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20 janvier 2017

Interview : Vitalic Cosmic Machines

par Mathilde LESAINT

Interview et chronique publiées dans le numéro 98 de Tsugi (decembre 2016) :

Il y a ceux qui font pleurer les platines et ceux qui font hurler les machines. Depuis ses débuts discographiques en 2001, avec le tonitruant Poney EP, Pascal Arbez- Nicolas, alias Vitalic, a toujours été le symbole d’une musique électronique rugissante, taillée pour secouer l’auditeur, et faire pogoter le danseur. Les lentes montées, les boucles profondes, le fameux “voyage” au bout de la nuit, cela n’a jamais été le genre de la maison. Tel un punk de l’électro, Vitalic marchait droit au beat et à fond sur le kick. Sauf, que. À 40 ans (il les a fêtés cette année), les envies changent. En 2012, son assourdissant troisième album Rave Age marque un tournant. Aller plus loin dans la caricature turbinesque, c’est carrément virer EDM. Pourquoi pas? Mais à coup sûr, nous l’aurions alors perdu. Quatre ans plus tard, Pascal n’a heureusement pas basculé du côté obs- cur de la force électronique. Mieux, il signe avec Voyager son meilleur album. D’une homogénéité sans faille (ce qui n’était jamais le cas auparavant), les dix tracks du disque composent une ode très personnelle mi-disco, mi-cold wave. Même des morceaux de bravoure comme les géniaux “Levitation” ou “Nozomi”, parfaits pour les adeptes du “faut que ça envoie”, ne provoquent pas des saignements dans les oreilles. Conclu par une surprenante reprise électro-new wave tout en douceur de… Supertramp (“Don’t Leave Me Now”), Voyager expose surtout la mise à nu de Vitalic qui n’a plus besoin de cacher sa person- nalité derrière une avalanche de BPM. Direction le studio/loft de notre photographe, bien plan- qué au premier sous-sol d’un parking d’un immeuble sta- linien du XIXe arrondis- sement parisien, pour rencontrer le produc- teur de “My Friend Dario”.

Il y a cinq ans avec l’album Rave Age tu étais très énervé, on te retrouve plus serein…

Juste avant Rave Age, j’ai pas mal tourné dans des festivals où il y avait beaucoup d’artistes EDM. J’étais un peu la caution “underground”, mais ça a eu un impact sur ma musique et j’ai voulu mélanger ce qui se passait à ce moment-là, avec des choses plus calmes, mais on n’a retenu que le côté énervé. Aujourd’hui c’est vrai, je ne suis plus dans la même humeur.

On a l’impression que tu as moins envie de faire hurler les machines…

Certains vont me dire que ça leur manque que je ne fasse plus hurler les machines… Mais ce truc de faire hurler les machines que l’on appelait de manière un peu ringarde la maximale, a été complètement volé par l’EDM. Au début, je ne m’en suis pas rendu compte puis avec Boys Noize, on s’est dit : “Wouah, on a piqué notre son!” On s’est mis à l’entendre sur toutes les radios commerciales. Les mecs ont juste rajouté des meufs qui chantent et plus d’effets. Je ne pouvais pas me lancer dans la surenchère, il fallait donc que je change de sons.

Quatre ans, c’est une longue période entre deux albums, est-ce que cela veut dire que tu as hésité dans la direction à prendre ?

Après la sortie d’un album, il y a toute une période pendant laquelle je n’ai pas envie de faire de musique, ça peut durer un an et demi, deux ans. Je peux faire des remixes, ou surtout modifier mon live, mais pour que je me remette sur un album, il faut que je retrouve du jus et une histoire à raconter

Est-ce que tu as eu une sorte de déclic ?

Stéphane “Alf” Briat qui était ingénieur du son sur Rave Age est venu écouter mes premières maquettes et il m’a dit : “Ah, c’est cosmique !” Au début j’ai totalement refusé ce terme, je me demandais ce qu’il pouvait signifier. Mais, j’ai réécouté ce que j’avais produit et c’est vrai qu’il y avait de la disco dedans, et des sons qui étaient du domaine du cosmique… Une fois que j’ai accepté cela, tout est venu d’un coup. Voyager a été mon album le plus fun à concevoir parce que je me suis vraiment lâché sur ce que j’avais envie de faire.

