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LCD Soundsystem à Londres, symbiose religieuse et retrouvailles de vieux amis

Il y a les rési­dences de Céline Dion ou Elvis à Las Vegas. Et puis il y a celle du groupe new-yorkais LCD Soundsys­tem à Lon­dres. Du 27 juin au 3 juil­let, le col­lec­tif a don­né six con­certs d’ex­cep­tion à l’O2 Acad­e­my Brix­ton pour célébr­er “leurs 20 ans de groupe de rock”. On y était le 1er juil­let, et on vous raconte. 

19 h 30, les pubs du quarti­er art­sy du sud de Lon­dres, Brix­ton, sont plein à cra­quer. “Mon pote était au con­cert hier et ils ont com­mencé à jouer à 9 h”, explique à ses amies une jeune femme à la veste au motif tar­tan. Bières à la main, la foule com­mence à se met­tre dans l’ambiance du show qu’elle s’apprête à voir : LCD Soundsys­tem à l’O2 Acad­e­my Brix­ton à Lon­dres. Car per­son­ne n’est dans ces bars par hasard. Chacun•e a batail­lé, quelques mois plus tôt, pour voir ce groupe mythique — si rare sur scène depuis leur ref­or­ma­tion en 2015- , acteur de l’exaltation musi­cale du début des années 2000 à New-York. D’ailleurs à peine 20h30 sonne, qu’une masse se des­sine en direc­tion de la salle de con­cert. Elle passe devant l’entrée du bâti­ment, mais ne s’arrête pas. L’affluence est telle que la queue encer­cle le bâti­ment. Les têtes ahuris­sent devant l’interminable file d’attente. Pour­tant, tout le monde le sait : les six dates du groupe à l’O2 Acad­e­my Brix­ton sont com­plètes. Et ce n’est pas faute d’avoir ajouté deux dates sup­plé­men­taires pour partager avec le plus grand nom­bre leur vingtième anniver­saire. Ce n’est plus Céline en rési­dence à Las Vegas, mais LCD à l’O2 Acad­e­my Brixton.

Roméos discos

Heureuse­ment pour nous, la file avance vite. Mais à peine a‑t-on le temps de ren­tr­er dans le large hall de l’O2 Acad­e­my, que résonne der­rière les portes de la salle la basse groovy de “Us V Them”. La jeune femme à la veste en tar­tan nous l’avait dit, James Mur­phy et sa troupe com­men­cent à jouer à 9h… pas d’ex­cep­tion. On s’engouffre alors — avec le reste de la foule, en remuant tête et bras — dans ce ham­mam roman­tique qu’est l’O2 Acad­e­my Brix­ton. Hamam, car si le show vient à peine de com­mencer, la tem­péra­ture avoi­sine déjà les 100 degrés. La salle est pleine à cra­quer. Et du bar — les brits ne per­dent pas le nord — au bal­con, à la fos­se, le pub­lic agite ses mem­bres. Roman­tique, parce que la scène de l’O2 Acad­e­my Brix­ton a des allures de châteaux ital­iens. Une grosse boule à facettes — illus­tra­tion de la pochette du pre­mier album de LCD Soundsys­tem et sym­bole choisi pour célébr­er leurs vingt ans — sur­plombe le groupe ren­voy­ant sur la foule les reflets des jeux de lumières. Le col­lec­tif devient notre Roméo dis­co rock de la soirée.

Cha­cun tente de s’approcher au plus près de la scène, nous de même. Enfin on aperçoit Mur­phy et son fameux micro à face plate. Démarre alors, “I can change” et le pub­lic, enfin à peu près instal­lé, chante en choeur les paroles : “Tell me a line, make it easy for me, open your arms, dance with me until I feel all right…” Puis ça sera au tour de “You want­ed a hit” de faire vibr­er la salle. Mais le morceau qui allumera vrai­ment les fans et libér­era les corps n’est autre qu’une ver­sion nerveuse de “Daft Punk is play­ing at my house.  “Han han han !” ou plutôt “Po po po !” selon les cris de la foule. Soudain un puits de lumière illu­mine James Mur­phy. C’est l’heure du break iconique du titre à la son­naille. Et son per­cus­sion­niste de lui répon­dre, lui aus­si éclairé le temps d’un instant. Le pub­lic exulte.

