Skip to main content
31 juillet 2017

KOKOKO! Electro-débrouille à Kinshasa

par Tsugi

Né de la rencontre à Kinshasa entre Makara, Dido, Boms, Bovic et le Français Debruit, Kokoko ! incarne la révolution artistique qui a lieu dans les rues de “Kin”, la capitale congolaise. Rencontre au terme d’une tournée européenne.

Par Marie-Alix Detrie

Une machine à écrire. Des boîtes de conserve. Des bouteilles de détergent. Ces objets, sortis des poubelles de Kinshasa, s’entre- choquent, résonnent sur un beat régulier un peu psyché et font vibrer la foule. La batterie a l’air classique au premier regard, mais si on se concentre, on remarque vite qu’elle n’est plus si commune : les caisses claires ? Des pots de peinture. Les cymbales ? Les couvercles de ces mêmes pots. L’énergie, sur scène et dans la fosse, est palpable. Kokoko !, c’est cinq hommes habillés de jaune, arrivés tout droit de Kinshasa et qui incarnent cette nouvelle scène underground qui agite la capitale du Congo. Ni musique du monde, ni de la musique africaine, le “zagué” ou la “tekno kintueni”, comme ils l’appellent, bouscule tous les codes.

À chaque concert, c’est la même réaction: la température monte.” Ça ne manque pas. Inspirés à la fois des bruits de leur ville et de la musique occidentale qu’ils arrivent à capter depuis leur pays, pour leur première tournée en Europe, Makara (chanteur), Dido (aux cordes), Boms (le multi-instrumentiste) et Bovic (le batteur) amènent le son des ghettos de Kinshasa jusqu’à nos tympans. Dimanche 11 juin à Nîmes, alors que le soleil tape fort en fin d’après- midi, ils terminent leur tournée européenne au festival This Is Not A Love Song. Seuls quelques curieux sont éparpillés à l’ombre devant la scène pendant les balances, mais dès la première note, sur un beat électro, les sons de Kinshasa s’emparent de la parcelle nîmoise. Les visages surpris, les corps commencent à se mouvoir sur un “boum boum” familier recouvert de tonalités inconnues. Plus tard, à la fin du concert, quand Makara descend dans la foule, micro en main, pour danser avec le public, on ne voit plus le bout de la masse de personnes rassemblées autour de lui. Pour lui, c’est clair, “les gens aiment cette musique imaginaire, cette musique qui n’existe pas”.

Kokoko ! est le fruit de la rencontre l’été dernier entre Debruit, producteur français basé en Belgique, et ces amoureux de musique et de culture alternative. Boms, Makara, Dido et Bovic avaient toujours voulu enregistrer leur musique de manière plus moderne, mais le manque de matériel ne le leur permettait pas. Invité par La Belle Kinoise, une société de production audiovisuelle qui réalise depuis une quinzaine d’années des lms sur le pays, Debruit se rend au Congo pour la première fois en juillet 2016. Alors qu’ils montent un projet de documentaire autour de la scène artistique underground qui se développe dans les rues de “Kin”, Debruit est appelé en renfort. Pendant deux mois, ils font de la musique, expérimentent, sans savoir exactement ce qu’ils vont en faire. “Fin juillet, après avoir créé des morceaux ensemble, on a fait une bloc party. On est allés dans l’immeuble en construction à côté de là où on bossait. C’était une manifestation spontanée, on n’avait prévenu personne. Quand les performeurs sont arrivés, la rue a été bloquée tout de suite. Tout a pris là, c’était la folie ! Et là, le groupe était créé.

