Interview : Electric Rescue, 15 ans de Skryptöm au service de la techno đïž
Depuis plus de 15 ans, Electric Rescue fait vivre son label : Skryptöm. Comme une mission qu’il s’est donnĂ© -peut-ĂȘtre de maniĂšre inconsciente-, il se bat pour une techno qui raconte des histoires. La cĂ©lĂ©britĂ© ? TrĂšs peu pour lui. La musique, il l’aime profondĂ©ment, sans artifice. Mais ce qu’il prĂ©fĂšre, c’est aller chercher des artistes dans leurs chambres, fouiller leurs univers, les mettre en avant et les voir grandir. Leurs rĂ©ussites constituent sa rĂ©compense. Ă l’occasion de cet anniversaire, on a pu discuter avec lui. De ses premiĂšres rave parties, aux artistes qu’il reprĂ©sente aujourd’hui, en passant par les dĂ©buts de Skryptöm puis sa vision de la techno en tant que musique du futur, Electric Rescue affiche une carriĂšre complĂšte qui n’est pas prĂȘte de s’arrĂȘter tant sa mission l’imprĂšgne au quotidien : dĂ©nicher les talents de demain, et mettre en lumiĂšre une techno qui se rĂ©invente chaque jour, tel est son rĂŽle.
Pour lâoccasion, Electric Rescue nous offre un mini documentaire retraçant les 15 ans de Skryptöm et rĂ©alisĂ© par Lambert Saboureux en avant premiĂšre. Il est Ă retrouver Ă la fin de lâarticle, bon visionnage.
Quand et comment as-tu rencontrĂ© la musique Ă©lectronique ?Â
 » Je lâai rencontrĂ©e fin des annĂ©es 1980, essentiellement sur le cĂŽtĂ© dancefloor. Un de mes potes avait ramenĂ© des disques dâAngleterre, je devais avoir 15 ans. Ă lâĂ©poque, on ne parlait mĂȘme pas encore de techno mais de « house music ». Avant dâavoir ces disques, jâĂ©tais tout de mĂȘme fan de musique Ă©lectronique, Ă travers Depeche Mode, Kraftwerk⊠Sans savoir ce que tout ça allait devenir. Un an aprĂšs, je faisais mes premiĂšres soirĂ©es au Boy, un club gay parisien. Le seul endroit oĂč on pouvait Ă©couter de la techno Ă lâĂ©poque.Â
Comment s’est faite ton introduction dans le monde de la rave ?Â
Dans la continuitĂ© de mes premiĂšres soirĂ©es, jâai dĂ©couvert lâunivers de la fĂȘte LGBT. Jâai trĂšs vite Ă©tĂ© passionnĂ© par cette musique. Alors il a fallu que jâachĂšte des disques et des platines : câĂ©tait plus fort que moi. Puis en 1992 je jouais dans les premiĂšres raves. Mes premiers sets, ça a Ă©tĂ© lors dâune rave mythique qui sâappelait Mozinor. Ăa m’a donnĂ© une Ă©nergie dĂ©bordante et jâai voulu organiser mes propres raves. Je lâai fait pendant 23 ans, jusquâen 2014. Jâorganisais les soirĂ©es Mantasme, Positive Hypnose⊠Et lĂ , on investissait des lieux complĂštement insolites : chĂąteau, anciennes usines, abbaye, ancien cinĂ©ma⊠Tout ce qui nâĂ©tait pas un club (rires) ! On Ă©tait entre 500 et 1000 personnes : je voulais que ça reste Ă taille humaine et chaleureux. En 1994, lâenvie de composer est arrivĂ©e. En 1997, je me suis fait la main sur mon premier label Calme Records. Un nom un peu paradoxal par rapport Ă la musique, car on galopait Ă 140 bpm (rires). Jusquâen 2006, oĂč jâai eu envie de passer un cap et de professionnaliser encore plus ma musique. Câest lĂ que Skryptöm est arrivĂ© ! La premiĂšre sortie du label câĂ©tait le 1er janvier 2007, avec Julian Jeweil et « Air Conditionné ».
Quel a été le déclic pour que tu créés ton propre label en 2006 ?
