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© Capture d'écran - Lambert Saboureux
12 avril 2023

Interview : Electric Rescue, 15 ans de Skryptöm au service de la techno 🎙️

par Marion Sammarcelli

Depuis plus de 15 ans, Electric Rescue fait vivre son label : Skryptöm. Comme une mission qu’il s’est donnĂ© -peut-ĂŞtre de manière inconsciente-, il se bat pour une techno qui raconte des histoires. La cĂ©lĂ©britĂ© ? Très peu pour lui. La musique, il l’aime profondĂ©ment, sans artifice. Mais ce qu’il prĂ©fère, c’est aller chercher des artistes dans leurs chambres, fouiller leurs univers, les mettre en avant et les voir grandir. Leurs rĂ©ussites constituent sa rĂ©compense. Ă€ l’occasion de cet anniversaire, on a pu discuter avec lui. De ses premières rave parties, aux artistes qu’il reprĂ©sente aujourd’hui, en passant par les dĂ©buts de Skryptöm puis sa vision de la techno en tant que musique du futur, Electric Rescue affiche une carrière complète qui n’est pas prĂŞte de s’arrĂŞter tant sa mission l’imprègne au quotidien : dĂ©nicher les talents de demain, et mettre en lumière une techno qui se rĂ©invente chaque jour, tel est son rĂ´le.

Pour l’occasion, Electric Rescue nous offre un mini documentaire retraçant les 15 ans de Skryptöm et réalisé par Lambert Saboureux en avant première. Il est à retrouver à la fin de l’article, bon visionnage.

 

Quand et comment as-tu rencontré la musique électronique ? 

 » Je l’ai rencontrée fin des années 1980, essentiellement sur le côté dancefloor. Un de mes potes avait ramené des disques d’Angleterre, je devais avoir 15 ans. À l’époque, on ne parlait même pas encore de techno mais de « house music ». Avant d’avoir ces disques, j’étais tout de même fan de musique électronique, à travers Depeche Mode, Kraftwerk… Sans savoir ce que tout ça allait devenir. Un an après, je faisais mes premières soirées au Boy, un club gay parisien. Le seul endroit où on pouvait écouter de la techno à l’époque. 

 

Comment s’est faite ton introduction dans le monde de la rave ? 

Dans la continuitĂ© de mes premières soirĂ©es, j’ai dĂ©couvert l’univers de la fĂŞte LGBT. J’ai très vite Ă©tĂ© passionnĂ© par cette musique. Alors il a fallu que j’achète des disques et des platines : c’était plus fort que moi. Puis en 1992 je jouais dans les premières raves. Mes premiers sets, ça a Ă©tĂ© lors d’une rave mythique qui s’appelait Mozinor. Ça m’a donnĂ© une Ă©nergie dĂ©bordante et j’ai voulu organiser mes propres raves. Je l’ai fait pendant 23 ans, jusqu’en 2014. J’organisais les soirĂ©es Mantasme, Positive Hypnose… Et lĂ , on investissait des lieux complètement insolites : château, anciennes usines, abbaye, ancien cinĂ©ma… Tout ce qui n’était pas un club (rires) ! On Ă©tait entre 500 et 1000 personnes : je voulais que ça reste Ă  taille humaine et chaleureux. En 1994, l’envie de composer est arrivĂ©e. En 1997, je me suis fait la main sur mon premier label Calme Records. Un nom un peu paradoxal par rapport Ă  la musique, car on galopait Ă  140 bpm (rires). Jusqu’en 2006, oĂą j’ai eu envie de passer un cap et de professionnaliser encore plus ma musique. C’est lĂ  que Skryptöm est arrivĂ© ! La première sortie du label c’était le 1er janvier 2007, avec Julian Jeweil et « Air Conditionné ».

 

Quel a été le déclic pour que tu créés ton propre label en 2006 ?

Dès l’enfance, j’écumais les disques de la maison, j’improvisais des Ă©missions de radio… C’était le bordel. La musique a toujours Ă©tĂ© une espèce de magma en moi, qui dĂ©bordait, il a fallu que je l’exprime. Et le label Ă©tait un bon moyen de le faire. Trois labels m’ont donnĂ© envie de proposer de la musique : Underground Resistance, Warp et F Communications. Ces trois maisons de disques se mettent au service de la musique et s’ancrent dans la dĂ©couverte d’artistes. C’est ce que je voulais faire et c’est ce que je fais avec Skryptöm aujourd’hui. Je ne l’ai pas compris tout de suite. C’est en rĂ©flĂ©chissant, en ayant crĂ©Ă© Calm Record, que ma manière de gĂ©rer un label est arrivĂ©e naturellement. Je ne voulais pas me mettre en valeur, je souhaitais simplement dĂ©velopper une identitĂ©, une vision. Aller chercher des talents dans leurs chambres, puis les faire grandir, partager des expĂ©riences avec eux.

