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Interview: Aloïse Sauvage entre Olympia, son ‘Club des étranges’ et le grand écran

En l’e­space de quelques semaines, Aloïse Sauvage a rem­pli l’Olympia pour un live dan­tesque, a bouclé le tour­nage par­ti­c­ulière­ment touchant d’un film réal­isé par Reda Kateb (prévu pour 2024) où elle incar­ne le pre­mier rôle… Et puis est repar­tie sur les routes des fes­ti­vals. On a prof­ité d’un moment de repos —si le mot est bien inscrit dans son vocab­u­laire— pour par­ler avec elle de ces moments forts, de sa car­rière et de ses projets. 

 

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Tu viens de vivre ton pre­mier Olympia, com­ment c’était ? Si tu as des mots sur les sensations.

Pre­mier Olympia de ma vie : c’é­tait incroy­able. Je pense qu’on a fait quelque chose de fort. Et c’est rare que j’ar­rive à pos­er des mots, avec autant de fierté et d’ac­com­plisse­ment. J’ai rarement vu un tel pub­lic. Un con­cert comme une expéri­ence humaine, de partage, très forte.

C’é­tait l’Olympia que je voulais faire. Ma pro­duc­trice de spec­ta­cle me dis­ait que, de son avis, c’é­tait peut-être un peu trop. Mais je me suis dit “C’est l’Olympia, en fait”. Alors dans le spec­ta­cle j’arrive en l’air de tout en haut, je redé­colle, il y a de la danse, ma sœur qui monte sur scène, des sur­pris­es, des arrange­ments, des morceaux qu’on n’avait jamais faits… Et pour moi c’est aus­si ça l’ex­péri­ence scénique. C’est ça, pro­pos­er une vraie perf’. Je pense que les gens l’ont saisi.

 

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C’était aus­si libéra­teur, j’imagine ? Vu que la date a été repoussée, annulée…

Exacte­ment, depuis il s’est passé plein de choses, j’ai refait un album, des pro­jets… Les temps ne sont pas for­cé­ment évi­dents pour vivre de sa musique, pour pro­duire, faire des tournées. On est beau­coup. Donc avoir une salle rem­plie à ras-bord de 2 800 per­son­nes qui con­nais­sent toutes tes chan­sons, ça donne du baume au cœur. Surtout, ça donne du sens à ce que tu fais. C’é­tait un vrai moment de partage, au-delà d’un show.

Je me suis affir­mée cette année. C’est bon : Aloïse Sauvage sur scène, on sait que je fais le show. Je ne vois pas ça comme quelque chose d’arrogant, c’est même beau de le dire. Sur scène, j’ai ma place.

 

Tu par­lais de la dimen­sion sym­bol­ique. L’Olympia était un de tes objec­tifs, si on prend ta car­rière il y a quelques années ? On te sent comme une sportive qui visait un titre, et tu l’as enfin, main­tenant on vise les prochains objectifs.

T’as tout com­pris. Et c’était très fort pour moi. Parce qu’on a ten­dance à pro­jeter, à voir la suite, à être à la course aux objec­tifs… Avec cette idée de “faut pas qu’on m’oublie”. Et toute cette année, ça a été aus­si ça : com­ment revenir alors que tu as eu l’herbe coupée sous le pied ? Tu étais une petite pépite qui débar­que, tu n’es plus vrai­ment ça, mais tu n’es pas du tout une artiste installée.

Dans l’inconscient col­lec­tif, c’est fort de faire l’Olympia, d’avoir ton nom en let­tres rouges. Je l’ai vrai­ment vécu au présent : en me dis­ant “c’est là. Et si ça se trou­ve, demain, tout s’ar­rête.” On a tous des objec­tifs, et ça nous tient. L’Olympia j’ai célébré, avec tout le monde, tous les proches de toutes mes vies. J’ai pris le temps, en me dis­ant “Franche­ment, on l’a fait.” On l’a rem­pli, on a une com­mu­nauté, un socle très pré­cieux. Main­tenant il y a telle­ment de choses à con­stru­ire ! Ça m’a ouvert un nou­veau champ des pos­si­bles, d’inspirations et d’envies.