DĂšs lâenfance, jâĂ©cumais les disques de la maison, jâimprovisais des Ă©missions de radio⊠CâĂ©tait le bordel. La musique a toujours Ă©tĂ© une espĂšce de magma en moi, qui dĂ©bordait, il a fallu que je lâexprime. Et le label Ă©tait un bon moyen de le faire. Trois labels mâont donnĂ© envie de proposer de la musique : Underground Resistance, Warp et F Communications. Ces trois maisons de disques se mettent au service de la musique et sâancrent dans la dĂ©couverte dâartistes. Câest ce que je voulais faire et c’est ce que je fais avec Skryptöm aujourdâhui. Je ne lâai pas compris tout de suite. Câest en rĂ©flĂ©chissant, en ayant crĂ©Ă© Calm Record, que ma maniĂšre de gĂ©rer un label est arrivĂ©e naturellement. Je ne voulais pas me mettre en valeur, je souhaitais simplement dĂ©velopper une identitĂ©, une vision. Aller chercher des talents dans leurs chambres, puis les faire grandir, partager des expĂ©riences avec eux.
Peux-tu nous raconter les débuts de Skryptöm ?
Au dĂ©but je nâavais pas beaucoup de moyens, je nâai pu faire que des EPs. Mais jâai eu la chance de commencer avec trois gros cartons : lâEP de Julian Jeweil, Air ConditionnĂ©, celui de Popof My Toyz, puis celui de Laurent Garnier et Scan X intitulĂ© Midnight. Ăa mâa donnĂ© une grosse visibilitĂ©, donc jâai pu commencer Ă rĂ©flĂ©chir Ă autre chose quâaux EPs simples, en abordant les albums et autres expĂ©riences. Jâai pu dĂ©velopper le label car partager de la musique est un besoin fondamental que jâai en moi. Ăa me passionne, ça me rend dingue.Â
Pour moi, la techno a toujours Ă©tĂ© la musique du futur. Et il faut continuer Ă participer Ă ce futur pour crĂ©er le prĂ©sent. Skryptöm sâinscrit dans le futur alors que les soirĂ©es, câest le moment prĂ©sent. Pour vulgariser, je cuisine les trucs que les gens vont manger plus tard (rires). Pour moi, ça va ĂȘtre difficile de trouver la prochaine rĂ©volution musicale, ça fait 30 ans que la techno est la musique du futur car elle est en perpĂ©tuel mouvement. Je nâen fais pas une vĂ©ritĂ© mais câest ce que je ressens. Et ce qui est intĂ©ressant câest que chaque gĂ©nĂ©ration se nourrit du passĂ© mais apporte aussi sa couleur, son empreinte, sa personnalitĂ©, cela donne une fraĂźcheur supplĂ©mentaire Ă la techno. Câest ce que je vais chercher.
Depuis 15 ans, quel est ton secret pour dénicher les talents de demain ?
