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Hyperpop : de micro-genre à folie mondiale, les kicks pailletés s’imposent

Folie sub­cul­turelle dev­enue pre­scrip­tion dans la musique pop, à l’aube du dix­ième anniver­saire du label PC Music à l’o­rig­ine du genre, retour sur la genèse de l’hy­per­pop, ce micro-genre orig­i­naire de Grande-Bretagne qui a depuis bien intégré la scène musi­cale française.

L’hyperpop claque en bouche comme une boîte de Pop Rocks. Inspi­ra­tions élec­tron­iques, trance, hip-hop, nu-metal, k‑pop, rock et refrains dignes des plus grands tubes de Brit­ney Spears… Entre fourre-tout musi­cal et recette bien dosée, ce genre est un univers sonore où les notes rebondis­sent sur les pix­els, et où les rythmes sont sculptés par des lignes de code. Mais c’est sociale­ment et cul­turelle­ment que se trou­ve sa définition : l’hy­per­pop c’est “une musique par les queers et pour les queers” explique Louise Bsx, artiste et pro­duc­trice française.

 

Origines post-internet

En août 2013, le pro­duc­teur bri­tan­nique A.G Cook, l’un des prin­ci­paux catal­y­seurs du genre, fonde son label : PC Music, lab­o­ra­toire musi­cal où des artistes comme SOPHIE et Han­nah Dia­mond expérimentent la musique pop seule­ment munis de leurs PCs porta­bles. Bruits d’ordis, synthés, dis­tor­sions de voix et autres machins-chose sonores, avec d’un côté les out­ils offerts par le web et de l’autre, une envie de tout cass­er, ils créent des sons métalliques et compressés. Pas ques­tion ici de repro­duire les normes de la pop déjà établies, mais bien de la faire chang­er de cap, de la ren­dre pro­gres­siste — et bien plus colorée — large­ment infusée d’une esthétique visuelle cyberpunk.

Le nom-même de ces artistes a une orig­ine post-internet, où les chiffres et les lan­gages du web font référence, créant plus que des noms de scènes mais de véritables pseu­dos sur des forums en ligne. On pense notam­ment au français Thx4Crying qui avec son nom, “rend hom­mage à sky­blog et à [son] ado­les­cence emo”. L’artiste de 28 ans, inspiré autant par Indo­chine qu’Evanescence, par­le d’éros et d’anxiété. Dans son sin­gle “Loin de moi le drame” extrait de son EP Mon­tagne d’émeraudes (2022), il réalise “une prière pour essay­er de repouss­er l’angoisse, en ayant l’espoir d’être sur le bon chemin pour que ça s’arrête”.

hyperpop thx4crying

© Nina Richard

Fables mod­ernes de récits de vies chao­tiques, par­lant aus­si bien d’amour, de sexe que de vio­lence et de lib­erté, leur musique est teintée de teen angst (ou mal-être ado­les­cent, pour sim­pli­fi­er) et d’anti-capitalisme utopique. Avec son album Prod­uct (2015), SOPHIE, bril­lante bâtisseuse du genre, réalise un tour de force musi­cal où la fête et la dépression sont mis­es en lumière sur une voix robo­t­ique flot­tant au-dessus des beats… tel un bal­lon de bau­druche gon­flé à l’hélium. Elle éclate la musique pop pour mieux la recon­stru­ire, plus auda­cieuse, plus iconoclaste.

 

À lire sur Tsugi.fr :: Plus qu’une immense artiste, SOPHIE était un pont entre des mondes opposés

 

Ascension grand public

Autre fig­ure insti­ga­trice, Char­li XCX joue avec ces nou­velles sonorités depuis son EP Vroom Vroom (2016). Déjà riche d’une cer­taine notoriété, elle cumule col­lab­o­ra­tions, albums et récompenses, dansant entre les catégories pop et électro.

Longtemps appelée ‘bub­blegum bass’, ‘glitch­core’ ou ‘cyber­pop’, c’est Spo­ti­fy qui lui donne le nom d’hy­per­pop en 2019 avec une playlist dédiée au genre, dans laque­lle fig­urent des artistes tels que le duo 100 Gecs ‑dont l’al­bum 1000 Gecs (2019) a accu­mulé des mil­lions d’écoutes‑, Slayyyter ou encore Shygirl.

