© Patrick Muennich

Europavox, une histoire européenne

Fes­ti­vals, média, réseau de pro­gram­ma­teurs, le pro­jet Europavox met tout en œuvre pour aider la mobil­ité de jeunes groupes européens, en cul­ti­vant un véri­ta­ble esprit famil­ial et col­lab­o­ratif. De quoi ramen­er un peu de rêve dans une Union européenne qui en manque.

L’Eu­rope a‑t-elle du plomb dans l’aile? Le Brex­it a freiné les ardeurs des par­ti­sans de l’Union européenne, et la dynamique actuelle sem­ble plutôt être au repli nation­al. Pour­tant, cer­tains con­tin­u­ent d’y croire. Au-delà des enjeux économiques sclérosants, les idées de ren­con­tre, de curiosité et de mobil­ité sont encore là. Encore faut-il qu’elles puis­sent exis­ter dans l’Union actuelle. Et c’est à cela qu’aspire Europavox – par le biais de la musique. Dif­fi­cile de résumer ce pro­jet: fes­ti­val, et même série de fes­ti­vals déclinés dans sept pays ; média de cura­tion d’artistes émer­gents ; réseau de pro­fes­sion­nels de la musique à l’échelle du con­ti­nent. C’est tout cela à la fois, dans le but d’aider les artistes à dépass­er les fron­tières de leur pays. “L’eldorado des musi­ciens, ce sont l’Angleterre et les États-Unis, pour des tas de raisons val­ables, explique François Mis­son­nier, fon­da­teur du pro­jet. Mais on vit tout de même sur un con­ti­nent de 500 mil­lions d’habitants. Et puis il y a de belles choses dans les pays à côté, ce serait dom­mage de ne pas y prêter attention.”

L’origine du pro­jet Europavox remonte à 2005. Mis­son­nier est alors directeur du tout jeune Rock en Seine (poste qu’il occupe jusqu’en 2017). Il est con­tac­té par la région Auvergne, d’où il est orig­i­naire, pour mon­ter un fes­ti­val sur le ter­ri­toire des vol­cans. “C’était le moment du référen­dum sur la con­sti­tu­tion européenne, raconte-t-il. C’était la pre­mière fois que le sujet occu­pait autant de place dans les médias. Sauf que la cul­ture était assez large­ment absente, et la jeunesse mise de côté.” Con­scient que ces deux élé­ments sont le ciment de pro­jets poli­tiques, il lie alors cette philoso­phie à l’essence du festival.

 

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Ce qui nour­rit le pro­jet, c’est l’idée que nos dif­férences ne sont pas un frein à une aven­ture com­mune.” La pre­mière édi­tion a lieu en 2006 à Clermont-Ferrand. Et il se tient encore aujourd’hui dans cette ville, avec une dou­ble ori­en­ta­tion: une pro­gram­ma­tion de cadors nationaux (Vald, Clara Luciani, etc.), aux côtés d’artistes émer­gents européens. Une ouver­ture qui doit être pen­sée jusqu’au bout, pré­cise Mis­son­nier: “Dès le début, on sen­tait qu’on ne pou­vait pas juste pro­gram­mer depuis la France, avec notre vision, nos goûts.” Pas à pas, des con­tacts sont pris avec des pro­gram­ma­teurs, directeurs artis­tiques, jour­nal­istes, menant à un réseau con­sti­tué aujourd’hui d’une cinquan­taine de per­son­nes. Faisant du fes­ti­val cler­mon­tois un véhicule bien étroit. En résulte donc cette décli­nai­son dans six autres pays : Bel­gique (Brux­elles), Ital­ie (Bologne), Croat­ie (Zagreb), Roumanie (Bucarest), Litu­anie (Vil­nius) et Autriche (Vienne). “Mais le vais­seau ami­ral reste à Cler­mont !” pré­cise Mis­son­nier. Et puis il y a le média, un site inter­net disponible en trois langues (français, anglais et alle­mand) met­tant en avant chaque année plus de cent artistes venus de toute l’Europe.

