucoup d’images, d’émotions et de références communiaient en même temps. Odyssée finale d’un concert élégant, « Exhaust/Surroundings », parue sur le plus récent EP du groupe, démarre comme une chanson de The Cure, part avec violence sur du Soulwax avant de prendre un virage indie et de s’achever sur envolées synthétiques à la Kraftwerk. Tout le long, la jeune chanteuse, qui fait sonner ses cordes comme si elle était dans Nirvana, roucoule comme si Hope Sandoval, la frontwoman angélique de Mazzy Star, avait grandi dans le Londres décadent du troisième millénaire. Tout ceci pouvait, il fut un temps, résumer l’objet sonique créé par Harris et ses amis Josh Baxter et Louis Satchwell. Mais sur son premier album, Blush, qui sort le 14 octobre sur Ninja Tune, le trio du sud de Londres abandonne les guitares pour s’aventurer vers des espaces plus électroniques. « Transit »présente une ambiance trip-hop morne et pluvieuse, « Hero Man » allie nappes de synthé baléariques et percus à la DFA et le sauvage « Untethered », fait d’amour et de science-fiction, est un hymne club que ne renierait pas Peaches. Leurs jeunes traits tirés par une longue nuit, Harris et Baxter se calent devant leurs écrans pour parler banlieue, machines et science-fiction.

 

 

Où avez-vous grandi ?
Ella : D’abord à Stoke Newington, où je vis maintenant, qui est assez central. Puis nous avons déménagé à Finchley, plus au nord. Quand tu grandis dans ce genre de quartier en dehors du centre, tu as tendance à y rester beaucoup. Et, parfois, tu pars explorer Londres. Les moins de 18 ans prennent le bus gratuitement, alors on jouait à ce jeu : on allait dans le centre, puis on prenait le premier bus qu’on croisait et on voyait où ça nous amenait. On se retrouvait à chaque fois dans un endroit différent.
Josh : On a grandi dans deux coins assez banlieusards, assez similaires même si à l’opposé géographiquement parlant. Moi, c’était dans le Sud, à Croydon. Loin des gratte-ciel de la City. Des centres commerciaux, des maisons alignées en rang d’oignons, des écoles, un cinéma… et c’est tout. Il faut se rapprocher du centre pour voir le stéréotype de Londres.

Qu’écoutaient vos parents, quand vous étiez petits ?
Josh : Mon père aime bien Pink Floyd et ma mère écoutait beaucoup d’ABBA dans la voiture. Et du George Michael.
Ella : Mon père était plutôt Beastie Boys et Busta Rhymes. Il faisait des cassettes qu’il jouait dans la voiture. Du rap lourd. Ma mère adore le jazz. Je m’appelle Ella en hommage à Ella Fitzgerald.

Pourtant, on ne peut pas dire qu’Ella Fitzgerald et Busta Rhymes soient deux influences évidentes de votre musique.
Ella : J’aime les deux, mais j’imagine que je me suis un peu rebellée contre mes parents. Ado, je me suis mise à écouter de la musique plus orientée vers la guitare. La première fois que j’ai entendu The Smiths, je devais avoir 15 ans ! Je trouvais ça dingue. J’ai dû rattraper mon retard. Les influences de PVA viennent peut-être plus de là. Ensuite, j’aime notre façon de construire des beats, qui viennent de groupes un peu moins tournés vers la guitare.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Ella : Je me souviens qu’on était à un after dans un salon. Je devais être en train de boire une canette de Tyskie (lager polonaise pas chère, ndr). Josh était dans un coin, à côté de la fenêtre, il avait l’air timide et je me sentais très timide moi-même. Il y avait beaucoup de gens qui parlaient d’eux-mêmes et que je ne connaissais pas. Puis j’ai vu ce visage bienveillant, donc je suis allée vers lui. Il devait être 2 h et on a parlé toute la nuit. C’était en 2017, je pense.
Josh : C’est quand j’avais les cheveux blonds ?
Ella : Oui ! Blond platine.
Josh : C’était ma période vampire post-punk. Je portais toujours un grand pardessus.
Ella : Et de l’eye-liner. Et moi, j’avais les cheveux bleus.

