© Sebastian Kapfhammer

Entretien avec PVA : Party, Vérité, Amour

par Tsugi

Extrait du Tsu­gi 154

Par Thomas Andréi

Entre par­lé chan­té, dance­floor et incan­ta­tions post-punk, le trio lon­donien PVA unit sur son pre­mier album Blush l’instantanéité du live et la rigueur de l’électronique. Un mélange déton­nant expliqué par Ella Har­ris et Josh Bax­ter, les deux voix du trio.

Le 19 août, quand Ella Har­ris, la chanteuse-guitariste de PVA, grat­tait sa Fend­er dans la chaleur esti­vale du Bal­là Boum Fes­ti­val en Corse, beau­coup d’images, d’émotions et de références com­mu­ni­aient en même temps. Odyssée finale d’un con­cert élé­gant, « Exhaust/Surroundings », parue sur le plus récent EP du groupe, démarre comme une chan­son de The Cure, part avec vio­lence sur du Soul­wax avant de pren­dre un virage indie et de s’achever sur envolées syn­thé­tiques à la Kraftwerk. Tout le long, la jeune chanteuse, qui fait son­ner ses cordes comme si elle était dans Nir­vana, roucoule comme si Hope San­doval, la front­woman angélique de Mazzy Star, avait gran­di dans le Lon­dres déca­dent du troisième mil­lé­naire. Tout ceci pou­vait, il fut un temps, résumer l’objet sonique créé par Har­ris et ses amis Josh Bax­ter et Louis Satch­well. Mais sur son pre­mier album, Blush, qui sort le 14 octo­bre sur Nin­ja Tune, le trio du sud de Lon­dres aban­donne les gui­tares pour s’aventurer vers des espaces plus élec­tron­iques. « Tran­sit »présente une ambiance trip-hop morne et plu­vieuse, « Hero Man » allie nappes de syn­thé baléariques et per­cus à la DFA et le sauvage « Unteth­ered », fait d’amour et de science-fiction, est un hymne club que ne renierait pas Peach­es. Leurs jeunes traits tirés par une longue nuit, Har­ris et Bax­ter se calent devant leurs écrans pour par­ler ban­lieue, machines et science-fiction.

 

 

Où avez-vous grandi ?
Ella : D’abord à Stoke New­ing­ton, où je vis main­tenant, qui est assez cen­tral. Puis nous avons démé­nagé à Finch­ley, plus au nord. Quand tu gran­dis dans ce genre de quarti­er en dehors du cen­tre, tu as ten­dance à y rester beau­coup. Et, par­fois, tu pars explor­er Lon­dres. Les moins de 18 ans pren­nent le bus gra­tu­ite­ment, alors on jouait à ce jeu : on allait dans le cen­tre, puis on pre­nait le pre­mier bus qu’on croi­sait et on voy­ait où ça nous ame­nait. On se retrou­vait à chaque fois dans un endroit différent.
Josh : On a gran­di dans deux coins assez ban­lieusards, assez sim­i­laires même si à l’opposé géo­graphique­ment par­lant. Moi, c’était dans le Sud, à Croy­don. Loin des gratte-ciel de la City. Des cen­tres com­mer­ci­aux, des maisons alignées en rang d’oignons, des écoles, un ciné­ma… et c’est tout. Il faut se rap­procher du cen­tre pour voir le stéréo­type de Londres.

Qu’écoutaient vos par­ents, quand vous étiez petits ?
Josh : Mon père aime bien Pink Floyd et ma mère écoutait beau­coup d’ABBA dans la voiture. Et du George Michael.
Ella : Mon père était plutôt Beast­ie Boys et Bus­ta Rhymes. Il fai­sait des cas­settes qu’il jouait dans la voiture. Du rap lourd. Ma mère adore le jazz. Je m’appelle Ella en hom­mage à Ella Fitzgerald.

Pour­tant, on ne peut pas dire qu’Ella Fitzger­ald et Bus­ta Rhymes soient deux influ­ences évi­dentes de votre musique.
Ella : J’aime les deux, mais j’imagine que je me suis un peu rebel­lée con­tre mes par­ents. Ado, je me suis mise à écouter de la musique plus ori­en­tée vers la gui­tare. La pre­mière fois que j’ai enten­du The Smiths, je devais avoir 15 ans ! Je trou­vais ça dingue. J’ai dû rat­trap­er mon retard. Les influ­ences de PVA vien­nent peut-être plus de là. Ensuite, j’aime notre façon de con­stru­ire des beats, qui vien­nent de groupes un peu moins tournés vers la guitare.

Com­ment vous êtes-vous rencontrés ?
Ella : Je me sou­viens qu’on était à un after dans un salon. Je devais être en train de boire une canette de Tyskie (lager polon­aise pas chère, ndr). Josh était dans un coin, à côté de la fenêtre, il avait l’air timide et je me sen­tais très timide moi-même. Il y avait beau­coup de gens qui par­laient d’eux-mêmes et que je ne con­nais­sais pas. Puis j’ai vu ce vis­age bien­veil­lant, donc je suis allée vers lui. Il devait être 2 h et on a par­lé toute la nuit. C’était en 2017, je pense.
Josh : C’est quand j’avais les cheveux blonds ?
Ella : Oui ! Blond platine.
Josh : C’était ma péri­ode vam­pire post-punk. Je por­tais tou­jours un grand pardessus.
Ella : Et de l’eye-liner. Et moi, j’avais les cheveux bleus.

