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Rex Club, à Paris / ©Alban Gendrot
23 juillet 2020

Frédéric Hocquard : « On ne verra pas avant des mois une salle avec 1000 personnes entassées à l’intérieur »

par Patrice BARDOT

C’était une première. En 2014, la Mairie de Paris prend en considération la vie nocturne comme étant aussi importante pour l’épanouissement culturel d’une ville qu’un théâtre, un musée ou un cinéma, en nommant Frédéric Hocquard comme adjoint à la vie nocturne (aujourd’hui, le tourisme est aussi à sa charge). Depuis, de Concrete aux free parties du Bois de Vincennes en passant par La Station ou le Rex, les occasions sont nombreuses de le croiser.

Un cinquantenaire passionné par la nuit et ancré solidement à gauche, qui aime être au cœur des problématiques, plutôt qu’isolé dans la tour d’ivoire de son bureau de la mairie. En préambule à une longue interview à paraître dans le Tsugi de la rentrée, il était pertinent d’avoir son sentiment sur la crise sanitaire qui secoue si fort la nuit parisienne. Une certitude : le chemin vers la vie “d’avant” semble bien une voie sans issue.

Arnaud Rebotini (à gauche) et Frédéric Hocquard (au milieu) / ©Jacob Khrist

À quel point les gestes barrières, le port du masque, la distanciation sociale vous semblent compatibles avec la vie nocturne ?

Forcément, ce n’est pas très compatible. La vie nocturne, c’est quand même en partie : on se rencontre, on se touche, on se frotte même les uns et les autres. Donc il va bien falloir faire attention, parce que la Covid annonce une phase dans l’histoire de l’humanité où l’on va devoir cohabiter avec des virus. Il y a une dizaine d’années, le SRAS était un avertissement : on allait vers de grandes périodes d’épidémie avec une transmission de virus respiratoires. Il y en aura d’autres. Donc ce serait terrible d’avoir dans les prochaines années soit une vie nocturne qui a disparu ou alors qui soit devenue aseptisée. Il faut s’adapter à ces conditions sanitaires, puisque l’on va devoir cohabiter avec des virus, en étant inventif et en trouvant des modes de fonctionnements différents sans perdre l’essence de la vie nocturne, basée sur les rencontres, la création d’un moment alternatif.

“Il faut que les clubs s’organisent, qu’il y ait des prolongations des aides.”

Ces dernières semaines, il y a un débat : fallait-il rouvrir les clubs tout de suite ou alors attendre septembre, quelle est votre position ?

Les clubs qui disent « il faut rouvrir tout de suite parce que sinon on va mourir », je ne suis pas pour. D’abord parce que ce n’est pas possible sur le plan sanitaire. Ensuite, ça renvoie la nuit à cette image du « on n’en a rien à foutre, ce qui nous intéresse c’est de nous amuser ». Alors que le milieu de la vie nocturne est l’un de ceux où la prévention des risques est la plus développée. Prenons l’exemple du Teknival du 14 juillet dans la Nièvre. On a tous vu cette vidéo où à la fin de la free party, l’organisateur dit au mégaphone : “Pour ceux qui veulent, on a des bons gratos pour aller se faire dépister pour la Covid.” Et bien tout le monde y est allé. À Paris même, on a ouvert un endroit dans le 14e, pour des tests de dépistage gratuit. Qui vient ? Tous les gamins parce que justement ils ont été à une fête la veille, ils ont peut-être pris des risques et ils ont appris qu’un de leurs potes avait des symptômes. Les gens sont responsables dans la nuit. Mais il ne faut pas que la vie nocturne s’arrête et qu’elle reste bloquée sur ce qui existait avant la Covid. C’est pour cela qu’on a développé le plein air parce qu’il y a beaucoup moins de risques. La réinvention de la vie nocturne va passer par là. On a commencé à le faire avec les terrasses. D’autres choses se sont lancées comme le Jardin Suspendu, le Palais Brongniart.

Quel avenir pour les salles de concert qui accueillent un public debout dans un espace fermé ?

Je ne dis pas que c’est terminé pour elles, mais les évènements seront distanciés et assis. Les théâtres ont rouvert sous ces formes-là. On ne verra pas avant des mois et des mois une salle avec 1 000 à 2 000 personnes toutes entassées les unes sur les autres. C’est illusoire de penser que l’on verra cela à court terme. C’est un discours de réalité, dur à tenir, car s’il y a bien quelqu’un qui soutient les concerts, et tous les aspects festifs de la nuit nocturne à Paris, c’est bien moi, mais ce n’est pas possible de revenir en arrière, donc essayons de développer autre chose et notamment en plein air. Et pour ce qui est des clubs, j’ai du mal à voir comment les pouvoirs publics vont donner les autorisations d’ouverture. Ça ne va pas rouvrir tout de suite, mais à un moment où l’épidémie sera complètement éteinte, et qu’il n’y aura plus de risques qu’elle revienne. Donc il faut que les clubs s’organisent, qu’il y ait des prolongations des aides. Je sais que les syndicats se battent là-dessus et non plus sur une réouverture systématique. Certaines salles vont pouvoir faire de l’intérieur en assis, mais ce ne sera pas le même type de musique. Je le répète, il faut qu’il y ait un accompagnement économique avec un plan d’urgence. L’état a bien mis sept milliards dans l’aéronautique. Pourtant, on sait que les avions ne vont pas redécoller tout de suite. Si un vaccin est découvert entre six mois et un an, on pense que le trafic aérien ne reprendra réellement qu’en 2022, donc il y a deux ans à tenir. Si les salles et les clubs ne peuvent pas faire le plein air qui représente l’avenir proche, il faut les soutenir économiquement le temps qu’il faudra, pour éviter que le système s’écroule.

 

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Est-ce que la crise sanitaire actuelle a démontré une méconnaissance du secteur des musiques actuelles par les pouvoirs publics ?

Oui. On l’a encore vu récemment avec Roselyne Bachelot qui a déclaré : « La question de la réouverture des discothèques, ce n’est pas moi, c’est le ministère de l’Intérieur. » Ça, c’est un problème. Laurent Garnier, Arnaud Rebotini, Chloé, Agoria, ce ne sont pas des artistes ? Ils jouent où ? Dans des discothèques. Donc oui, c’est elle la ministre concernée. Ce sont des artistes, c’est de la culture, c’est de la créativité. Ce n’est pas uniquement la ministre de l’Opéra. Les clubs sont des endroits de bouillonnement artistique très important, donc dans tous les plans de relance du domaine culturel il faut inclure le milieu nocturne alors qu’il ne l’est pas à la base.

La suite de l’interview sera à lire dans le numéro de Tsugi de septembre

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