Je passe beaucoup de temps Ă Ă©couter de la musique, digger des artistes⊠Jâai toujours besoin de fouiller. Ă cĂŽtĂ© de Skryptöm, jâai aussi une Ă©mission de radio qui sâappelle « On refait le mix », dans laquelle je prĂ©sente un mix pendant une demi-heure. Puis la suivante, je parle de tous les artistes et des labels qui sont derriĂšre les morceaux. Ăa empiĂšte sur Skryptöm. En faisant des recherches sur les titres, je trouve des artistes qui mâont envoyĂ© des dĂ©mos et je les ramĂšne Ă la maison (rires) ! Mais je nâaime pas signer des artistes pour un one shot. Jâaime crĂ©er des histoires sur le long terme avec eux. Dâailleurs Skryptöm câest une grosse vingtaine dâartistes et ils sont tous devenus potes. Sur notre conversation Messenger, câest la foire Ă la saucisse (rires). La musique est un point de rencontre et aprĂšs il y Ă lâhumain. Je ne vais pas prendre quelquâun avec qui je ne mâentends pas, car ça ne servirait Ă rien. Câest comme ça que jâai pu lancer Traumer, Julien Jeweil⊠Ils mâaccordent leur confiance et ça mâĂ©clate de les pousser. Â
Maintenant que tu es un mentor de pas mal dâartistes, qui ont Ă©tĂ© les tiens ?Â
Je pense que sur lâintĂ©gritĂ© et le chemin Ă suivre, il y en a un qui nous a mis une belle claque ; câest Laurent Garnier. Musicalement ce nâest pas mon kiff. Enfin, jâaime Laurent quand il ne joue pas de la techno, en fait. J’aime quand il joue de l’ambient, j’aime Laurent quand il joue de la drum & bass, quand il joue des trucs expĂ©rimentaux⊠Mais il le sait, on en a dĂ©jĂ parlĂ©. Par contre, jâadmire le chemin quâil nous a tous montrĂ© et la carriĂšre quâil a forgĂ©. Sinon je ne suis pas un « fan de », je nâidĂ©alise pas un parcours plus quâun autre. Celui de Laurent est remarquable, mais on ne peut pas tous se baser dessus car il est unique. Et chacun a son parcours : « faire comme », câest dĂ©jĂ se renier.Â
Quelle est lâidentitĂ© musicale de Skryptöm, a-t-elle Ă©voluĂ© en 15 ans ?Â
Elle a Ă©voluĂ© en termes dâingrĂ©dients mais le fond reste inchangĂ©. Skryptöm câest toujours cette techno rugueuse, mĂ©lodique et mĂ©lancolique en mĂȘme temps. Câest un peu ce que jâai en moi. Ce cĂŽtĂ© brut de la musique, avec tout de mĂȘme beaucoup dâĂ©motions et de sentiments. Skryptöm est Ă lâimage de mes sets techno. Ăa bastonne, mais ça voyage. Il y a diffĂ©rents tableaux, paysages⊠câest une techno qui raconte des histoires. Câest la colonne vertĂ©brale. Ensuite, il peut y avoir de lâambient, des breaks⊠Câest ce que je propose aux artistes quand ils font un album.Â
Depuis tes débuts, tu es un activiste de la scÚne techno underground. Quelles actions mÚnes-tu avec Skryptöm ?
Il y a toujours cette volontĂ© de dĂ©fricher les artistes de demain et de les faire dĂ©couvrir au public. Traumer est un bon exemple. Je suis allĂ© chercher Romain quand il avait 16 ans. Il y a aussi lâaction dâorganiser des rencontres entre artistes français et internationaux, notamment lors des soirĂ©es Skryptöm et Ă travers notre rĂ©sidence au KM25. Depuis 2017, jâai aussi lancĂ© Skryptöm Collective. Pendant un mois, je rassemble tous les artistes du label Ă un endroit et on fait des sessions studio, des masterclasses sur le mixage, le mastering, les synthĂšse modulaires⊠des initiations Ă la musique Ă©lectronique pour les enfants aussi. Puis Ă la fin de la semaine, on termine avec une grande fĂȘte pour rencontrer le public de maniĂšre festive !
On sâintĂ©resse aussi beaucoup Ă lâart numĂ©rique autour de la musique. Mais il manque beaucoup de femmes. En DJing câest en train de se rĂ©gler, on arrive Ă une forme de paritĂ©, mais en production ce nâest pas toujours le cas. Je me suis fais souvent taper sur les doigts pour Skryptöm, car il nây a pas assez de femmes : seulement trois sur vingt. Câest un rĂ©el problĂšme. Mais je ne reçois pas de dĂ©mos de productrices. Et câest une prochaine Ă©tape que jâaimerais lancer : encourager les femmes Ă la production de musique Ă©lectronique. Les VĂ©nus font ça trĂšs bien, par exemple. Il faut plus dâimpulsion comme ça !
