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©Fernanda Ruiz / Instagram
20 juillet 2021

🔊 Inter[re]view : Imaabs, si SOPHIE avait Ă©tĂ© Chilienne

par Tsugi

« D’une maniĂšre ou d’une autre, on a tous le cƓur brisĂ©. Et on doit comprendre pourquoi ». Pour le Chilien Imaabs, cette peine de cƓur est nĂ©e entre Bruxelles et Paris, chaque fois autour de la Gare du Nord. De cette histoire, il en a tirĂ© Descifrar, un album profond et dense, plein de nuances et d’émotions.

Le musicien nous avait dĂ©jĂ  habituĂ© aux productions sombres. En parallĂšle de ses Ă©tudes de philosophie, oĂč il s’intĂ©resse Ă  Deleuze, Foucault ou Bernard Stiegler, il dĂ©veloppe sa carriĂšre musicale. D’abord bassiste de r’n’b/funk, il se met aux claviers par dĂ©faut, son groupe ne trouvant personne pour occuper le rĂŽle. De lĂ , il est tout autant inspirĂ© par la merenhouse – plus tard remplacĂ©e par le reggaeton comme musique de danse latine dominante – que l’IDM d’Aphex Twin et Machinedrum.

« Tout le monde essaye d’imiter les musiques anglaises, europĂ©ennes ou amĂ©ricaines. »

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Puis Imaabs va refuser de rentrer dans le moule. « La musique Ă©lectronique chilienne est minĂ©e par l’eurocentrisme et le colonialisme, tout le monde essaye d’imiter les musiques anglaises, europĂ©ennes ou amĂ©ricaines ». Depuis 2014, il publie donc sa musique sur un label mexicain, NAAFI, pour No Ambition And Fuck-all Interest, collectif de DJs qui prĂŽne une libertĂ© artistique totale. « Dans mes prĂ©cĂ©dents disques, j’ai essayĂ© de transmettre une notion ou un concept politique, d’insĂ©rer des idĂ©es politiques dans le monde de la fĂȘte afin de crĂ©er un hymne pour la rĂ©sistance. Mais depuis l’an dernier, j’ai dĂ©cidĂ© de ne plus en parler directement, ce qui est un geste politique Ă©galement. »

Ainsi, pour ce Descifrar, au-delĂ  des thĂ©matiques de la peine de cƓur et de la difficultĂ© Ă  nouer des liens, il aborde plus largement l’idĂ©e d’inconscient. « Je parle de mes propres expĂ©riences, de peur, d’amour, de douleur. » Imaabs veut dresser un panorama de ses Ă©motions. Pour cela, il puise dans tous les styles qui l’ont inspirĂ©, et mĂȘme au-delĂ . Car aprĂšs avoir Ă©tĂ© professeur de philosophie, il vit dĂ©sormais de son activitĂ© d’ingĂ©nieur mastering, ce qui l’amĂšne Ă  Ă©couter Ă©normĂ©ment de musiques diffĂ©rentes. IDM, ambient, reggaeton, house, jungle, electronica, trap, indus, tout est lĂ . Sans forcĂ©ment rĂ©inventer ces styles, il les aborde chaque fois Ă  sa maniĂšre. « Parfois, je vois l’album comme la fusion de deux EPs, l’un ambient et expĂ©rimental, l’autre plus orientĂ© club. » L’enchaĂźnement entre « Verde, vert, verde » et « Dividuacion » vient le confirmer.

Entamer une résistance

MalgrĂ© cette thĂ©matique trĂšs personnelle, Imaabs n’a pas renoncĂ© Ă  ses idĂ©es politiques. C’est justement en mettant Ă  plat ses Ă©motions qu’il compte crĂ©er des liens. Les titres les plus clubs, comme « Distension », sont ainsi les plus riches du disque, insistant sur la dimension cathartique de la musique de club. C’est en reconstruisant collectivement nos Ă©motions, et en se servant du dancefloor comme lieu d’union, qu’on peut entamer une rĂ©sistance. L’objectif : crĂ©er des musiques « que l’on peut aimer simplement, mais qui peuvent Ă©galement aider Ă  penser ». D’oĂč la complĂ©mentaritĂ© entre les morceaux plus mĂ©ditatifs et ceux plus dansants, ainsi qu’entre titres instrumentaux et vocaux : tout vient nourrir notre pensĂ©e.

En se confrontant Ă  ses Ă©motions, Imaabs nous invite Ă  faire de mĂȘme. Positives comme nĂ©gatives, elle s’entrechoquent ici dans des titres plein de nuances. En parlant uniquement de son intimitĂ©, de son expĂ©rience « de Chilien, Latino-AmĂ©ricain, semi-AmĂ©rindien, professeur de philosophie, de cette personne Ă©trange que je suis », il cherche Ă  toucher ce qu’il a de plus universel. Passant par l’exultation et la peur, la tristesse et l’espoir, il aboutit ainsi Ă  « Impasse », vĂ©ritable morceau de rĂ©conciliation pour conclure le disque. Que ce soit avec soi-mĂȘme, ou les autres. Avant ces Ă©nigmatiques derniĂšres secondes, qui nous font comprendre qu’aprĂšs cette acceptation, tout reste Ă  reconstruire. Car nous sommes tous un peu cassĂ©s. Mais un peu moins, aprĂšs ce disque.

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