En mai 2023, les vidéos avec le hash­tag “hyper­pop” ont dépassé la barre sym­bol­ique du mil­liard de vues sur Tik­Tok. La rai­son : la nature même du réseau social qui tend à diver­tir une audi­ence qui s’en­nuie rapi­de­ment et qui ne demande qu’à être bousculée, tout comme l’hy­per­pop qui est une “ver­sion plus agres­sive du présent”, dis­ait A.G Cook sur Tracks. Cette musique par­le à une jeunesse ultra-connectée et en con­stante recherche de nou­veauté. En 2023, le genre a également fait son entrée aux Gram­my Awards avec l’artiste hyper­pop Kim Petras, devenant la première femme trans­genre récompensée, pour son titre “Unholy” partagé avec Sam Smith.

Recon­nus par les plus grands, 100 Gecs tra­vaille sur la bande orig­i­nale de la série Eupho­ria (HBO), Car­o­line Polachek pro­duit pour Bey­oncé et ‑consécration main­stream- Lady Gaga dédie un album de remix­es à ce genre en 2021, avec Dawn Of Chro­mat­i­ca. Y appa­rais­sent ‑entre autres- Dori­an Elec­tra, Arca, Blood­Pop et bien-sûr A.G Cook.

Seule une brise tar­dive a porté les sons de l’hy­per­pop jusqu’à l’Hexa­gone, bien après avoir enflam­mé les scènes anglo­phones. “Ici c’est super récent, on est tou­jours en retard de toute façon !” déclare Louise Bsx, qui fait de l’hy­per­pop depuis 2019. “À l’époque, il y avait peu de per­son­nes qui s’y adon­naient et il n’y a tou­jours pas de véritable mou­ve­ment, pour­suit l’artiste. Avec des amis, on a tenté de créer un truc lors de nos soirées After­Life mais au final, notre seul but était de rassem­bler des artistes queer. Peu importe leur style musical.”

Bien que l’hy­per­pop ne soit pas considérée comme un mou­ve­ment à part entière en France, elle s’est bien infiltrée dans la scène émergente. Des artistes tels que Chéri, Thanas, le duo ascen­dant vierge, Timothée Joly ou encore Eloi font preuve de son influ­ence. La dernière a notam­ment fait par­ler d’elle en imag­i­nant un remix hyper­pop de la chan­son “Je t’aime de ouf” de Wej­dene, lui don­nant des nou­velles couleurs — bien plus saturés — sur des beats euro dance pour devenir “jtm de ouf”.

Kali­ka, prêtresse cyber­punk, connaît depuis un cer­tain temps une ascen­sion dans la scène française. L’an­ci­enne can­di­date de Nou­velle Star vient de sor­tir en mai 2023 son pre­mier album inti­t­ulé Adieu les mon­stres, pro­duit par Balt­haz­ar Picard, sous le label Cinq 7. Elle incar­ne cette rare com­bi­nai­son de légèreté et de pro­fondeur, où l’auto-dérision se mêle à la rétrospection, pour créer une sym­phonie aus­si trou­blante qu’ensorcelante.

 

Une bulle de queer rage

Pour saisir l’hyperpop, il faut avant tout com­pren­dre ses racines queer. Si ce genre est indéfinissable, dif­fi­cile à catégoriser, c’est qu’il est a l’image des identités des per­son­nes qui l’ont créé. Les mod­i­fi­ca­tions vocales favorisant le jeu avec l’identité de genre, exit dys­pho­rie et autres obsta­cles biologiques… Et place à l’expérimentation. Ces notes auto-tunées appa­rais­sent ain­si comme des larmes de résistance et de célébration. Per­me­t­tant ain­si aux per­son­nes qui peinent à crier, de le faire via leur ordi­na­teur. “Tu n’as pas besoin d’un groupe ou d’in­stru­ments. Tu es solo avec un micro et un logi­ciel dans ta cham­bre, tu peux être toi libre­ment, c’est surtout ça qui m’a plu” con­fie Louise Bsx. Une musique qui tran­scende le genre et les gen­res, qui brouille les frontières et s’épanouit dans une apolo­gie flam­boy­ante de la diversité.

Ini­tiale­ment une bulle de queer rage — expres­sion utilisée pour décrire la colère et la frus­tra­tion ressen­ties par les per­son­nes queer, face à l’op­pres­sion et la dis­crim­i­na­tion systémique — l’hyperpop est aujour­d’hui le cri vibrant d’une génération avide de change­ment, une vague tumultueuse déferlant sur le paysage musi­cal français avec une force insou­ciante. “On est une génération plus ouverte aux ques­tions de genre, et l’hy­per­pop incar­ne cette idée”, atteste Louise Bsx, qui espère que l’arrivée de ce genre en France per­me­t­tra une meilleure vis­i­bilité des artistes queer. Une chose est sûre, les kicks pailletés de l’hyperpop française n’ont pas fini de nous faire danser.

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