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© Louise Mason
3 octobre 2024

Joe Goddard : « Londres est devenue une ville très riche » | INTERVIEW

par Tsugi

Il y a vingt ans sortait le premier album de Hot Chip, début d’une carrière musicale riche et dense pour Joe Goddard, le cofondateur du groupe. À l’heure de publier son troisième album solo, l’Anglais a accepté de jeter un coup d’œil dans le rétro et d’évoquer ses années collèges, le clubbing londonien et son expertise de DJ de mariage. 

S’il a fini par quitter Londres pour s’installer dans en maison au calme plus au sud de l’Angleterre, sur la côte, et s’il avoue moins sortir que par le passé, Joe Goddard n’en reste pas moins attaché à la culture club et à la dance music. Harmonics, son réussi troisième album solo, qui sort sept ans après Electric Lines, n’en fait pas mystère. Une constante que l’on retrouve de toute façon sur tous ses projets. De Hot Chip, le groupe éléctro-pop qu’il a lancé au lycée en compagnie d’Alexis Taylor, à N’Dekho, duo afro-bass initié il y a un an avec le guinéen Falle Nioke, en passant par The 2 Bears, Hard Feelings ou son label Greco-Roman, on peut toujours apercevoir le scintillement d’une boule à facettes et entendre au loin le vrombissement d’un sound system sur un des disques dans lesquels le nom de l’Anglais apparaît. Une appétence pour la musique dansante qui l’aide sans doute à avoir le regard toujours tourné vers l’avenir: à bientôt 45 ans, il ne désespère pas de sortir un jour son premier morceau jungle.

 

Lorsqu’on écoute ta musique, il est évident que la culture club a de l’importance pour toi. Te rappelles-tu ta première fois en club ?

« Je ne suis pas sûr de me souvenir de l’exact premier club où je suis allé, mais mon introduction à la musique de club tient à un gars de ma classe qui était à fond dans le hardcore et la jungle. Il avait acheté des platines, des lumières, des lasers et une machine à fumée, qu’il avait installés dans sa chambre. On y allait le week-end. Ça a été un peu ma première expérience de clubbing. C’est aussi chez lui que j’ai appris à mixer. Mais mon premier souvenir marquant, ce sont les soirées Metalheadz qu’organisait Goldie le dimanche au Blue Note à Londres. J’avais 17 ans, j’y allais avec Alexis et Owen, deux des futurs Hot Chip avec lesquels j’étais à l’école.

 

Qu’est-ce qui te donnait envie d’aller en club?

On ne prenait pas de drogues à ce moment-là. C’était vraiment pour profiter de la musique. J’étais à fond dans la drum’n’bass, notamment sur les premiers disques de Photek. D’ailleurs je ne comprenais pas pourquoi les gens avaient tant d’énergie à 3 heures du mat’ ! (rires) Mais je trouvais l’ambiance incroyable. Et la puissance du sound system, écrasante ! Ça ressemblait à un nouveau monde étrange que je ne comprenais pas complètement, mais qui m’excitait beaucoup. A cette époque, on allait aussi au Bar Rumba, le jeudi pour la Movement, une autre fête drum’n’bass, et le lundi à That’s How It is, les soirées de James Lavelle et Gilles Peterson. J’étais branché jungle, hip-hop, rare groove, plus que house. C’est plus tard, quand je suis allé à l’université, vers 1999-2000, que je me suis mis à sortir dans des soirées house et garage.

 

Pourquoi n’as-tu d’ailleurs jamais sorti de morceau jungle ?

Oui, en effet, on peut se le demander! (rires) En fait, je n’ai jamais su comment produire de la jungle qui sonne vraiment bien. L’un de mes meilleurs amis est un producteur de drum’n’bass, Fracture, et je respecte énormément son boulot. La façon dont les producteurs jungle peuvent mixer les basses, je ne sais pas faire. Mais j’essaie encore d’apprendre. Ce matin, j’étais justement en train de travailler sur un morceau un peu garage. Je voudrais qu’il ait des infrabasses jungle. Ça fait des mois que je suis dessus, ça me rend dingue!

 

En parlant d’apprentissage, tu as été au collège et au lycée à la Elliott School, connue pour avoir eu comme élèves toi et les membres de Hot Chip, mais aussi Four Tet, Burial, et un peu plus tard The xx. C’était une école spécialisée dans la musique?

