Patrick Watson x November Ultra, et la magie opère | INTERVIEW
C’est sous le signe de la délicatesse que Patrick Watson et November Ultra viennent de dévoiler un single commun, qui sera sur le prochain album de l’artiste québécois. Intitulé ‘Silencio’, titre séduisant et définitivement raffiné. On les a rencontrés à Paris, dans un appartement des hauteurs de Montmartre.
Patrick, qu’est-ce qui t’a marqué dans la musique de November Ultra lorsque tu l’as découverte, et pourquoi as-tu pensé qu’elle serait parfaite pour une collaboration ?
Sa voix m’a marqué. En général, les artistes me marquent à travers deux choses : la première, c’est la manière dont les mots sont posés sur les notes. Un chanteur peut avoir une super voix, mais c’est la façon dont il va poser les mots qui le font se distinguer ; la deuxième chose, c’est l’univers qu’il y a autour de la mélodie. Chez Nova, c’est très très magique. J’aime beaucoup sa liberté de production.
November Ultra, comment as-tu découvert la musique de Patrick Watson. Qu’est-ce qui t’a donné envie de travailler avec lui ?
J’aime Patrick depuis que je suis ado, j’achetais ses CDs (rires). C’est un artiste que j’admire très fort. Et même de plus en plus au fur et à mesure des années, car dans chaque album et chaque morceau, il y a de nouvelles idées, un nouveau monde qui se crée.
L’élément déclencheur, c’est surtout quand on s’est rencontrés à une radio en France, je sortais mon album et lui le sien. Il n’avait jamais entendu parler de moi et pendant les breaks, la radio passait ma musique. Au-delà de vouloir faire de la musique ensemble, on s’est vite très bien entendus. C’était simple.
Pouvez-vous nous raconter le moment où vous avez décidé de créer « Silencio » ensemble?
November Ultra : L’élément déclencheur de tout ça, c’était une histoire de perte de voix. ‘Silencio’ est né comme ça. Qu’y a-t-il autour du silence ? On est des chanteurs pour qui, sans notre voix ?
Comment l’avez-vous écrit et composé ?
Patrick : Avec Mishka (Mishka Stein, son guitariste, qui a collaboré à l’écriture) on avait loué un vieux atelier de peintre sur Montmartre où on avait une superbe vue sur Paris. Je pense que le lieu a beaucoup affecté les accords, qu’on a commencé à composer. C’était très instinctif.
November Ultra : L’idée, c’était vraiment de se voir sans rien forcer. Ce studio de peintre -incroyable au passage- avait un piano qui donnait envie de jouer puis de rester, de chanter, composer. Quelque chose de très familier, d’humain et d’assez naturel s’est créé.
Autour de ce piano, j’avais cette idée de personnage d’opéra qui symbolise la mort, ou le destin auquel on ne peut pas échapper. L’introduction du morceau c’est justement ça. Cette femme qui dit « Je vais te donner le silence pour que tu comprennes comment se passe la vie », la première partie du morceau est née comme ça.
Vous disiez qu’il a été composé en plusieurs fois ?
November Ultra : C’est drôle, parce que quand tu composes un morceau, tu ne peux pas forcer le processus de création. Parfois il manque des puzzles de vie, qui font que les morceaux ne se terminent pas. C’était le cas ici. Un an après, je venais de terminer ma tournée et manque de bol, mon corps m’a lâché : je tombe malade et je ne peux plus chanter.
Je revois Patrick au moment où je commence à récupérer ma voix et on compose la 2e partie du morceau. L’idée était : combien de fois on doit dire ‘comment ça va ?’ à quelqu’un pour avoir une réponse honnête. Autant au début de la composition j’était un personnage, autant à ce moment là de l’histoire, lorsque Patrick me demande ‘comment ça va ?’ je lui dis la vérité : ‘c’est dur, je n’arrive pas à respirer’ et ça devient les paroles en espagnol que je chante dans le morceau.
Entremps, Patrick avait écrit de manière sublime, tout son ressenti sur sa perte de voix. Ce sont les paroles de notre chanson.
Vous avez tous les deux vécu un moment de silence forcé. En quoi cette expérience a-t-elle changé votre manière de chanter ou de percevoir votre propre voix ?
Patrick : La première fois que j’ai cassé ma voix, j’ai rapidement compris que si tu n’es pas capable de chanter des mots sans inflexion et d’avoir tout de même une puissance, tu n’es pas un très bon chanteur. Ce ne sont pas les mélodies hautes qui font de toi un bon chanteur.
Quand j’ai retrouvé ma voix, j’avais conscience de cette puissance-là et j’ai eu beaucoup plus de compliments après mes concerts.
November Ultra : Oui, tu dois ressentir la chanson et la ‘performer’. C’est aussi ça la qualité d’interprète. J’ai eu un vrai questionnement avec ma psy (rire) parce que je disais « sans ma voix, je ne sais pas qui je suis ». Elle représente tout ce que je suis.
Le fait de faire de la musique m’a permis de trouver ma place dans ce monde, de me sentir à l’aise et d’exister. Mais lorsque j’ai perdu ma voix après ma tournée, il y a eu cette question qui se posait de ‘qui tu es ?’. La musique c’est ma vie… c’est ma vie de faire des tournées et c’est comme ça que les gens nous perçoivent.
Patrick : Ce qui est intéressant avec la musique, c’est que ça donne une identit. Souvent, le public admire les musiciens parce qu’ils ont leur propre identité. C’est plus simple d’avoir une identité musicale et je m’en suis aperçu quand j’ai retrouvé ma voix.
Les paroles de « Silencio » sont basées sur des histoires distinctes mais liées par des thèmes communs. Comment avez-vous réussi à tisser ces histoires ensemble pour créer une narration commune ?
Patrick : La musique ! Le problème avec moi c’est que je suis arrivé et j’ai dit ‘oh Nova, je veux chanter avec toi’. C’est un problème, parce qu’elle a un monde unique et j’ai le mien. Il fallait trouver un endroit où les mondes se rencontrent. C’était hyper intéressant, parce qu’il y a deux histoires en même temps dans le morceau et en même temps on a chacun notre place pour êtres qui nous sommes. Bien sur à des moments on se rejoint et on se connecte.
November Ultra : C’est vrai, ce qui tisse le morceau c’est la musique. Effectivement ce sont quand même des thématiques communes mais avec des points de vue différents, de corps différents. Je le trouve un peu fou ce duo, dans le sens où quand tu l’écoutes tu dis ‘Ah c’est dingue c’est un truc méga post contemporain et tout’ mais il y a un truc de ‘ce n’est pas un duo standard’ je trouve.
Tu t’attends à ce qu’on chante en harmonie tout le long… et puis non. Il y a vraiment cette idée d’individualités qui se rencontrent. et c’est vrai que je trouve ça très fort. On a réussi à y avoir chacun notre place.