 

Peux-tu nous raconter les débuts de Skryptöm  ?

Au début je n’avais pas beaucoup de moyens, je n’ai pu faire que des EPs. Mais j’ai eu la chance de commencer avec trois gros cartons : l’EP de Julian Jeweil, Air Conditionné, celui de Popof My Toyz, puis celui de Laurent Garnier et Scan X intitulé Midnight. Ça m’a donné une grosse visibilité, donc j’ai pu commencer à réfléchir à autre chose qu’aux EPs simples, en abordant les albums et autres expériences. J’ai pu développer le label car partager de la musique est un besoin fondamental que j’ai en moi. Ça me passionne, ça me rend dingue. 

Pour moi, la techno a toujours été la musique du futur. Et il faut continuer à participer à ce futur pour créer le présent. Skryptöm s’inscrit dans le futur alors que les soirées, c’est le moment présent. Pour vulgariser, je cuisine les trucs que les gens vont manger plus tard (rires). Pour moi, ça va être difficile de trouver la prochaine révolution musicale, ça fait 30 ans que la techno est la musique du futur car elle est en perpétuel mouvement. Je n’en fais pas une vérité mais c’est ce que je ressens. Et ce qui est intéressant c’est que chaque génération se nourrit du passé mais apporte aussi sa couleur, son empreinte, sa personnalité, cela donne une fraîcheur supplémentaire à la techno. C’est ce que je vais chercher.

 

Depuis 15 ans, quel est ton secret pour dénicher les talents de demain ?

Je passe beaucoup de temps à écouter de la musique, digger des artistes… J’ai toujours besoin de fouiller. À côté de Skryptöm, j’ai aussi une émission de radio qui s’appelle « On refait le mix », dans laquelle je présente un mix pendant une demi-heure. Puis la suivante, je parle de tous les artistes et des labels qui sont derrière les morceaux. Ça empiète sur Skryptöm. En faisant des recherches sur les titres, je trouve des artistes qui m’ont envoyé des démos et je les ramène à la maison (rires) ! Mais je n’aime pas signer des artistes pour un one shot. J’aime créer des histoires sur le long terme avec eux. D’ailleurs Skryptöm c’est une grosse vingtaine d’artistes et ils sont tous devenus potes. Sur notre conversation Messenger, c’est la foire à la saucisse (rires). La musique est un point de rencontre et après il y à l’humain. Je ne vais pas prendre quelqu’un avec qui je ne m’entends pas, car ça ne servirait à rien. C’est comme ça que j’ai pu lancer Traumer, Julien Jeweil… Ils m’accordent leur confiance et ça m’éclate de les pousser.  

 

Maintenant que tu es un mentor de pas mal d’artistes, qui ont été les tiens ? 

Je pense que sur l’intĂ©gritĂ© et le chemin Ă  suivre, il y en a un qui nous a mis une belle claque ; c’est Laurent Garnier. Musicalement ce n’est pas mon kiff. Enfin, j’aime Laurent quand il ne joue pas de la techno, en fait. J’aime quand il joue de l’ambient, j’aime Laurent quand il joue de la drum & bass, quand il joue des trucs expĂ©rimentaux… Mais il le sait, on en a dĂ©jĂ  parlĂ©. Par contre, j’admire le chemin qu’il nous a tous montrĂ© et la carrière qu’il a forgĂ©. Sinon je ne suis pas un « fan de », je n’idĂ©alise pas un parcours plus qu’un autre. Celui de Laurent est remarquable, mais on ne peut pas tous se baser dessus car il est unique. Et chacun a son parcours : « faire comme », c’est dĂ©jĂ  se renier. 

 

Quelle est l’identité musicale de Skryptöm, a-t-elle évolué en 15 ans ? 

Elle a évolué en termes d’ingrédients mais le fond reste inchangé. Skryptöm c’est toujours cette techno rugueuse, mélodique et mélancolique en même temps. C’est un peu ce que j’ai en moi. Ce côté brut de la musique, avec tout de même beaucoup d’émotions et de sentiments. Skryptöm est à l’image de mes sets techno. Ça bastonne, mais ça voyage. Il y a différents tableaux, paysages… c’est une techno qui raconte des histoires. C’est la colonne vertébrale. Ensuite, il peut y avoir de l’ambient, des breaks… C’est ce que je propose aux artistes quand ils font un album. 

 

Depuis tes débuts, tu es un activiste de la scène techno underground. Quelles actions mènes-tu avec Skryptöm ?

Il y a toujours cette volonté de défricher les artistes de demain et de les faire découvrir au public. Traumer est un bon exemple. Je suis allé chercher Romain quand il avait 16 ans. Il y a aussi l’action d’organiser des rencontres entre artistes français et internationaux, notamment lors des soirées Skryptöm et à travers notre résidence au KM25. Depuis 2017, j’ai aussi lancé Skryptöm Collective. Pendant un mois, je rassemble tous les artistes du label à un endroit et on fait des sessions studio, des masterclasses sur le mixage, le mastering, les synthèse modulaires… des initiations à la musique électronique pour les enfants aussi. Puis à la fin de la semaine, on termine avec une grande fête pour rencontrer le public de manière festive !