Non, même pas. Ce n’était pas non plus une école sélective. Ma mère m’y avait inscrit parce que ce n’était pas loin de chez moi, dans le sud de Londres, et qu’elle avait été séduite par le cadre. Mais à l’époque où nous y étions, il y avait un très très bon groupe de professeurs, très libéraux, très inspirants. On se sentait libres de faire ce qu’on voulait, d’être créatifs. Je n’ai même pas étudié la musique là-bas. En revanche, si on voulait former un groupe et répéter, le département musique de l’école te donnait un espace et du matériel. C’est là qu’on a commencé à donner les premiers concerts de Hot Chip. C’est aussi là que j’ai découvert plein de vinyles à Kieran (Hebden, alias Four Tet, ndr) qui était tout le temps fourré dans les magasins de disques autour de l’école.

 

Ensuite, tu es allé à la fac, donc.

J’ai d’abord pris une année sabbatique, pendant laquelle j’ai fait beaucoup de musique avec Alexis, puis je suis allé à l’université, à Oxford, où j’ai étudié l’histoire. Mais j’avais l’habitude de faire des allers-retours à Londres pour aller à fabric. D’ailleurs, on avait eu des billets pour la soirée d’ouverture de fabric, une grosse soirée jungle. On est restés coincés dans la queue pendant deux heures. Ils avaient vendu trop de billets, on n’a jamais pu entrer! (rires)

 

À cette époque, tu envisageais déjà une carrière dans la musique?

Oui, clairement. Alexis et moi étions très sérieux à propos de Hot Chip, on passait beaucoup de soirées après les cours à composer de la musique ensemble. J’apprenais comment utiliser un ordinateur pour faire de la musique sur Cubase. Et quand on a fini nos études, on a continué plus sérieusement, on a commencé à donner des concerts régulièrement. On a dû finir la fac en 2001 et on a sorti notre premier album Coming On Strong en 2004.

 

Dans le groupe, c’est toi qui poussais vers la dance music?

Oui, on peut dire ça. Alexis était dans des trucs comme New Order, des choses plutôt dansantes donc, mais pas trop dans le garage ou la house. J’ai été aussi le premier à m’intéresser au label DFA. J’aimais beaucoup  « House Of Jealous Lovers » de The Rapture et « Yeah » de LCD Soundsystem. Je trouvais ça super excitant. On est entrés en contact avec DFA et ils nous ont invités à New York. Ça a été une expérience incroyable. On est restés quelques semaines pour enregistrer, et on a failli signer sur DFA. Mais à ce moment-là, LCD a rejoint Parlophone, donc on a fait pareil, pour être sur le même label qu’eux.

 

« C’est un sentiment très gratifiant quand tu rends les gens heureux en mixant à leur mariage. » Joe Goddard

 

Au début de Hot Chip, tu étais déjà DJ de manière professionnelle?

Non, mais je jouais souvent dans des soirées chez des amis. Je jouais dès que je pouvais, en fait, l’adorais ça. Je me suis professionnalisé en tant que DJ plus tard, quand j’ai lancé mon label Greco-Roman (en 2007, ndr) et qu’on a commencé à organiser des soirées.

 

Où en est Greco-Roman ? Il y a beaucoup moins de sorties depuis quelques années.

Greco-Roman continue, il y a quelques sorties de prévues, dont le premier album de Findia, une artiste qui est sur mon album. Mais c’est compliqué de diriger un label aujourd’hui. On a dépensé beaucoup d’argent sur des disques, et on en a souvent perdu. Et puis tous les gens qui travaillent sur le label font autre chose à côté, on ne peut plus y passer autant de temps.

 

Un label, ça a toujours du sens à l’heure du streaming?

C’est une question intéressante. Il y a toujours des labels que les gens associent à un standard de qualité, comme XL Recordings. Je regarde toujours ce qu’ils sortent, parce que je sais que ce sera intéressant. Même chose avec Hessle Audio. Donc certains labels ont encore de l’importance, mais c’est sûr que ce n’est plus ce que c’était. Il y a tellement de nouveaux disques qui sortent chaque semaine, ça devient très compliqué d’obtenir l’attention des gens. Parfois, je me demande pourquoi je sors encore de la musique.

 

Ce qui n’a pas changé en revanche, c’est ton goût pour la dance music. Tu continues à aller en club ?

Je suis beaucoup sorti en club à une époque, moins maintenant, mais oui, je continue à y aller, ne serait-ce que pour y jouer en tant que DJ. J’apprécie toujours d’y être, et ça m’arrive encore de sortir avec des amis pour un évènement spécifique.

