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28 juillet 2023

Interview: Aloïse Sauvage entre Olympia, son ‘Club des étranges’ et le grand écran

par Corentin Fraisse

En l’espace de quelques semaines, Aloïse Sauvage a rempli l’Olympia pour un live dantesque, a bouclé le tournage particulièrement touchant d’un film réalisé par Reda Kateb (prévu pour 2024) où elle incarne le premier rôle… Et puis est repartie sur les routes des festivals. On a profité d’un moment de repos —si le mot est bien inscrit dans son vocabulaire— pour parler avec elle de ces moments forts, de sa carrière et de ses projets. 

 

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Tu viens de vivre ton premier Olympia, comment c’était ? Si tu as des mots sur les sensations.

Premier Olympia de ma vie : c’était incroyable. Je pense qu’on a fait quelque chose de fort. Et c’est rare que j’arrive à poser des mots, avec autant de fierté et d’accomplissement. J’ai rarement vu un tel public. Un concert comme une expérience humaine, de partage, très forte.

C’était l’Olympia que je voulais faire. Ma productrice de spectacle me disait que, de son avis, c’était peut-être un peu trop. Mais je me suis dit « C’est l’Olympia, en fait ». Alors dans le spectacle j’arrive en l’air de tout en haut, je redécolle, il y a de la danse, ma sœur qui monte sur scène, des surprises, des arrangements, des morceaux qu’on n’avait jamais faits… Et pour moi c’est aussi ça l’expérience scénique. C’est ça, proposer une vraie perf’. Je pense que les gens l’ont saisi.

 

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C’était aussi libérateur, j’imagine ? Vu que la date a été repoussée, annulée…

Exactement, depuis il s’est passé plein de choses, j’ai refait un album, des projets… Les temps ne sont pas forcément évidents pour vivre de sa musique, pour produire, faire des tournées. On est beaucoup. Donc avoir une salle remplie à ras-bord de 2 800 personnes qui connaissent toutes tes chansons, ça donne du baume au cœur. Surtout, ça donne du sens à ce que tu fais. C’était un vrai moment de partage, au-delà d’un show.

Je me suis affirmée cette année. C’est bon : Aloïse Sauvage sur scène, on sait que je fais le show. Je ne vois pas ça comme quelque chose d’arrogant, c’est même beau de le dire. Sur scène, j’ai ma place.

 

Tu parlais de la dimension symbolique. L’Olympia était un de tes objectifs, si on prend ta carrière il y a quelques années ? On te sent comme une sportive qui visait un titre, et tu l’as enfin, maintenant on vise les prochains objectifs.

T’as tout compris. Et c’était très fort pour moi. Parce qu’on a tendance à projeter, à voir la suite, à être à la course aux objectifs… Avec cette idée de « faut pas qu’on m’oublie ». Et toute cette année, ça a été aussi ça : comment revenir alors que tu as eu l’herbe coupée sous le pied ? Tu étais une petite pépite qui débarque, tu n’es plus vraiment ça, mais tu n’es pas du tout une artiste installée.

Dans l’inconscient collectif, c’est fort de faire l’Olympia, d’avoir ton nom en lettres rouges. Je l’ai vraiment vécu au présent : en me disant « c’est là. Et si ça se trouve, demain, tout s’arrête. » On a tous des objectifs, et ça nous tient. L’Olympia j’ai célébré, avec tout le monde, tous les proches de toutes mes vies. J’ai pris le temps, en me disant « Franchement, on l’a fait. » On l’a rempli, on a une communauté, un socle très précieux. Maintenant il y a tellement de choses à construire ! Ça m’a ouvert un nouveau champ des possibles, d’inspirations et d’envies.

 

Sur cet Olympia, il y avait aussi une jolie histoire avec ta sœur, sur « Femme Like You »

« Femme like you », c’est une vidéo qui est sur mon feed Instagram et qui a explosé sur mes réseaux sociaux, quand je l’ai sortie. Elle a été tournée dans les années 2000, sur une plage de Normandie… C’est ma sœur et moi qui chantons « Femme Like You » de K-Maro, par cœur. Et on a déjà le même caractère : surexcitées et exigeantes comme si on tournait un clip.

Je me suis dit que jouer cette reprise à l’Olympia, et pourquoi pas faire monter ma sœur sur scène, ça peut être fou… J’ai sauté sur l’occasion. Je lui en ai parlé une heure avant, qu’elle pourrait me faire un signe. J’avais peur qu’elle ne veuille pas monter parce que bon, c’est pas son taf. C’était une impro totale, et les gens m’en parlent encore !

C’était un moment génial, trop beau avec ma sœur, qui est très importante pour moi, et aussi importante dans le monde artistique et la sphère queer de manière générale. Mais c’était surtout un moment de sororité et tout le monde était à fond. Ma famille était aux anges.

 

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Une pierre, deux coups : moment de partage avec ta sœur, sur un tube que tout le monde peut chanter et un clin d’œil à une vidéo que 80% de la salle a vu ?