Symbiose sacrée

On ne va pas vous men­tir, pen­dant deux heures — oui deux heures — les tubes dance rock s’enchaînent (“Loos­ing my edge” pimen­té par les repris­es “Robot Rock” de Daft Punk ou “Don’t go” de Yazoo, “Home” joué dans la pénom­bre, la foule seule­ment éclairée par la boule à facettes, “Some­one Great”…) Et puis au bout d’1h30 de con­cert James Mur­phy lance, en toute sim­plic­ité, comme à des vieux potes (on a l’impression de l’être le temps de la soirée):  “On a besoin d’une petite pause pipi, on revient vite pour jouer quelques chan­sons en plus, ne partez pas où vous man­querez la fin”. Mer­ci, Mur­phy, nous aus­si on a besoin d’uriner, ou plutôt de repren­dre nos esprits quelques instants, car après avoir autant tran­spiré dans cette four­naise, l’envie nous est passée.

Dix min­utes et voilà la joyeuse bande de retour. James Mur­phy en prof­ite pour se con­fi­er, dire au pub­lic qu’il est génial, que l’énergie est super. Le genre de trucs que les artistes dis­ent tous les soirs mais qui nous fait nous sen­tir à part. Il ajoute même : “Je n’aime pas les grandes salles, je préfère celles de cette taille. C’est pour cela qu’on joue six dates pour vous”. Et là, on vous avoue qu’on se sent vrai­ment uniques, aimés par l’artiste adulé. Quoi de mieux alors de repren­dre cette sec­onde par­tie par une déc­la­ra­tion d’amour ? Les pre­mières notes au piano de “New York, I Love You But You’re Bring­ing Me Down” résonne, le pub­lic s’anime mais James Mur­phy fait dur­er l’introduction. Il est d’humeur bavarde. Enfin il chante le pre­mier cou­plet : “New-York I love you, but you’re bring­ing me down, like a rat in a cage, pulling min­i­mum wage”. Mais tou­jours au ralen­ti comme pour ral­longer le moment, ou jouer avec la foule. Et puis le morceau est lancé. Les amoureux•ses s’embrassent, les ami•es s’enlacent, et la foule hurle. Une sym­biose presque religieuse. C’est l’expression du lien sacré entre le pub­lic, l’artiste et sa création.

Un groupe rassembleur

L’apothéose n’est cepen­dant pas encore atteinte. LCD Soundsytem enchaîne avec le très atten­du “Dance Yrself Clean” et ter­mine ce con­cert incroy­able avec “All My Friends” (comme quoi on est vrai­ment leurs amis depuis vingt ans main­tenant). “Oh yeah, c’est le piano !”, lâche un fan. Oh oui, c’est la ligne de piano qui va nous ren­dre tous et toutes folles, et surtout nous rem­plir de joie pour le reste de la soirée. L’O2 Acad­e­my Brix­ton vibre, les “oh oh oh”, doivent réson­ner jusqu’à l’extérieur. “Where are your friends tonight? If I could see all my friends tonight”. Et les lumières s’éteignent. Le groupe quitte la scène.

On regarde alors autour de nous avant que la salle ne se vide. Et on se rend compte de la force de la musique de LCD Soundsys­tem. Elle touche et rassem­ble autant les fans de la pre­mière heure de cinquante ans, qui ont vu évoluer le groupe, que ceux et celles qui pour­raient être leurs enfants et qui ont gran­di avec leur musique. Tous et toutes ont les yeux qui bril­lent, tous et toutes ont tran­spiré et dan­sé. Pas une seule per­son­ne n’est restée sta­tique, pas même au bal­con. Tous et toutes ont l’impression d’avoir vécu un moment unique. Un cou­ple s’allonge sur le sol rem­plis de gob­elets vides. Dans leurs regards, on peut lire toute l’allégresse qu’il et elle vien­nent de vivre. “C’était claire­ment d’un autre niveau”, résume notre amie à la veste au motif tar­tan. On est bien d’accord avec elle, et on a du mal à croire que le groupe new-yorkais avait déjà joué deux dates à Lon­dres, tant il a été généreux avec nous. Deux heures de con­certs passées en dix minutes.

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