Tu le considères comme ton album le plus disco, c’est aussi le plus pop…

Je ne pense jamais en termes de pop ou pas pop, ou de mainstream ou d’underground. Ce sont des concepts qui me sont aujourd’hui étrangers. Mais je me rappelle quand j’étais jeune, j’étais à fond dans l’underground, et lorsque j’ai rencontré Thomas Bangalter je n’ai pas compris quand il m’a dit: “Ce n’est pas parce que ta grand-mère aime un morceau qu’il est forcément mauvais.” Moi, j’étais choqué, parce que ma grand-mère ne pouvait pas aimer un morceau que j’aimais, c’était le clash des cultures! (rires) Aujourd’hui, j’ai mis de l’eau dans mon vin. Underground, ce n’est pas un label de qualité pour la musique, cela veut juste dire que c’est compliqué d’entrer dedans. Il y a plein de musiques “under- ground” chiantes, et de musiques “mainstream” cool.

Je trouve aussi que c’est ton album le plus homogène…

J’apprends de mes erreurs. Le concept Rave Age, c’était justement pas de concept, et même moi, je trouve que c’est un album fatiguant. Seul le live était cohérent avec le disque. Avec Voyager, j’ai voulu un début, un milieu et une fin, quelque chose de fluide. Le son du synthétiseur Buchla fait le lien entre les morceaux. J’aime beaucoup aussi La Mverte, David Shaw, Correspondant le label de Jennifer Cardini, qui ont ce côté cold wave de mes débuts, et j’ai donc essayé de revenir à mes racines musicales… mais pour les amener ailleurs.

Puisque tu évoques Jennifer, avec le recul on se rend compte à quel point ton maxi “Film Noir”, sorti cet été sur son label, était annonciateur de ton album…

Oui, mais une partie du public s’est demandé ce que c’était. Jusqu’à maintenant, je suis surtout connu pour mes trucs qui envoient, et j’ai peut-être moins envie de faire ça. J’étais allé voir Jennifer à une soirée à Paris et elle a joué très mental, une sorte de disco perverse, ça m’a plu alors je lui ai proposé de lui faire un maxi. Je suis revenu vers elle très vite avec ces deux morceaux, sans réfléchir plus que ça. L’album était déjà bien avancé, mais cela m’a conforté dans l’idée que je n’avais peut-être pas besoin de mettre de grosses turbines sur cet album. D’ailleurs en parlant avec Jennifer, je les ai enlevées pour me concentrer sur cette disco aérienne.

Aux antipodes de Jennifer, tu as aussi travaillé avec Joachim Garraud, l’ex-producteur préféré de David Guetta…

Nous sommes très différents, il est dans d’autres sphères, mais on s’est bien entendu et on est devenu potes. Il possède une science de la production et du travail sur les voix que je n’ai pas. Moi, je le fais en version punk, mais je voulais quelque chose de très lissé, très beau. Il faut un peu de science pour que cela marche, et Joachim la possède. Pourtant il m’a dit aussi : “Ça manque de morceaux où ça envoie grave !” Donc on en a fait deux ou trois, mais ça n’allait plus avec le reste de l’album.

Est-ce que le choix de la technologie a décidé de la couleur de tes morceaux ou bien est-ce le contraire ?

Un peu des deux. J’ai tendance à changer complètement mon set up avant chaque nouvel album. C’est comme lorsque l’on a une nouvelle relation amou-reuse, c’est bien de partir sur quelque chose de neuf. Sur Rave Age, j’ai utilisé beaucoup de softwares et cela s’entend. Là, j’ai utilisé beaucoup de machines et en particulier une marque de synthés nommée Buchla. C’est d’ailleurs un peu à la mode. Ce sont des synthés très vivants, mais qui sont dur à intégrer dans une chanson si tu ne veux pas faire de l’expérimentation pure et dure. Mais ça a donné cette direction un peu bizarre cosmique. Joachim m’a également lé le software d’une reverb que je trouve formidable. Je l’ai utilisé sur tous les morceaux, donc ça participe aussi à l’homogénéité du disque.