Tellement ! C’est mignon, dans la vidéo j’ai 13 ans on dirait que j’en ai 8, rien ne va mais c’est un souvenir exceptionnel. À cette époque je ne voulais pas encore être chanteuse. Et symboliquement, c’est drôle : à cet âge-là, on ne savait pas encore, mais on est toutes les deux lesbiennes et on chante « Je veux une femme like you ».

À cette époque-là, ça ne faisait pas écho chez nous, mais c’est devenu une blague en interne.

 

Tu as sorti en avril le projet Club des étranges. Comment est née l’idée, l’envie ?

L’envie de Club des étranges est venue cette automne. Sur scène depuis le début de la tournée Sauvage, je fais un medley en piano-voix de certains titres de mon précédent album Dévorantes, qui sont des titres aux thématiques LGBT : « Jimy« , « Omowi« , « À l’horizontale« . Depuis que je fais ça, mon public me dit toujours « sors les sur les plateformes ! » Et ça bourdonnait dans mon oreille. Mais ça n’avait pas de sens de sortir ça alors que les chansons étaient issues d’un ancien projet.

Puis on s’est dit qu’on pourrait le rattacher à autre chose. Très vite sont venues les thématiques queer-LGBT. Et on est parti sur des remixes club, liés à l’univers de la nuit, cher à la communauté LGBT. Ensuite ça s’est façonné très vite, j’ai demandé à des productrices queer. Ça a donné 3 remixes pour chaque titre, qu’on a sortis pour le Mois des Fiertés. C’était aussi un cadeau avant L’Olympia, une ode aux amours lesbiennes et queer. Une invitation à les célébrer aussi collectivement par la danse.

 

 

Comment et pourquoi t’es-tu tournée vers ces artistes en particulier ?

Je voulais que le projet soit éclectique. Calling Marian, on avait travaillé sur un court-métrage ensemble. La première à qui j’ai demandé, c’est Chloé Thévenin, parce que c’est un pilier électronique, résidente mythique du Pulp… J’aime beaucoup ses nappes de synthé, cette espèce d’acid trance. J’ai demandé à Cheetah, qui fait partie de la scène afro-parisienne, car je savais que ce serait musicalement très différent. Agathe Mougin de d.rive est partie dans un truc électro-oriental. Et du coup on a contré avec une version plus hardcore par Sentimental Rave

 

Tu les as laissées partir dans une libre interprétation de tes morceaux ?

J’avais envie qu’elles aient carte blanche, qu’on aille à la rencontre de ces artistes-là via leurs remixes. Il y a un mélange des genres et ça forme un voyage dans l’electro queer actuel. C’est un projet très libre. Bien sûr, elles pouvaient vraiment faire ce qu’elles voulaient. Je leur ai donné toutes les pistes et elles pouvaient prendre un mot, toutes les phrases, garder le BPM ou en changer…

 

Si tu devais choisir un seul de ces remixes, tu garderais lequel ? Celui qui t’a donné une autre perception d’un de tes titres?

Franchement, je les aime tous ! Il y en a un qui, je pense, va beaucoup faire danser les gens : celui de Barbara Butch, qui est peut-être le plus accessible en termes d’écoute et de réception. Mais celui de Calling Marian m’a beaucoup inspirée. Notamment la fin, elle part sur des harmonies et des accords qui nous ont amenés à changer la version dans notre live. On l’a faite à l’Olympia, avec Romane qui danse sur la plateforme… Elle m’a twistée.

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Vous le savez certainement, Aloïse Sauvage est également actrice. Elle a récemment terminé le tournage de son dixième long-métrage, réalisé par Kateb et prévu pour 2024 : ça s’appelle Sur un fil. Aloïse y joue Jo, jeune artiste de cirque* de rue qui découvre le travail des clowns professionnels de « Nez pour rire », oeuvrant dans le milieu hospitalier.

*Aloïse Sauvage est elle-même artiste de cirque confirmée, et a passé trois ans dans la prestigieuse académie Fratellini

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Je voudrais qu’on parle du film Sur un fil, et inspiré du recueil Le rire médecin : Journal du Dr Girafe. Tu y incarnes le premier rôle (une première fois pour toi). Comment as-tu été contactée ? Ça t’a parlé tout de suite ?

Ce qui est magnifique dans cette aventure, c’est que je n’ai pas été contactée de l’extérieur, je n’ai pas passé de casting. Avec Reda Kateb (le réal) on avait tourné ensemble dans trois projets : dans Django, où j’avais un tout petit rôle, une apparition, mais c’est peut-être là où je l’ai marqué ; puis on a joué dans ensemble dans Hors Normes de Nakache et Toledano ; et Possessions, une série sur Canal + de Thomas Vincent.