 

Facilitateur d’échanges

En novem­bre dernier avait ain­si lieu l’étape vien­noise 2022 d’Europavox. Le cen­tre socio­cul­turel du WUK, anci­enne usine de trains en plein cœur de la cap­i­tale autrichi­enne, dev­enue à la fois salle d’exposition, stu­dio de répéti­tion, lieu de débats, bar, salle de con­cert et école mater­nelle, incar­ne d’emblée l’envie de diver­sité du fes­ti­val. Sur deux soirs se sont ain­si suc­cédé le chanteur et com­pos­i­teur grec Theodore, entre élec­tron­i­ca, piano et synth-wave mélodique, Mis­cha Blanos, pianiste roumain croisant tech­no et clas­sique signé chez InFiné, le duo slovénocroate et soul Freekind, et la Suisse Émi­lie Zoé, au rock hérité de PJ Har­vey, ain­si qu’un artiste de la scène folk locale, Dop­pelfin­ger. Le résul­tat d’une dou­ble exi­gence de diver­sité, musi­cale et géo­graphique, défendue par le pro­gram­ma­teur du lieu Hannes Cis­to­ta. Celui-ci ne tar­it pas d’éloges sur Europavox: «Quand François est venu nous ren­con­tr­er il y a dix ans, j’ai tout de suite adhéré au projet. »

 

«Ce qui nour­rit le pro­jet, c’est l’idée que nos dif­férences ne sont pas un frein à une aven­ture commune.»

Fran­cois Missonnier

 

Et si l’affluence reste mod­este, l’enthousiasme est bien présent, sur scène comme dans le pub­lic. De quoi sat­is­faire l’équipe du fes­ti­val, dont le coor­di­na­teur artis­tique François Audigi­er: “Pour moi, c’est un exem­ple de soirée réussie. Ce qui compte, c’est qu’artistes et pub­lic passent un moment fort.” Tout repose selon lui sur la pierre angu­laire du pro­jet: la cura­tion, incar­née depuis 2017 par la par­tie média du pro­jet. “On est en alerte per­ma­nente sur ce qu’il se passe en Europe”, explique-t-il, et les propo­si­tions ne man­quent pas. Après un proces­sus col­lab­o­ratif – car “le pro­gram­ma­teur génie, ça n’existe pas” – dix groupes sont retenus chaque mois, et un vote avec les pro­gram­ma­teurs des sept fes­ti­vals désigne la for­ma­tion élue “groupe du mois”. Une seule règle: l’artiste doit être prêt à tourn­er à l’international. “Notre seul objec­tif, c’est de faciliter les groupes à l’export”, souligne Audigi­er. En dehors de ça, un seul critère selon lui: “Je ne crois qu’en la musique qui a du cœur.” Une vision qui pro­duit la prin­ci­pale sin­gu­lar­ité d’Europavox: son aspect famil­ial. À chaque instant durant le fes­ti­val vien­nois, l’esprit de cama­raderie entre les dif­férents mem­bres est pal­pa­ble. Cer­tains ont même fait une longue route, depuis la Litu­anie ou l’Italie. Pour leur activ­ité de pro­gram­ma­teurs, mais surtout pour retrou­ver des amis. “Ça s’est con­stru­it comme une évi­dence, racon­te François Mis­son­nier, et le partage n’en est que plus spontané.”

Hannes pour­suit: “On dis­cute sou­vent ensem­ble, pour le site, mais plus large­ment pour se recom­man­der des groupes.” Ou même tout autre chose. “Durant la pandémie, on se racon­tait nos quo­ti­di­ens, pour­suit Mis­son­nier. Et on voy­ait que chaque pays vivait cette pandémie dif­férem­ment, mais au niveau intime, on vivait la même chose, et partager cela était incroy­able. Et telle­ment réconfortant.”