 

Sur cet Olympia, il y avait aus­si une jolie his­toire avec ta sœur, sur “Femme Like You”

Femme like you”, c’est une vidéo qui est sur mon feed Insta­gram et qui a explosé sur mes réseaux soci­aux, quand je l’ai sor­tie. Elle a été tournée dans les années 2000, sur une plage de Nor­mandie… C’est ma sœur et moi qui chan­tons “Femme Like You” de K‑Maro, par cœur. Et on a déjà le même car­ac­tère : surex­citées et exigeantes comme si on tour­nait un clip.

Je me suis dit que jouer cette reprise à l’Olympia, et pourquoi pas faire mon­ter ma sœur sur scène, ça peut être fou… J’ai sauté sur l’occasion. Je lui en ai par­lé une heure avant, qu’elle pour­rait me faire un signe. J’avais peur qu’elle ne veuille pas mon­ter parce que bon, c’est pas son taf. C’était une impro totale, et les gens m’en par­lent encore !

C’était un moment génial, trop beau avec ma sœur, qui est très impor­tante pour moi, et aus­si impor­tante dans le monde artis­tique et la sphère queer de manière générale. Mais c’é­tait surtout un moment de soror­ité et tout le monde était à fond. Ma famille était aux anges.

 

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Une pierre, deux coups : moment de partage avec ta sœur, sur un tube que tout le monde peut chanter et un clin d’œil à une vidéo que 80% de la salle a vu ?

Telle­ment ! C’est mignon, dans la vidéo j’ai 13 ans on dirait que j’en ai 8, rien ne va mais c’est un sou­venir excep­tion­nel. À cette époque je ne voulais pas encore être chanteuse. Et sym­bol­ique­ment, c’est drôle : à cet âge-là, on ne savait pas encore, mais on est toutes les deux les­bi­ennes et on chante “Je veux une femme like you”.

À cette époque-là, ça ne fai­sait pas écho chez nous, mais c’est devenu une blague en interne.

 

Tu as sor­ti en avril le pro­jet Club des étranges. Com­ment est née l’idée, l’envie ?

L’envie de Club des étranges est venue cette automne. Sur scène depuis le début de la tournée Sauvage, je fais un med­ley en piano-voix de cer­tains titres de mon précé­dent album Dévo­rantes, qui sont des titres aux thé­ma­tiques LGBT : “Jimy”, “Omowi”, “À l’horizontale”. Depuis que je fais ça, mon pub­lic me dit tou­jours “sors les sur les plate­formes !” Et ça bour­don­nait dans mon oreille. Mais ça n’avait pas de sens de sor­tir ça alors que les chan­sons étaient issues d’un ancien projet.

Puis on s’est dit qu’on pour­rait le rat­tach­er à autre chose. Très vite sont venues les thé­ma­tiques queer-LGBT. Et on est par­ti sur des remix­es club, liés à l’univers de la nuit, cher à la com­mu­nauté LGBT. Ensuite ça s’est façon­né très vite, j’ai demandé à des pro­duc­tri­ces queer. Ça a don­né 3 remix­es pour chaque titre, qu’on a sor­tis pour le Mois des Fiertés. C’était aus­si un cadeau avant L’Olympia, une ode aux amours les­bi­ennes et queer. Une invi­ta­tion à les célébr­er aus­si col­lec­tive­ment par la danse.

 

 

Com­ment et pourquoi t’es-tu tournée vers ces artistes en particulier ? 

Je voulais que le pro­jet soit éclec­tique. Call­ing Mar­i­an, on avait tra­vail­lé sur un court-métrage ensem­ble. La pre­mière à qui j’ai demandé, c’est Chloé Thévenin, parce que c’est un pili­er élec­tron­ique, rési­dente mythique du Pulp… J’aime beau­coup ses nappes de syn­thé, cette espèce d’acid trance. J’ai demandé à Chee­tah, qui fait par­tie de la scène afro-parisienne, car je savais que ce serait musi­cale­ment très dif­férent. Agathe Mou­g­in de d.rive est par­tie dans un truc électro-oriental. Et du coup on a con­tré avec une ver­sion plus hard­core par Sen­ti­men­tal Rave

 

Tu les as lais­sées par­tir dans une libre inter­pré­ta­tion de tes morceaux ?