On s’intéresse aussi beaucoup à l’art numérique autour de la musique. Mais il manque beaucoup de femmes. En DJing c’est en train de se régler, on arrive à une forme de parité, mais en production ce n’est pas toujours le cas. Je me suis fais souvent taper sur les doigts pour Skryptöm, car il n’y a pas assez de femmes : seulement trois sur vingt. C’est un réel problème. Mais je ne reçois pas de démos de productrices. Et c’est une prochaine étape que j’aimerais lancer : encourager les femmes à la production de musique électronique. Les Vénus font ça très bien, par exemple. Il faut plus d’impulsion comme ça !

 

À lire également sur Tsugi.fr : Electric Rescue, SOS techno

 

Peux-tu nous décrire l’ambiance d’une soirée Skryptöm, la musique que l’on peut y écouter, les gens que l’on peut y rencontrer ? 

En termes de musique et de public, j’essaie de retranscrire ce que j’ai ressenti dans les raves des années 1990, mais dans un club. C’est à dire d’avoir un lâcher-prise général et de la découverte musicale, tout en gardant un côté pointu sans aller chercher les artifices commerciaux. Depuis les années 1990, je n’ai pas changé de cap et je n’en changerai pas. Je ne suis pas à la recherche d’une notoriété extravagante. Je suis juste en mission pour la techno. Ça m’est tombé dessus (rires).

 

Récemment, tu jouais en compagnie de Kuss et Nene H au 1988 Live Club à Rennes, pour la première Skryptöm en 2023, pourquoi ces deux artistes ? 

Kuss est un des derniers artistes Skryptöm que j’essaie de développer. En trois disques, il est devenu une de nos meilleures ventes chez Skryptöm. Je sens quelque chose d’assez fort chez lui, c’est un artiste tous-terrains. Je suis certain qu’un jour, il réussira à faire des mélanges musicaux improbables qui prépareront la musique du futur. On en revient toujours à la même chose; en fait. Et puis il est simple. Pour moi il y a deux catégories d’artistes : ceux qui vont se prendre en photo devant les machines et ceux qui vont mettre les mains dedans. C’est son cas, c’est un vrai musicien. 

Nene H j’aime son côté révolutionnaire, versatile, elle est capable de tout. Elle est complètement incontrôlable. Mais toujours dans le respect.

 

Une anecdote qui te tient à cœur avec Skryptöm à nous partager ? 

Pour moi Skryptöm reste un petit label. Mais un jour, pour les 15 ans, j’ai demandé à tous les artistes : « quelle serait votre collaboration de rêve ? » et ils sont tous allés chercher les artistes avec qui ils voulaient faire un disque. Pour 80% d’entre eux, le premier choix a répondu positivement. Donc on a eu DH Hell, Pan-Pot, Phase, Voiski… Tout le monde a dit « oui » sans négociation, ça me touche ! Je trouve que c’est une belle anecdote qui montre que ce travail paie. Ça a servi à des artistes français, à la représentativité de la techno en France. Ma récompense est là. 

 

Quelles sont les prochaines sorties du label ? 

Aujourd’hui on arrive Ă  la fin d’un cycle de 15 ans. Pour le nouveau cycle qu’on entame, je vais continuer notre schĂ©ma habituel : une sortie par mois. La prochaine c’est Kamen, un newcomer sur le label, son premier disque sur Skryptöm. J’ai aussi un autre projet d’art numĂ©rique : on a crĂ©Ă© la Skryptöbox, boĂ®te blanche de huit mètres de largeur et trois mètres de hauteur. Ă€ l’intĂ©rieur, des duos d’artistes, musiciens et vidĂ©astes, font des pièces de 25 minutes Ă  une heure, lors desquelles 50 Ă  60 personnes sont en immersion grâce Ă  un système son en 3D en 20.1. 

Récemment, j’ai rencontré la ville de Meudon, qui nous a donné trois, quatre ans pour réaliser des projets d’arts numériques. Donc on a utilisé cette Skryptöbox. On aimerait aussi réaliser des ateliers sur la musique électronique avec des enfants. Puis on réfléchit également à la composition d’une pièce entre danse contemporaine, artistes plasticiens, Skryptöbox et poésie. Une pièce qui mélangerait danse (grâce à la chorégraphe Anne Nguyen), son en 3D, vidéos, sculpture… À l’image de la musique du futur, on imagine le spectacle du futur. Ce serait pour 2024. Pour moi, c’est dans la lignée de la techno qui est à la base des innovations depuis 30 ans. « 

 

Vidéo reportage par Lambert Saboureux

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