 

À l’échelle du continent

Ces échanges nour­ris­sent égale­ment la volon­té d’équité entre pays du pro­jet. Car comme le souligne Hannes : “Rem­plir une salle de mille per­son­nes est plus acces­si­ble à Paris qu’à Bologne ou Bucarest.” Mis­son­nier abonde: “On voit à quel point notre pays est priv­ilégié cul­turelle­ment, con­cer­nant les sup­ports médi­a­tiques, d’infrastructures ou poli­tiques. Il faut le pren­dre en compte dans nos échanges.” En plus d’insister sur des pays plus rares (comme les Îles Féroé ou la Mol­davie), cela entraîne un autre effet, observé par François Audigi­er: “Vu le niveau exigé par nos parte­naires, il faut que l’on fasse encore mieux sur les artistes français qu’on pro­pose. On se met une grosse pres­sion.” D’où la présence d’artistes déjà rel­a­tive­ment instal­lés en France, comme Vladimir Cauchemar ou Aloïse Sauvage. Ces ques­tion­nements font d’ailleurs d’Europavox, un pro­jet sans cesse en évolution.

Après un remaniement du site en 2021, le prochain chantier sera l’écologie. “On ne peut pas renon­cer à la mobil­ité des artistes, c’est le cœur de notre pro­jet”, souligne Mis­son­nier. Mais il faut “réfléchir à l’opposé de la logique actuelle, où l’artiste vient en avion, fait son con­cert et repart immé­di­ate­ment après”. Les options sont nom­breuses : inter­ven­tions dans des écoles ou cen­tre médi­coso­ci­aux, rési­dences, mini-tournée. Bref, “que le voy­age nour­risse quelque chose de plus vaste qu’un sim­ple con­cert”. D’autres pro­jets sont en cours, comme Europavox Cam­pus, trem­plin étu­di­ant organ­isé en févri­er dans qua­tre uni­ver­sités de Norvège, Roumanie, Alle­magne et France, avant une finale com­mune en avril. Dans tout cela, le rap­port aux insti­tu­tions est cru­cial. Le lance­ment du média en 2017 repose sur son inclu­sion dans le pro­gramme Europe Créa­tive. Celui-ci sou­tient tout type de pro­jets cul­turels dans l’Union entière, avec un bud­get de 2,44 mil­liards d’euros pour la péri­ode 2021- 2027. “On était sur­pris d’y avoir droit. Les musiques actuelles y sont rarement représen­tées” avoue Mis­son­nier. D’autres parte­nar­i­ats exis­tent, comme des con­certs dans le Par­lement, ou à l’occasion de la Fête de l’Europe.

 

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Car si le pro­jet se veut non par­ti­san, Mis­son­nier reste con­va­in­cu qu’à l’heure des mon­tées des nation­al­ismes, “la bonne échelle, ce n’est pas le pays, mais le con­ti­nent”. Le renou­velle­ment du finance­ment Europe Créa­tive, à venir en 2024, implique de nou­veaux change­ments, dont l’arrivée pos­si­ble de nou­veaux parte­naires. Avec le risque de frag­ilis­er l’aspect famil­ial, auquel per­son­ne ne veut renon­cer.“À long terme, c’est ce genre de partage qui sera le ciment de ce qu’est l’Europe, plus que les traités”, affirme Mis­son­nier. Mais il reste opti­miste. “Mon fan­tasme, c’est qu’il y ait un fes­ti­val dans les vingt-sept pays. Et pour moi c’est pos­si­ble en con­ser­vant l’aspect famil­ial de notre réseau. Florin, notre parte­naire roumain, n’est arrivé qu’en 2020 et s’adapte tout naturelle­ment au pro­jet. Il n’y a pas de rai­son que les autres ne soient pas comme ça.” On a vrai­ment envie d’y croire.

 

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