J’avais envie qu’elles aient carte blanche, qu’on aille à la ren­con­tre de ces artistes-là via leurs remix­es. Il y a un mélange des gen­res et ça forme un voy­age dans l’elec­tro queer actuel. C’est un pro­jet très libre. Bien sûr, elles pou­vaient vrai­ment faire ce qu’elles voulaient. Je leur ai don­né toutes les pistes et elles pou­vaient pren­dre un mot, toutes les phras­es, garder le BPM ou en changer…

 

Si tu devais choisir un seul de ces remix­es, tu garderais lequel ? Celui qui t’a don­né une autre per­cep­tion d’un de tes titres? 

Franche­ment, je les aime tous ! Il y en a un qui, je pense, va beau­coup faire danser les gens : celui de Bar­bara Butch, qui est peut-être le plus acces­si­ble en ter­mes d’écoute et de récep­tion. Mais celui de Call­ing Mar­i­an m’a beau­coup inspirée. Notam­ment la fin, elle part sur des har­monies et des accords qui nous ont amenés à chang­er la ver­sion dans notre live. On l’a faite à l’Olympia, avec Romane qui danse sur la plate­forme… Elle m’a twistée.

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Vous le savez cer­taine­ment, Aloïse Sauvage est égale­ment actrice. Elle a récem­ment ter­miné le tour­nage de son dix­ième long-métrage, réal­isé par Kateb et prévu pour 2024 : ça s’ap­pelle Sur un fil. Aloïse y joue Jo, jeune artiste de cirque* de rue qui décou­vre le tra­vail des clowns pro­fes­sion­nels de “Nez pour rire”, oeu­vrant dans le milieu hospitalier.

*Aloïse Sauvage est elle-même artiste de cirque con­fir­mée, et a passé trois ans dans la pres­tigieuse académie Fratellini

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Je voudrais qu’on par­le du film Sur un fil, et inspiré du recueil Le rire médecin : Jour­nal du Dr Girafe. Tu y incar­nes le pre­mier rôle (une pre­mière fois pour toi). Com­ment as-tu été con­tac­tée ? Ça t’a par­lé tout de suite ?

Ce qui est mag­nifique dans cette aven­ture, c’est que je n’ai pas été con­tac­tée de l’extérieur, je n’ai pas passé de cast­ing. Avec Reda Kateb (le réal) on avait tourné ensem­ble dans trois pro­jets : dans Djan­go, où j’avais un tout petit rôle, une appari­tion, mais c’est peut-être là où je l’ai mar­qué ; puis on a joué dans ensem­ble dans Hors Normes de Nakache et Toledano ; et Pos­ses­sions, une série sur Canal + de Thomas Vincent.

Reda est venu vers moi. Il y a trois, qua­tre ans à une avant-première de Hors Norme, il m’a par­lé de son envie d’écrire un film. De racon­ter une his­toire sur ce livre qu’il venait de lire et de m’in­té­gr­er à cette his­toire. C’est émou­vant parce qu’il l’a écrite en sachant que c’é­tait pour moi, et que j’al­lais incar­n­er ce rôle. Je lui ai dit “mais tu peux chang­er d’avis au fur et à mesure”. Il n’a pas changé d’avis.

 

aloise sauvage

© Flo Pernet

Finale­ment, tu étais là dès le début du proces­sus de création ?

J’ai tout suivi, de A à Z : j’ai tout suivi, les pre­miers scé­nar­ios, la pro­duc­tion du film, les cast­ings, la préparation…C’est un cadeau de la vie. Et franche­ment, je n’étais pas pressée du Pre­mier rôle. J’aurais pu en faire davan­tage avant, mais les pro­jets ne m’intéressaient pas for­cé­ment. Et sym­bol­ique­ment, que ce soit mon pre­mier rôle prin­ci­pal… La vie fait vrai­ment bien les choses, je ne pou­vais pas mieux espérer.

 

C’est une aven­ture col­lec­tive très forte humaine­ment et artis­tique­ment. On par­le du Rire médecin, des enfants à l’hôpi­tal, du sys­tème hos­pi­tal­ier. C’est trop beau. Ce qu’on racon­te et ce qu’on met en avant, ça a telle­ment de sens pour moi : j’ai tou­jours fait des films où les thé­ma­tiques sociales sont présentes. Ce que je partage aus­si dans mes chan­sons, je suis tou­jours engagée intime­ment dans ce que je vais racon­ter. Dans Sur le fil, pareil.