 

© Sebastian Kapfhammer

 

Lorsque PVA est né en 2019, quel genre de groupes, vous fréquentiez ?
Ella : Au début, je travaillais au Five Bells, un pub et une salle de concert du sud de Londres, pas loin de là où on habitait Josh et moi. Ça fait partie d’un petit morceau de Londres, qui comprend aussi le Windmill, où gravitait une scène plus orientée vers la guitare, avec un twang country. C’était dans la lignée de groupes comme Fat White Family et Country Teasers. Dans ces salles, tous les groupes jouaient le même temps et étaient payés pareil. Certains jouaient du shoegaze, d’autres du punk, certains de la guitar music plus soft. Mais il n’y avait pas de groupes électroniques.

Vous avez vous-même longtemps oscillé entre post-punk et électronique. Sur scène, cet été, comme au Ballà Boum Festival, vous avez clairement choisi une voie plus dance que rock. Vous avez aussi confié à Loud & Quiet votre projet de trouver un moyen que la batterie sonne plus comme une boîte à rythmes et votre synthé plus comme une guitare. Comment est née cette envie ?
Josh : Des groupes comme Gilla Band ou Just Mustard (dont il porte le t-shirt, ndr) essaient de faire ça à l’envers : leurs guitares sonnent souvent comme des synthés. Je trouve intéressant d’utiliser un instrument dans un but différent de celui pour lequel il a été conçu. Quand tu fais l’inverse de ce qui est prévu, tu atteins souvent quelque chose d’inattendu. La musique live a un côté très immédiat qu’on n’obtient pas toujours avec des DJs et de la musique électronique. Même si tu peux obtenir quelque chose de différent avec une atmosphère de club. Un de nos buts est de reconnecter l’instantanéité de la musique live à la rigueur d’exécution de l’électronique. Puis voir comment cette rencontre se passe.

En 2020, vous aviez dit à DIY que votre EP Toner était un « reflet honnête » de qui vous étiez. En quoi, exactement ?
Ella : C’était le moment auquel nous introduisions des sons qui n’étaient pas forcément ceux qui avaient intéressé les gens en premier lieu. On amenait une palette de sons plus large. Et c’était un reflet plus honnête de nous-mêmes, plutôt que refaire six fois « Divine Intervention ». Même si « Untethered » a une forme similaire. Les deux morceaux partent d’un son de basse.
Josh : On dirait pareil pour Blush aujourd’hui. On a sorti des choses plus tournées vers la guitare et nous voulions explorer une voie plus électronique. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne reviendra pas aux guitares dans le futur. L’électronique a toujours fait partie de notre son. Les possibilités sont infinies. On voulait juste créer des sons et des humeurs qui nous excitent.

 

 

« Untethered » sonne un peu comme un cauchemar de science-fiction. La narratrice poursuit des petits hommes faits en néons. Elle demande : « Quel est le sens de tout ceci ? Quand est-ce que ça s’arrêtera ? » Ils ne répondent pas et continuent de courir. La science-fiction vous influence-t-elle ?
Josh : Oui. Mon père en lit beaucoup et m’a transmis cette imagerie. Beaucoup des chansons ont des scènes attachées à elles. Au studio, quand on finissait « Untethered », j’avais cette image d’une ville futuriste : des buildings géants qui prenaient vie et chassaient les gens. Qui partaient en courant. Le son du synthé sonne très « grand. » Ça va ensemble. C’était mécanique et organique à la fois.
Ella : J’aime beaucoup Ursula K. Le Guin, de la science-fiction avec une approche anthropologique. Au niveau de la chanson, j’aime l’imagerie de cette personne dans une sorte de purgatoire. Elle voit ces gens, au loin. Ils sont petits parce qu’ils sont loin. La personne court vers eux. Ils courent sans savoir pourquoi. Elle les rattrape, demande ce qu’ils font et ils ne répondent pas. Ils continuent à courir. Cela résume comment on peut se sentir avec beaucoup de gens autour de soi.

« Bad Dad » est plutôt une scène de film d’horreur. Pourquoi ce père est-il mauvais ?
Ella : Cet homme vient d’avoir un nouveau-né. Son premier enfant. Il va au berceau au milieu de la nuit. Le nouveau-né pleure. Il essaie de le calmer mais il ne s’arrête pas. Alors, il traverse une crise existentielle qui a en effet un côté film d’horreur. « Vais-je être un bon père ? Suis-je condamné à être un père horrible ? » Il n’est pas mauvais. Il pense qu’il est destiné à l’être à cause des archétypes de la masculinité. Il a peur qu’étant un homme élevant un homme, il les fasse se perpétuer. Je suis sûre que c’est stressant d’élever un homme. Et d’être un homme, aussi.

 

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