Tu as eu un coup de foudre très jeune pour les machines ?

Ma première machine, c’était un MS20, une super machine, pas très chère, mais vraiment pas musicale, sur laquelle j’essayais de faire du Moroder, ce qui était impossible! Les machines, ça participait à l’excitation de faire de la musique électronique, de piloter ces vais- seaux spatiaux avec ces drôles de boutons, j’avais l’impression d’être dans le futur de la musique. Mais il y avait aussi de l’angoisse, car ça paraissait très compliqué, d’ailleurs ça l’était plus ou moins.

Depuis tes débuts, on a l’impression que tu as toujours tracé ta route sans trop t’intéresser à ce qu’il se passait à côté…

Je ne suis pas trop dans les relations publiques. Je ne cherche pas à poser avec le groupe à la mode. J’ai pourtant beaucoup d’amis dans la musique, mais je ne sors pas dans le but de montrer ma gueule. Mais je vais souvent à des concerts ou à des soirées au Rex Club, au Badaboum. Donc j’écoute ce qu’il se passe autour de moi, ça peut m’inspirer aussi. Mais je ne sais pas faire de la techno comme Marcel Dettmann par exemple. De toute manière, ce n’est pas bon pour moi d’essayer d’imiter quelqu’un, cela ne marcherait pas.

Pour un puriste techno ou house, Vitalic, c’est un peu le diable…

Oui, je sais. Je ne cherche pas à plaire aux puristes. C’est bien aussi de ne pas faire l’unanimité. Moi-même, je ne suis pas un puriste et j’ai dans mes tiroirs des morceaux qui sont très underground et expérimentaux. Même Joachim Garraud qui produit Rihanna, il fait de la musique expérimentale complètement dingue. On peut ne pas adhérer à toutes les facettes d’une personne. Mais sur quinze ans de Vitalic, j’ai pu faire des erreurs, je le reconnais tout à fait.

Tu as eu quarante ans cette année, est-ce que tu sens pointer la fameuse crise de la quarantaine ?

J’adore mes 40 ans. J’ai plus fait une crise de la trentaine, où j’ai cru que tout était fini. À 20 ans, je ne savais pas trop où je serai vingt ans plus tard. Je trouve que j’ai beaucoup donné, mais j’ai beaucoup reçu donc ça s’équilibre dans le positif. Même s’il faut se construire une carapace parce que parfois, ce n’est pas toujours très gentil…

Tu as toujours voulu faire de la musique ?

La première fois que j’ai entendu de la musique électronique, cela devait être “Chase” de Giorgio Moroder ou l’album des Sparks No.1 In Heaven sans savoir que c’était Moroder qui avait produit. C’était des trucs qu’écoutaient mes parents. Comme Jean-Michel Jarre, je jouais à me faire peur en écoutant dans le noir son album Oxygène. Je me souviens d’avoir demandé à mes parents: “Quelle sera la musique du futur ?” Et ma mère de répondre : “Ce sera la musique avec des synthétiseurs.” Et je me suis dit que c’était absolument ce que je voulais faire.

C’est après avoir vu les Daft Punk à l’Anfer à Dijon que tu t’es vraiment lancé ?

Oui, c’était en 1995. Je commençais en avoir marre de la trance et des boucles acid, il commençait à y avoir des morceaux avec de la TB303 et de la cornemuse! (rires) Et là j’entends pour la première fois “Rollin’ & Scratchin’” des Daft, on sentait qu’il y avait du rock dedans et après j’entends “Da Funk” puis je vois leur live à l’Anfer. J’ai compris que c’était la direction à prendre. Mais ensuite cela a été un peu long pour percer. Je jouais énormément dans les festivals techno hardcore, et je le vivais très mal, j’avais envie d’arrêter. Je me souviens d’avoir joué dans un festival, je commence par une boucle de Moroder, et ça s’est vidé d’un coup, pourtant ça tabassait. Mais c’était de la disco, et dans la salle il ne restait plus que les gens qui faisaient le ménage. Après ça, je me suis dit : ça ne va pas, il faut prendre une décision, mais le Poney EP sur Gigolo est sorti au même moment, et tout a changé d’un coup.

