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MCDE @ Concrete, 2016 / ©Rémy Golinelli
11 juin 2020

« Je me souviens… » de Dehors Brut, Concrete, Weather Festival

par Sylvain Di Cristo

Dehors Brut, Concrete, Weather Festival… L’agence Surprize, vaisseau-mère de ces mastodontes de la nuit parisienne, n’est plus. Une page de la musique électronique française se tourne, faisant dans son sillage resurgir un flot de souvenirs. Nous en avons récolté quelques-uns d’artistes qui ont pu vivre l’aventure de l’intérieur, de membres de l’équipe ou du public, de personnalités du monde de cette nuit pour qui les événements de Surprize furent décisifs dans leur propre parcours, dans leur vie. Ils se souviennent…

Closing de Concrete en 2019

Flore (artiste)

« Je me souviens d’avoir été booké à Dehors Brut pour ouvrir le bal en octobre dernier, avant deux artistes que j’adore, Overmono et Zadig. La première agréable surprise : l’accueil. Une équipe vraiment chouchou, au petit soin avec ses invités. Sur Paris, ce n’est pas toujours le cas ! J’étais montée [Flore habite à Lyon, ndr] pour la Boiler Room et j’avais beaucoup aimé l’expérience en tant que public. Le sound system suspendu, la sensation d’immersion dans le son et la scénographie différente de d’habitude, où tout le monde n’a pas les yeux rivés sur le DJ, ça change l’ambiance sur le dancefloor, les gens se retrouvent en petits îlots entre potes, les uns avec les autres. Bref, c’était complètement unique, je n’avais jamais vu une configuration pareille ailleurs. J’avoue que j’étais assez curieuse aussi de jouer dans ces conditions, aussi bien d’un point de vue technique qu’en terme d’ambiance. Franchement, c’était le kiff. J’ai joué deux heures mais j’aurais pu facilement faire le double. J’ai quitté les platines devant un dancefloor bien plein (à 2h du matin) et un public franchement enthousiasmé par le set que je venais de faire. Pour moi, le succès de Surprize, c’est ça, avoir toujours cherché à ouvrir les oreilles de leur public alors que beaucoup, assis sur leur succès, auraient joué la carte de la facilité. L’équipe prenait soin de placer leurs artistes coup de cœur, c’est assez rare de voir un club qui a presque une démarche éditoriale de leur line up. On sent que derrière, il y a des gens qui écoutent de la musique, qui ne cherchent pas à coller aux hits du moment. Et dernière chose appréciable, ils ont fait un vrai effort sur leur programmation, en étant vigilant quant à la présence d’artistes féminines sur leur line ups. »

Kambiz Moghaddam (fondateur d’Open Minded, Sierra Neon)

« Je me souviens d’un des moments les plus marquants de l’histoire de Surprize, lors du second Weather Festival, au Bourget. Que ce soit l’ambiance ou le plateau, c’était tellement intense que je me rappelle m’être allongé sur le bitume de la scène de gauche pendant le set de je-ne-sais-plus-qui, il pleuvait des cordes et on était là, allongés, à regarder le ciel, et la minute d’après le soleil se levait et tout le public sortait du hangar pour regarder ce lever du jour. Je crois n’avoir jamais ressenti pareille osmose dans aucun autre événement (et j’en ai fait). »

« Voilà comment j’ai failli me faire casser la gueule par Moodymann en pleine teuf, dans le booth » – S3A

S3A (ex-DJ résident de Concrete)

Je me souviens, on est en août 2015. Je suis en train de jouer depuis trois heures, il est bientôt 15h et Moodymann doit prendre les platines. Je le vois arriver à l’arrière du bateau, du coup je commence à adapter mon set. L’équipe de l’accueil artiste lui propose à boire et je le vois préparer un sandwich 100% ail et fines herbes, gros comme un bras de bébé… Pete vient me voir et me dit que vu la taille du sandwich, il va avoir un petit peu de retard pour commencer, le temps de digérer. Je le vois rester à l’arrière quelques minutes avec ses « Moodymann girls » puis il décide de venir dans la cabine. Il vient me voir, me tape sur l’épaule en me disant : « Very good music man ! » J’étais flatté… Et je continue à passer des disques en attendant qu’il se décide à prendre les platines… Lui, semble profiter de la musique, derrière moi dans le booth. Pete me dit : « Mets encore cinq disques, il digère », du coup je remonte d’intensité sur le disque suivant pour éviter tout temps mort… Durant ce disque, je me retourne et Pete me dit finalement : « Non, mets-en plutôt deux », et vingt secondes plus tard Moodymann se tenait juste à côté de moi, à dix centimètres, prêt à enchaîner. Très respectueusement, je commence à me retirer, je range mes disques et mon casque. Il ne reste qu’un seul track en train de tourner sur la platine. Il branche son casque, met son premier disque en pause et attend… Croyant bien-faire, je ralentis mon dernier disque pour éviter un trop grand écart (comme on fait souvent lors d’un changement de plateau pour ne pas « savonner la planche »). Et là, soudainement, changement d’ambiance : il me regarde fixement, me met la main sur l’épaule à la base du cou, et me serre très fort entre son index et son pouce. En mode pression ! Il me dit : « Would you mind letting me DJing, please? » J’étais tétanisé de peur, je n’ai rien pu répondre ! Je me suis pressé d’obtempérer. Je me suis reculé et l’ai laissé faire en lui disant : « Of course, of course! » Et voilà comment j’ai failli me faire casser la gueule par Moodymann en pleine teuf, dans le booth ! Tout ça sur un malentendu parce que je croyais bien faire. Avec du recul, je garde un énorme souvenir de cette journée, et un gros sourire de ce moment-là. Mon mix avait bien fait le taf et j’étais resté toute la journée parce que le son avait été parfait tout au long de la fête. J’ai eu l’occasion de le recroiser et depuis et il ne m’en tient pas du tout rigueur, je pense que c’était le sandwich qui parlait ! C’était un autre excellent souvenir de Concrete.