 

Londres est-il toujours un bon endroit pour sortir en club ?

C’est une période un peu difficile en ce moment. La politique du gouvernement à l’encontre du clubbing est très négative. Quand on compare avec l’Allemagne, où il y a un vrai respect institutionnel pour la culture club, c’est le jour et la nuit. C’est très difficile pour les petites salles de rester ouvertes, beaucoup de clubs à Londres ont mis la clé sous la porte. Les autorités locales et la police cherchent des raisons pour les fermer. S’il y a un incident avec de la drogue ou une plainte du voisinage, ils s’en servent comme prétexte. Londres est devenue une ville très riche. Ça a toujours été prospère, mais aujourd’hui c’est comme un terrain de jeu pour les très riches. Je ne pense pas que ce soit encore la capitale culturelle que ça a pu être par le passé. Je ne veux pas non plus être trop négatif, il y a toujours de la bonne musique et des endroits incroyables, mais c’est plus difficile. Quand j’avais la vingtaine, il y avait plein de clubs dans le centre de Londres. Il y en a très peu maintenant.

 

À lire sur Tsugi : Tsugi Podcast 473 : Joe Goddard x Greco-Roman Soundsystem

 

J’ai lu dans une interview que tu aimais faire le DJ dans les mariages. « C’est là que mes goûts sont le plus appropriés », as-tu même déclaré. Ça t’arrive souvent de le faire ?

De temps en temps, oui. J’ai joué à tous les mariages de mes amis et il m’arrive même d’être booké par des gens que je ne connais pas. C’est parfois un peu pénible de jouer des vrais hits de mariage, en revanche ça reste quelque chose d’assez particulier d’arriver à réunir sur un dancefloor des groupes de gens très différents, jeunes et vieux.

 

Et c’est finalement sans doute plus difficile que de jouer dans un club où le public est venu te voir.

Oui, c’est vrai ! Et c’est un sentiment très gratifiant quand ça marche et que tu rends les gens heureux. J’en ai encore fait un il y a quelques mois. Un couple très sympa qui m’a demandé de jouer à son mariage. Des fans de ma musique. Ils m’ont contacté via mon manager. La soirée fut très agréable, très joyeuse.

 

Tu as beaucoup de projets: en solo, avec Hot Chip, des collaborations avec d’autres artistes, des mariages donc… Que fais-tu lorsque tu ne fais pas de la musique ?

J’ai commencé la peinture a spray. J’ai une pièce chez moi où je peux en faire. J’adore ça. Et je cuisine beaucoup. Je suis obsédé par ça. Suivre les recettes, comprendre la culture gastronomique… Je viens de voir ce film merveilleux, La Passion de Dodin Bouffant, avec Juliette Binoche. Ça parle de la cuisine française classique du XIXe siècle, type Escoffier. Tout au long du film, on voit des gens cuisiner, c’est fantastique ! J’aime cuisiner tout type de cuisine, espagnole, française, vietnamienne… Je trouve qu’il y a des similitudes avec le fait de produire de la musique. Il faut penser aux ingrédients que tu vas utiliser pour ton plat et essayer de les mélanger à la perfection en faisant attention au dosage. J’aime beaucoup l’idée de mélanger des éléments de la bonne façon.

 

C’est toi qui cuisines à la maison ?

Ma femme aussi, mais j’aime bien cuisiner pour tout le monde. Mes enfants, qui ont 12 et 13 ans, n’apprécient pas toujours mes plats autant que je le voudrais, mais j’essaie de les intéresser, de les faire participer.

 

Ils s’intéressent à la musique ?

Oui. Mon fils vient parfois m’aider quand je travaille sur un morceau, il me suggère des mélodies en les chantant. Ma fille danse beaucoup et m’aide à écrire des paroles parfois. Nous avons même monté un petit groupe familial! On commence à faire de la musique ensemble.

 

Pas de bataille sur la musique à écouter à la maison, donc ?

Je veux respecter leurs goûts, alors je joue leur musique, mais parfois c’est dur, ils me demandent des trucs pop horribles qu’ils ont entendus sur TikTok. Mais globalement, ça va, ils ont de bonnes suggestions. Mon fils aime beaucoup Nirvana. Ils sont aussi très fans de Taylor Swift. Donc on en écoute beaucoup. Bon, un peu trop à mon goût, je dois avouer! (rires) »

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