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© Pooneh Ghana // Frank Fieber
21 octobre 2024

Fat Dog, ni queue ni maître

par Tsugi

Sensation du rock anglais post-pandémie, le groupe Fat Dog, originaire du sud de Londres, transpose la fureur de ses concerts en un premier album ravageur : WOOF. Un disque gras, énergique, qui trouve dans les sonorités astrales et effrénées un nouveau paradigme à explorer.

L’anglais est truffé, comme toutes les langues, d’expressions qui n’ont aucun équivalent précis en français. Parmi elles «white lie», un «mensonge blanc» en traduction littérale, définissant un gentil bobard, une imposture sans grande conséquence qui peut même avoir un but positif. « J’étais déjà fan du groupe avant de l’intégrer, raconte Chris Hughes, claviériste de Fat Dog. J’étais dans un sale mood, je me bourrais souvent la gueule. Mais j’aimais vraiment leur musique. Après un de leurs concerts, je suis allé leur demander s’ils avaient de la place pour un musicien supplémentaire.

Ils m’ont répondu que c’était possible, mais tous les instruments dont je savais jouer étaient déjà pris. Alors, je leur ai dit que je savais jouer du violon alto. C’était complètement faux, mais ils m’ont cru. J’ai appris les bases en une semaine, j’étais nul. Mais je suis parti sur la route avec eux pendant un an. » Mytho bénéfique, cette petite tromperie est également l’illustration du côté légèrement -totalement- déglingué du quatuor londonien emmené par Joe Love, son chanteur. Un type qui, sur scène, ne fait pas de quartier.

 

À lire sur tsugi.fr : Fat Dog, Pont Neuf, Fred again… Les projets de la semaine (06/09/2024)

 

Lové dans un canapé, Joe et Chris ont été envoyés en émissaires pour parler, au nom de la meute, de son premier album, sobrement intitulé WOOF. Une émanation studio de sa discipline principale, les concerts, qui ont fait sa réputation en Grande-Bretagne juste après les confinements successifs, dans une période où la libération des corps et des esprits était plus que nécessaire.

« Les gens avaient passé tellement de temps à ne rien faire, à tourner en rond, que quand ils ont été libérés et qu’on leur a offert des espaces où ils pouvaient exulter, ils les ont occupés » se souvient Joe, fondateur. Exulter, c’est bien joli, encore faut-il pouvoir capter en studio l’énergie déployée. Une transition qui n’a pas été sans difficulté pour les Fat Dog, de leur propre aveu. Mais à l’écoute du résultat, ils s’en sortent franchement très bien.

 

Drôles mais pas clowns

WOOF est peuplé de virulence bienveillante. Le titre «Running», par exemple, fonctionne comme un bulldozer débridé, mobilisant un équilibre savant entre les guitares et les synthétiseurs. Un mélange qui n’a rien de nouveau, mais qui se décline ici en une musique un brin sidérale, très ambitieuse, bruyante. C’est là la grande force de l’album: au lieu de chercher à adapter la scène en studio, ils choisissent de booster l’ensemble, sans ralentir, sans baisser le volume, sans se renier.

Une démarche plutôt rare dans le rock actuel, qui leur confère une singularité que Chris n’assume en fait qu’à moitié. «Ça fait partie de n’importe quel processus artistique que d’emprunter des choses autour de soi, de se positionner par rapport à ce qui existe déjà. On ne va pas essayer de faire quelque chose de nouveau à chaque morceau.» Ils ont le mérite de l’honnêteté.

Joe abonde: «Ce n’est pas parce qu’un nouvel aspirateur révolutionnaire vient de sortir que tu vas forcément avoir envie de l’acheter. Il vaut mieux, parfois, se rabattre sur les vieux modèles, sur les valeurs sûres. Si on doit faire quelque chose sans innover, on le fait.»

 

«Il faut que le fun que l’on vit en studio, entre nous, entre amis, figure sur notre album. On ne peut pas mentir et tirer la gueule.» Chris Hughes

 

Mais il y a un piège. À force de déconne et de singeries scéniques, à force de déguisements et d’esthétique nihiliste, le risque pour les Fat Dog est de tomber dans le tout comique. Il leur faut donc trouver un savant équilibre entre l’originalité, la liberté, et l’envie de ne pas passer pour des clowns. Ils sont tout sauf cela, mais Chris l’avoue: «On n’a pas envie d’être un groupe lourdingue, d’être tout le temps graves, sérieux. Il y a des éléments de notre musique qui nécessitent l’attention du public, dans lesquels il faut se plonger. Mais il faut qu’il y ait de la légèreté également. »

Joe a mis un point d’honneur à former un groupe de potes, et ça se sent. « Il faut que le fun que l’on vit en studio, entre nous, entre amis, figure sur notre album parce que c’est un ressenti. C’est ce que nous avons vécu à cet instant, on ne peut pas mentir et tirer la gueule. » Il y a des doutes aussi, comme dans leur single à succès « I Am The King ». Un morceau « né de ces moments où tu te regardes dans le miroir, complètement à l’ouest, décrit Chris. Tu te dis que tu déchires, que tu es le roi. Mais c’est juste de l’autopersuasion parce que tu es ridicule. » 

 

Faux jean-foutre

Tout sourit aux Fat Dog, donc. Après avoir tourné dans tout le Royaume-Uni et dans pas mal de pays européens, ils s’apprêtent à aller jouer au Japon et en Australie. Chez eux, ils font partie des artistes qui ont su fédérer une communauté extrêmement fidèle, qui les suit en concert, qui se retrouve durant leurs prestations. «On le sent clairement, avoue Joe. On ne les connaît pas personnellement, ça peut parfois être déstabilisant de recevoir autant d’amour. Mais c’est fantastique à vivre.»

 

fat dog

@ Holly Whitaker

 

Difficile de savoir si cette communauté s’est élargie sur d’autres continents. Mais l’augmentation drastique de leur audience en ligne laisse présager d’ambiances survoltées hors de leurs frontières. Leurs attitudes de jean-foutre sont trompeuses. Joe et Chris ont ardemment réfléchi avec quelle maison de disques signer, peinant, c’est vrai, à trouver chaussure à leur pied. C’est finalement Domino Records, gros label indépendant anglais, qui a attrapé le pompon, bien loin des différences de valeurs qui séparaient les Fat Dog des pontes de l’industrie musicale.

« Beaucoup de maisons de disques veulent des projets clé en main, mais on n’est pas un industry plant (un groupe créé de toutes pièces par une major du disque ndr), assène Chris. Domino le sait et nous fait confiance. On n’a pas vraiment l’impression d’évoluer dans une industrie avec eux. On s’occupe de la musique, on fait en sorte que ça sonne, et ils se démerdent avec le reste. Basta. » Durs à dresser, les mecs.

 

Par Brice Miclet

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