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Peux-tu nous dĂ©crire lâambiance dâune soirĂ©e Skryptöm, la musique que lâon peut y Ă©couter, les gens que lâon peut y rencontrer ?Â
En termes de musique et de public, jâessaie de retranscrire ce que jâai ressenti dans les raves des annĂ©es 1990, mais dans un club. Câest Ă dire dâavoir un lĂącher-prise gĂ©nĂ©ral et de la dĂ©couverte musicale, tout en gardant un cĂŽtĂ© pointu sans aller chercher les artifices commerciaux. Depuis les annĂ©es 1990, je nâai pas changĂ© de cap et je nâen changerai pas. Je ne suis pas Ă la recherche dâune notoriĂ©tĂ© extravagante. Je suis juste en mission pour la techno. Ăa mâest tombĂ© dessus (rires).
RĂ©cemment, tu jouais en compagnie de Kuss et Nene H au 1988 Live Club Ă Rennes, pour la premiĂšre Skryptöm en 2023, pourquoi ces deux artistes ?Â
Kuss est un des derniers artistes Skryptöm que jâessaie de dĂ©velopper. En trois disques, il est devenu une de nos meilleures ventes chez Skryptöm. Je sens quelque chose dâassez fort chez lui, câest un artiste tous-terrains. Je suis certain quâun jour, il rĂ©ussira Ă faire des mĂ©langes musicaux improbables qui prĂ©pareront la musique du futur. On en revient toujours Ă la mĂȘme chose; en fait. Et puis il est simple. Pour moi il y a deux catĂ©gories dâartistes : ceux qui vont se prendre en photo devant les machines et ceux qui vont mettre les mains dedans. Câest son cas, câest un vrai musicien.Â
Nene H jâaime son cĂŽtĂ© rĂ©volutionnaire, versatile, elle est capable de tout. Elle est complĂštement incontrĂŽlable. Mais toujours dans le respect.
Une anecdote qui te tient Ă cĆur avec Skryptöm Ă nous partager ?Â
Pour moi Skryptöm reste un petit label. Mais un jour, pour les 15 ans, jâai demandĂ© Ă tous les artistes : « quelle serait votre collaboration de rĂȘve ? » et ils sont tous allĂ©s chercher les artistes avec qui ils voulaient faire un disque. Pour 80% dâentre eux, le premier choix a rĂ©pondu positivement. Donc on a eu DH Hell, Pan-Pot, Phase, Voiski⊠Tout le monde a dit « oui » sans nĂ©gociation, ça me touche ! Je trouve que câest une belle anecdote qui montre que ce travail paie. Ăa a servi Ă des artistes français, Ă la reprĂ©sentativitĂ© de la techno en France. Ma rĂ©compense est lĂ .Â
Quelles sont les prochaines sorties du label ?Â
Aujourdâhui on arrive Ă la fin dâun cycle de 15 ans. Pour le nouveau cycle quâon entame, je vais continuer notre schĂ©ma habituel : une sortie par mois. La prochaine câest Kamen, un newcomer sur le label, son premier disque sur Skryptöm. Jâai aussi un autre projet dâart numĂ©rique : on a crĂ©Ă© la Skryptöbox, boĂźte blanche de huit mĂštres de largeur et trois mĂštres de hauteur. Ă l’intĂ©rieur, des duos dâartistes, musiciens et vidĂ©astes, font des piĂšces de 25 minutes Ă une heure, lors desquelles 50 Ă 60 personnes sont en immersion grĂące Ă un systĂšme son en 3D en 20.1.Â
RĂ©cemment, jâai rencontrĂ© la ville de Meudon, qui nous a donnĂ© trois, quatre ans pour rĂ©aliser des projets dâarts numĂ©riques. Donc on a utilisĂ© cette Skryptöbox. On aimerait aussi rĂ©aliser des ateliers sur la musique Ă©lectronique avec des enfants. Puis on rĂ©flĂ©chit Ă©galement Ă la composition dâune piĂšce entre danse contemporaine, artistes plasticiens, Skryptöbox et poĂ©sie. Une piĂšce qui mĂ©langerait danse (grĂące Ă la chorĂ©graphe Anne Nguyen), son en 3D, vidĂ©os, sculpture⊠à lâimage de la musique du futur, on imagine le spectacle du futur. Ce serait pour 2024. Pour moi, câest dans la lignĂ©e de la techno qui est Ă la base des innovations depuis 30 ans. «Â
Vidéo reportage par Lambert Saboureux