Moodymann à Concrete, après le set d’S3A / ©Rémy Golinelli

Benjamin Charvet (co-fondateur du site d’actualité musicale Dure Vie, directeur artistique du Badaboum)

« Je me souviens d’un dimanche à Concrete… C’est drôle mais l’histoire de Dure Vie a commencé là-bas. Ce jour-là, on prend en photo nos têtes pitoyables sur la barge, mais pitoyables de bonheur. On était jeune, on aimait énormément sortir et on avait découvert Berlin deux ans avant, à nos 16 ans. Ce dimanche, on s’est senti comme en Allemagne, libre, heureux, avec de la bonne musique, un public super enthousiaste, une atmosphère particulière. Ce dossier de photos, on décide de l’appeler « Dure Concrete ». Puis le mois d’après, on enchaîne une Concrete avec un Andrés en feu, une journée mémorable. On rentre au petit matin avec ma meuf et Mazen de Dure Vie, et on s’enferme à moitié en after dans mon appartement. On décide de monter quelque chose autour de la musique électronique, ces dimanches nous ont donné envie d’en faire notre métier. Mais ça nous paraissait être un rêve lointain, chacun avait son boulot à côté. On a regardé l’album photo « Dure Concrete » et le nom « Dure Vie » est tombé comme une évidence, pour un blog musical qui adoucit la vie des gens en musique. Aujourd’hui, cette société nous fait vivre de notre passion. Donc Surprize, merci de nous avoir inspiré. J’ai envie de laisser un mot particulier à Brice, Pete, Marlo et Mouloud qui nous ont donné notre chance au Malibu Club, quand personne ne croyait vraiment en notre projet. »

François X (artiste)

Je me souviens que tout a commencé pour moi en mars 2012, sur une certaine barge non loin de la Gare de Lyon… Cette première soirée a été l’élément déclencheur de mon « aventure Concrète » où j’ai pu rencontrer mon équipe de samouraïs électroniques. Huit ans déjà… J’ai beaucoup de souvenirs mémorables, que ce soit sur le bateau ou les festivals Weather. Deux moments forts sur le bateau me viennent à l’esprit : un b2b magique avec Antigone lors d’un anniversaire peu de temps après les attentats du Bataclan où le bateau a failli couler à cause de cette frénésie collective et ce besoin de vivre après un événement aussi déroutant que marquant. Et surtout ce magnifique closing qui se termina six heures plus tard l’heure annoncée, avec les yeux de Brice plein de larmes (c’était beau de te faire chialer avec ma musique !) Deux moments chargés d’émotions qui resteront gravés à tout jamais dans mon esprit. Surprize c’était aussi les Weather Festival, ces premiers « gros festival » qui m’ont permis de jouer devant 20 000 personnes, une expérience orgasmique (Weather hiver et été 2015). Mais pour moi, Concrète, ce sera à jamais une famille d’artistes, de passionnés, de défenseurs d’une nuit parisienne qui finit par être acclamée et portée en étendard à travers l’Europe, et surtout un public que j’aime tant. Une page se tourne, la nostalgie embrume mes pensées mais mon cœur est à jamais empli de souvenirs inestimables. »

Brice Coudert, DA de Surprize, en larmes

Adrien Betra (fondateur)

« Je me souviens du chemin de croix quand il a fallu monter Surprize. J’ai dû galérer trois semaines pour déposer les statuts. J’étais plutôt fier de mon résultat, mais quelque temps plus tard on a eu la chance d’avoir un vrai comptable qui a dû tout reprendre. Là j’ai compris de l’intérêt d’avoir un bon comptable. Quand on a commencé avec Aurélien, on n’avait même pas de quoi se payer un bureau. Un ami nous a prêté son appart à Abbesses. On arrivait le matin quand il partait travailler, on aménageait notre bureau dans le salon avec quatre tréteaux, deux planches. Le soir on rangeait tout avant qu’il rentre du taf. La première teuf qu’on a faite, c’était à la Machine du Moulin Rouge. On avait vu grand avec Aurélien (propulseur de cotillons, sculpteur de ballon, décors, 10 DJs…). On avait créé des t-shirts pour des filles genre ‘les Surprizettes’ avec marqué dessus ‘Surprize’ devant et derrière. Ce n’était peut-être pas du meilleur goût, heureusement elles les ont enfilés tellement rapidement qu’elles n’ont pas dû lire la phrase inscrite au dos. »