Reda est venu vers moi. Il y a trois, quatre ans à une avant-première de Hors Norme, il m’a parlé de son envie d’écrire un film. De raconter une histoire sur ce livre qu’il venait de lire et de m’intégrer à cette histoire. C’est émouvant parce qu’il l’a écrite en sachant que c’était pour moi, et que j’allais incarner ce rôle. Je lui ai dit « mais tu peux changer d’avis au fur et à mesure ». Il n’a pas changé d’avis.

 

aloise sauvage

© Flo Pernet

Finalement, tu étais là dès le début du processus de création ?

J’ai tout suivi, de A à Z : j’ai tout suivi, les premiers scénarios, la production du film, les castings, la préparation…C’est un cadeau de la vie. Et franchement, je n’étais pas pressée du Premier rôle. J’aurais pu en faire davantage avant, mais les projets ne m’intéressaient pas forcément. Et symboliquement, que ce soit mon premier rôle principal… La vie fait vraiment bien les choses, je ne pouvais pas mieux espérer.

 

C’est une aventure collective très forte humainement et artistiquement. On parle du Rire médecin, des enfants à l’hôpital, du système hospitalier. C’est trop beau. Ce qu’on raconte et ce qu’on met en avant, ça a tellement de sens pour moi : j’ai toujours fait des films où les thématiques sociales sont présentes. Ce que je partage aussi dans mes chansons, je suis toujours engagée intimement dans ce que je vais raconter. Dans Sur le fil, pareil.

 

 

Tu peux nous parler de ton personnage Jo ? Tu disais que Reda l’avait écrit en pensant à toi, alors tu te reconnais en elle ?

Jo est une jeune femme artiste de cirque au départ. Puis (*un événement survient*) et elle doit rebondir, retomber sur ses pattes. C’est un parcours initiatique. Bien sûr que ça me parle. Au début elle très sûre d’elle, en tout cas sûre de son corps, de sa performance, très obsessionnelle et au fil des minutes elle va ouvrir sa carapace et se rencontrer elle-même grâce aux rencontres. Et évidemment le cirque. Dans ce rôle y a plein de choses qui font écho à ma vie.

 

Comment est Reda Kateb en tant que réalisateur ? On a entendu parler d‘une ambiance de tournage très calme, tournée vers l’empathie.

Reda est un super réal’, et peut-être que ça se voit qu’il est qu’il est acteur lui-même. Il dirige avec énormément de bienveillance, de sensibilité, l’ambiance est douce sur le plateau. Même chose pour celles et ceux qui l’entourent, tout le monde était dans la même énergie. Rien ne comptait plus à que l’expérience qu’on était en train de vivre. Je suis tellement émue de ce tournage.

 

Aloïse sauvage

© Flo Pernet

Je crois que ça se ressent ! Tu penses que tu vas garder un peu de ce film avec toi pendant quelques temps ?

Après l’interview je pars avec Philippe Rebbot, un des acteurs du film. Et on va à la convention nationale des clowns de France. Pour te dire à quel point ça nous a bouleversés avec Philippe, on voudrait continuer à être clowns à l’hôpital ! On va à la convention, passer la journée avec eux, pour continuer à essayer de s’intégrer. J’ai sincèrement envie de continuer à l’hôpital, de faire ça. C’est trop beau à vivre.

 

Qu’est-ce que ce film et ce rôle t’ont apporté, autant humainement qu’artistiquement ?

Humainement, ça m’a amené énormément de joie. J’ai rencontré une famille, des gens que je porte dans mon cœur de manière énorme. Reda, Philippe Rebbot et Jean-Philippe Buzaud (qui est un vrai clown dans la vie) sont devenus mes grands frères. Ils m’ont appelée « la gosse » ou « la petite sœur » tout le tournage. Humainement ça m’a beaucoup apaisée et nourrie. Ça m’a aussi permis de sortir du microcosme de la musique, de mettre en perspective, de retrouver un regard neuf. Ça m’a donné beaucoup d’énergie.

Artistiquement, c’est la première fois que j’étais aussi longtemps sur un plateau. J’ai beaucoup appris techniquement, et j’aime apprendre sur le tas. Je n’ai pas eu de formation classique, donc j’apprends au fur et à mesure des expériences. Pour la suite de mon parcours en tant que comédienne, ça va m’apporter énormément.

 

Après cette année chargée, qu’est-ce que tu attends de la suite ?  

L’année a été constructive et nourrissante. Je suis très contente de cet album Sauvage, qui m’a remis le pied à l’étrier et m’a redonné une grande liberté, un second souffle. Le live s’est bien passé, la tournée était belle et je pense qu’il y a eu une émancipation à plein d’endroits, notamment dans la sensualité exprimée.

J’ai très hâte de la suite. C’était un premier nouveau départ après ces deux années de confinement-Covid où je ne savais plus tout à fait où me mettre. Je pense que ce n’est que le début. Je tâtonne, je cherche des choses, j’essaie. Il faut juste que j’accepte que je suis cette personne, pas forcément dans des codes ou des cases. Ma musique est encore jeune et se nourrit chaque jour. J’ai hâte d’essayer plein d’autres choses encore.

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