 

© Sebas­t­ian Kapfhammer

 

Lorsque PVA est né en 2019, quel genre de groupes, vous fréquentiez ?
Ella : Au début, je tra­vail­lais au Five Bells, un pub et une salle de con­cert du sud de Lon­dres, pas loin de là où on habitait Josh et moi. Ça fait par­tie d’un petit morceau de Lon­dres, qui com­prend aus­si le Wind­mill, où grav­i­tait une scène plus ori­en­tée vers la gui­tare, avec un twang coun­try. C’était dans la lignée de groupes comme Fat White Fam­i­ly et Coun­try Teasers. Dans ces salles, tous les groupes jouaient le même temps et étaient payés pareil. Cer­tains jouaient du shoegaze, d’autres du punk, cer­tains de la gui­tar music plus soft. Mais il n’y avait pas de groupes électroniques.

Vous avez vous-même longtemps oscil­lé entre post-punk et élec­tron­ique. Sur scène, cet été, comme au Bal­là Boum Fes­ti­val, vous avez claire­ment choisi une voie plus dance que rock. Vous avez aus­si con­fié à Loud & Qui­et votre pro­jet de trou­ver un moyen que la bat­terie sonne plus comme une boîte à rythmes et votre syn­thé plus comme une gui­tare. Com­ment est née cette envie ?
Josh : Des groupes comme Gilla Band ou Just Mus­tard (dont il porte le t‑shirt, ndr) essaient de faire ça à l’envers : leurs gui­tares son­nent sou­vent comme des syn­thés. Je trou­ve intéres­sant d’utiliser un instru­ment dans un but dif­férent de celui pour lequel il a été conçu. Quand tu fais l’inverse de ce qui est prévu, tu atteins sou­vent quelque chose d’inattendu. La musique live a un côté très immé­di­at qu’on n’obtient pas tou­jours avec des DJs et de la musique élec­tron­ique. Même si tu peux obtenir quelque chose de dif­férent avec une atmo­sphère de club. Un de nos buts est de recon­necter l’instantanéité de la musique live à la rigueur d’exécution de l’électronique. Puis voir com­ment cette ren­con­tre se passe.

En 2020, vous aviez dit à DIY que votre EP Ton­er était un « reflet hon­nête » de qui vous étiez. En quoi, exactement ?
Ella : C’était le moment auquel nous intro­dui­sions des sons qui n’étaient pas for­cé­ment ceux qui avaient intéressé les gens en pre­mier lieu. On ame­nait une palette de sons plus large. Et c’était un reflet plus hon­nête de nous-mêmes, plutôt que refaire six fois « Divine Inter­ven­tion ». Même si « Unteth­ered » a une forme sim­i­laire. Les deux morceaux par­tent d’un son de basse.
Josh : On dirait pareil pour Blush aujourd’hui. On a sor­ti des choses plus tournées vers la gui­tare et nous voulions explor­er une voie plus élec­tron­ique. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne revien­dra pas aux gui­tares dans le futur. L’électronique a tou­jours fait par­tie de notre son. Les pos­si­bil­ités sont infinies. On voulait juste créer des sons et des humeurs qui nous excitent.

 

 

« Unteth­ered » sonne un peu comme un cauchemar de science-fiction. La nar­ra­trice pour­suit des petits hommes faits en néons. Elle demande : « Quel est le sens de tout ceci ? Quand est-ce que ça s’arrêtera ? » Ils ne répon­dent pas et con­tin­u­ent de courir. La science-fiction vous influence-t-elle ?
Josh : Oui. Mon père en lit beau­coup et m’a trans­mis cette imagerie. Beau­coup des chan­sons ont des scènes attachées à elles. Au stu­dio, quand on finis­sait « Unteth­ered », j’avais cette image d’une ville futur­iste : des build­ings géants qui pre­naient vie et chas­saient les gens. Qui par­taient en courant. Le son du syn­thé sonne très « grand. » Ça va ensem­ble. C’était mécanique et organique à la fois.
Ella : J’aime beau­coup Ursu­la K. Le Guin, de la science-fiction avec une approche anthro­pologique. Au niveau de la chan­son, j’aime l’imagerie de cette per­son­ne dans une sorte de pur­ga­toire. Elle voit ces gens, au loin. Ils sont petits parce qu’ils sont loin. La per­son­ne court vers eux. Ils courent sans savoir pourquoi. Elle les rat­trape, demande ce qu’ils font et ils ne répon­dent pas. Ils con­tin­u­ent à courir. Cela résume com­ment on peut se sen­tir avec beau­coup de gens autour de soi.

« Bad Dad » est plutôt une scène de film d’horreur. Pourquoi ce père est-il mauvais ?
Ella : Cet homme vient d’avoir un nouveau-né. Son pre­mier enfant. Il va au berceau au milieu de la nuit. Le nouveau-né pleure. Il essaie de le calmer mais il ne s’arrête pas. Alors, il tra­verse une crise exis­ten­tielle qui a en effet un côté film d’horreur. « Vais-je être un bon père ? Suis-je con­damné à être un père hor­ri­ble ? » Il n’est pas mau­vais. Il pense qu’il est des­tiné à l’être à cause des arché­types de la mas­culin­ité. Il a peur qu’étant un homme éle­vant un homme, il les fasse se per­pétuer. Je suis sûre que c’est stres­sant d’élever un homme. Et d’être un homme, aussi.