Faustine (habituée)

« Je me souviens du jour de l’an 2011 à Concrete. Le DJ-booth était à cette époque à l’opposé de là où il est actuellement, et il y avait encore des barrières devant. C’était un beau bordel organisé ! Nous étions contents d’avoir un tel événement sur Paris, pas besoin d’aller à l’étranger. L’after du Weather Festival 2015 sur le bateau, nous pensions juste passer y faire un tour et nous sommes finalement restés toute la journée ! Les gens étaient fatigués et malgré le line-up incroyable, c’était très peu rempli. Du coup, il y avait eu une très bonne ambiance pour cette journée d’after et tout le monde avait fini avec le sourire sur quelques pas de danse : danseurs et DJs, organisateurs et barmen. Un b2b légendaire entre Lowris et Lamache en juin 2016. La soirée s’annonçait gentille, une Concrete gratuite, avec seulement le woodfloor ouvert, une fin prévue pour 2 h. En travaillant le lendemain, cela paraissait presque raisonnable. Mais ce set était au final tellement bien que je me suis retrouvée sur le woodfloor pour la fermeture qui s’approchait plus des 4 h du matin que des 2 h. Personne n’avait osé arrêter cette Concrete car la magie avait opéré, les orgas dansaient au lieu de couper le son. »

Fabrice Desprez (agence Phunk, responsable médias)

« Je me souviens du premier Weather à Montreuil, rave géante aux conditions apocalyptiques. Je me rappelle la fin du set des Roumains Arpiar qui jouent en dernier track au petit matin ‘Graphite – Pure’ avec la condensation qui tombe du plafond et cet hallucinant mélange de gens débraillés, déchaînés et heureux, grand moment d’amour collectif. Mention spéciale aux deux-trois mois à la Sira (Asnières) début 2013 pendant les travaux sur la barge, une vraie bulle de rave industrielle bien moite, souvenirs de Ben Klock en bas en mode dantesque béton, et de Jus-Ed en haut pendant des heures, le truc récent à Paris qui se rapproche le plus des années Mozinor selon les ‘anciens’. Plus généralement je me rappelle avec émotion l’émergence d’une nouvelle scène issue d’une nouvelle génération avec ses codes, ses réseaux, ses préoccupations, ses façons de communier aussi en ligne. Tout ce que certains défendaient assez confidentiellement et dans une relative indifférence depuis longtemps était en train d’exploser et de captiver une nouvelle et nombreuse génération. Sans compter l’ambiance générale de blagues, de partage d’amour, de WTF, de redescente voire de drague, qui rappelait un peu les grandes heures des petites annonces de Libé 30 ans plus tard en version techno en ligne. Par la suite le fameux groupe Facebook Weather Festival Music (et son équivalent ‘alternatif’ Pas-Weather Festival Music) a pérennisé le truc. »

Mouloud Ourabah (ex-community manager et ex-stage manager à Concrete)

« Je me souviens de la deuxième fois où Marcel Dettmann a été booké chez nous en mars 2013. Il avait gardé un souvenir mémorable de sa première sur le bateau et voulait absolument y rejouer. Mais il y avait un hic, le bateau était en travaux donc on avait donc du déplacer la teuf à la Sira à Asnières. Il n’a pas hésité à nous exprimer sa déception quand on lui a fait savoir qu’il ne rejouait pas à Gare de Lyon. De plus, il était prévu qu’il joue de 21h à minuit. Il fallait tout mettre en œuvre pour qu’il se sente bien.  On ne lui a pas laissé de temps mort, dès que sa coupe de champagne était vide, on la remplissait aussitôt. Résultat des courses : on a fermé à 4 h du mat’ et il ne voulait plus s’arrêter. Juste après le 13 novembre 2015, un dimanche avec le label Drumcode. En cours de journée, on a reçu un message de Dave Clarke qui devait se rendre à Amsterdam, mais qui finalement a décidé de venir à Paris pour nous apporter son soutien. Comme prévu, il est venu, il s’est proposé de jouer gratuitement, et comme Alan Fitzpatrick a annulé sa venue, l’occasion était rêvée. Il a juste demandé qu’on lui paye des verres et un taxi. Je me souviens de kids qui me demandaient qui était ce mec et où était Fitzpatrick. Ma réponse était : ‘Attends, tu vas voir.’ En effet, ils ont vu. Il a joué et a cassé le club, les gens étaient fous. Au moment de se dire au revoir il nous a expliqué que toute sa vie il s’est battu contre toutes formes de fascisme et que malgré tout ce qui peut se passer, ‘The Show must go on’. »

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