 

 

Tu peux nous par­ler de ton per­son­nage Jo ? Tu dis­ais que Reda l’avait écrit en pen­sant à toi, alors tu te recon­nais en elle ? 

Jo est une jeune femme artiste de cirque au départ. Puis (*un événe­ment survient*) et elle doit rebondir, retomber sur ses pattes. C’est un par­cours ini­ti­a­tique. Bien sûr que ça me par­le. Au début elle très sûre d’elle, en tout cas sûre de son corps, de sa per­for­mance, très obses­sion­nelle et au fil des min­utes elle va ouvrir sa cara­pace et se ren­con­tr­er elle-même grâce aux ren­con­tres. Et évidem­ment le cirque. Dans ce rôle y a plein de choses qui font écho à ma vie.

 

Com­ment est Reda Kateb en tant que réal­isa­teur ? On a enten­du par­ler d‘une ambiance de tour­nage très calme, tournée vers l’empathie.

Reda est un super réal’, et peut-être que ça se voit qu’il est qu’il est acteur lui-même. Il dirige avec énor­mé­ment de bien­veil­lance, de sen­si­bil­ité, l’ambiance est douce sur le plateau. Même chose pour celles et ceux qui l’entourent, tout le monde était dans la même énergie. Rien ne comp­tait plus à que l’expérience qu’on était en train de vivre. Je suis telle­ment émue de ce tournage.

 

Aloïse sauvage

© Flo Pernet

Je crois que ça se ressent ! Tu pens­es que tu vas garder un peu de ce film avec toi pen­dant quelques temps ? 

Après l’in­ter­view je pars avec Philippe Reb­bot, un des acteurs du film. Et on va à la con­ven­tion nationale des clowns de France. Pour te dire à quel point ça nous a boulever­sés avec Philippe, on voudrait con­tin­uer à être clowns à l’hôpital ! On va à la con­ven­tion, pass­er la journée avec eux, pour con­tin­uer à essay­er de s’intégrer. J’ai sincère­ment envie de con­tin­uer à l’hôpital, de faire ça. C’est trop beau à vivre.

 

Qu’est-ce que ce film et ce rôle t’ont apporté, autant humaine­ment qu’artistiquement ?

Humaine­ment, ça m’a amené énor­mé­ment de joie. J’ai ren­con­tré une famille, des gens que je porte dans mon cœur de manière énorme. Reda, Philippe Reb­bot et Jean-Philippe Buza­ud (qui est un vrai clown dans la vie) sont devenus mes grands frères. Ils m’ont appelée “la gosse” ou “la petite sœur” tout le tour­nage. Humaine­ment ça m’a beau­coup apaisée et nour­rie. Ça m’a aus­si per­mis de sor­tir du micro­cosme de la musique, de met­tre en per­spec­tive, de retrou­ver un regard neuf. Ça m’a don­né beau­coup d’énergie.

Artis­tique­ment, c’est la pre­mière fois que j’étais aus­si longtemps sur un plateau. J’ai beau­coup appris tech­nique­ment, et j’aime appren­dre sur le tas. Je n’ai pas eu de for­ma­tion clas­sique, donc j’ap­prends au fur et à mesure des expéri­ences. Pour la suite de mon par­cours en tant que comé­di­enne, ça va m’ap­porter énormément.

 

Après cette année chargée, qu’est-ce que tu attends de la suite ? 

L’année a été con­struc­tive et nour­ris­sante. Je suis très con­tente de cet album Sauvage, qui m’a remis le pied à l’étrier et m’a redonné une grande lib­erté, un sec­ond souf­fle. Le live s’est bien passé, la tournée était belle et je pense qu’il y a eu une éman­ci­pa­tion à plein d’endroits, notam­ment dans la sen­su­al­ité exprimée.

J’ai très hâte de la suite. C’était un pre­mier nou­veau départ après ces deux années de confinement-Covid où je ne savais plus tout à fait où me met­tre. Je pense que ce n’est que le début. Je tâtonne, je cherche des choses, j’es­saie. Il faut juste que j’ac­cepte que je suis cette per­son­ne, pas for­cé­ment dans des codes ou des cas­es. Ma musique est encore jeune et se nour­rit chaque jour. J’ai hâte d’es­say­er plein d’autres choses encore.