Est-ce que tu te reconnaissais dans ce courant électro-clash porté justement par le label International Deejay Gigolo créé par DJ Hell ?

C’était fantastique, parce que je suis passé en quelques mois de ce festival dans le Sud de la France où l’on balaye pendant que je joue des samples de Moroder à des milliers de personnes qui hurlaient quand je jouais les mêmes samples de Moroder. J’ai vraiment trouvé ma place dans cet univers chic, classe, marrant et très décadent. Il y avait aussi un côté rock où on mettait les filles en avant. J’ai pu commencer à m’amuser pour la première fois avec mon image, et les photos, comme celle avec les poneys ou les photos en costume. C’était fait à l’arrache, mais ça faisait partie du fun.

Tu vois encore DJ Hell ?

Plus trop. On a été fâché, mais aujourd’hui ça va. Le nouveau DJ Hell, c’est un peu Steve Aoki, même si l’époque a changé. Hell, dans sa tête, il était David Bowie. Il avait ce fantasme, qu’il a d’ailleurs un peu approché car c’était une icône de la mode, quelqu’un de très décadent avec beaucoup d’humour. C’était une époque super et il fallait une figure de proue comme lui, sinon cela n’aurait peut-être pas fonctionné. Mais derrière les artistes qui portaient tout cela artistiquement et nancièrement, les autres étaient peut-être un peu laissés pour compte. Et j’ai rapidement volé de mes propres ailes.

Pendant longtemps tu es resté à Dijon, cela a été important pour toi ?

Je pense que ça m’a aidé, pourtant c’était fastidieux de rentrer la semaine dans ma cabanne dans la forêt, mais être un peu en dehors du mouvement m’a permis de ne pas péter les plombs et de continuer de faire une musique à part. À l’époque, tout le monde avait envie d’aller à Berlin, j’y ai pensé, mais je n’étais pas prêt.

Ton label Citizen Records existe encore ?

On a eu vraiment de beaux succès, mais aujourd’hui c’est en sommeil, pourtant j’ai envie de recommencer, de revenir avec quelque chose de plus affirmé, sans cette dimension un peu gentillette qu’avait Citizen. J’aimais vraiment partir en tournée avec tout le crew, et j’aimerais vivre à nouveau cela. C’est quelque chose de très plaisant d’amener en soirée quelque chose d’unique qui nous appartient. C’est le but, pas de vendre des dizaines de milliers de copies.

Pendant la tournée Flashmob, le public était totalement hystérique. Qu’est-ce que l’on éprouve lorsque sa musique crée une telle sensation ?

Ce n’était pas le cas au début, c’est arrivé au bout d’un an, mais c’était dingue. Comme à Nuits Sonores, où les mecs grimpaient sur des poteaux. Souvent, on a dû arrêter le live parce que les gens étaient perchés sur les structures, on avait des invasions de scènes aussi.

Tu as un lien fort avec la scène…

J’ai commencé par le live bien avant de sortir des disques, parce qu’il y a quelque chose de très fragile au moment de tourner son bouton ou de changer de séquence. J’adore ces moments où ça tient à trois fois rien, quand je modifie quelque chose sur la table de mixage. Même des pannes font partie de l’adrénaline du live.

Ce qui veut dire qu’il y a une prise de risque dans tes lives…

Bien sûr. J’ai démarré la tournée actuelle à Lausanne par une panne midi, je n’avais plus de basses pendant une dizaine de minutes. J’ai lu un commentaire qui disait : “Le live est complètement faux, mais il y a eu une panne Midi.” Ah, on ne peut pas dire ça : ça ne va pas ensemble. (rires) Certains morceaux sont proches du disque, mais il n’empêche qu’ils sont joués en live. Quand je peux m’éloigner du disque, je le fais, mais il faut que cela serve à quelque chose. Il n’y a que “La Rock 01” qui est enregistré. Il est impossible de le reproduire en live, car j’ai perdu le disque dur du sampler. Pour mon nouveau live, je n’ai plus de musiciens, je suis seul avec cinq synthés sur scène. Je voulais m’en tenir à quelque chose de très cosmique et disco, et même visuellement, ça raconte la même chose que Voyager.

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