KOKOKO ! EN TOURNEE EUROPEENNE

Un an plus tard, tous les cinq se retrouvent sur les scènes françaises, suédoises, suisses et belges. À Bruxelles, ils affichent même complet. La tournée est aujourd’hui terminée, mais le projet ne s’arrête pas pour autant. Debruit reprend. “Des titres sont sortis fin juin. On travaille sur un album en ce moment pour la fin de l’année ou début 2018. La prochaine tournée, on aimerait la faire avec tous les membres de Kokoko!.” Car ce projet ne se résume pas à eux. “On est super nombreux dans Kokoko !”, lance Bom’s. Dans le groupe, il y a aussi les danseurs, les sculpteurs, et d’autres artistes qui font partie de cette même vague d’innovation congolaise. En tout cas, pour cette première partie du projet, tous sont ravis. “La tournée s’est super bien passée. Ce n’est pas évident quand même de faire une tournée, sans album, sans être connu… sans rien en fait”, reconnaît Bom’s. Mais pour ces enfants de Kin, construire quelque chose avec rien n’est après tout qu’une question de volonté.

LA MUSIQUE ÉLECTRO-MECANIQUE

Pendant les balances avant le live, Makara aide Bom’s à accorder sa guitare à une corde. Il sort son tournevis, approche son oreille, resserre la corde. Sur ces instruments, pas de repère visuel. Seulement l’oreille, l’instinct, le même instinct qui les a fait les créer. Bom’s, moto-taxi à Kinshasa, joue de sa “guitare moustique”. Debruit s’empresse de préciser: “Elle s’appelle comme ça, car quand tu tires à fond la poignée de moto mise au bout du manche, en haut ça fait ‘bzzzzzzzzz!’.” Dido, lui, n’a pas pu ramener sa guitare préférée, la Jésus Crise. Un immense instrument en forme de croix, qui lui a valu son nom, des cordes de guitare et de harpe accrochées avec de grosses boîtes de conserve. “Elle est tellement grande, on dirait plus une sculpture qu’un instrument !” plaisante Debruit. En l’occurrence, la confusion peut parfois les desservir. “À l’aéroport, on nous refuse de transporter tel ou tel instrument. On nous a dit que ce n’est pas un instrument de musique. Mais selon quels critères?”, s’agace Debruit. Résultat, Jésus Crise n’a pas pu passer les frontières françaises.

Pour ces inventeurs, tout devient un potentiel instrument. “Regarde”, lance Makara. Il soulève une canette, une bouteille, les frappe l’une contre l’autre. Son corps réagit, commence à bouger en rythme, il pousse sa voix. En l’espace de quelques secondes, le petit studio bleu insonorisé dans lequel nous nous trouvons devient une scène, un endroit où on veut se déhancher. Il continue, nous emporte, puis s’arrête d’un coup et lâche : “Tu vois, on n’a pas besoin de plus.” À Kinshasa, Makara chante six soirs par semaine dans un club. “Là, il faut imaginer l’ambiance! s’enthousiasme Debruit. Tu rentres et hop, il y a une coupure de courant. On règle le problème, on continue de danser. Tu bois ta bière, et tu vois le métal qui tombe en fusion rouge sur les câbles dans la pièce. Et on continue à faire la fête. Au début, le son est tellement fort que tu te demandes si tu vas pou- voir rester. Mais quatre heures plus tard, tu y es encore…” Makara n’est donc jamais à l’abri d’une coupure de courant. Au contraire, c’est devenu une routine, il trouve toujours moyen de faire bouger les danseurs et le public du club. “Même sans micro je travaille. Je peux prendre mon bras, le mettre dans la bouche pour chanter plus fort. Je peux prendre les canettes et les frapper l’une contre l’autre, faire des boucles, les gens suivent.” Ce fan de techno n’a pas accès aux machines depuis sa ville natale, il devient donc sa propre boîte à rythmes. Il fait des boucles de quatre ou huit temps qui peuvent parfois durer jusqu’à 40 minutes, sur lesquelles des danseurs se déchaînent. Il joue, chaque soir, entre quatre et cinq heures. “On a la musique, on a la texture, le seul truc qui nous manque, c’est l’ampli.” Avec Debruit, le problème est réglé.

UNE VILLE QUE L’ON ÉCOUTE

Quand tu arrives à Kinshasa, c’est un électrochoc. Il y a de la musique partout”. Dans cette ville de plus de dix millions d’habitants, l’art n’est pas enfermé dans des musées, mais est omniprésent. “Mon fils chante, mon voisin chante. Il y a que des artistes à Kinshasa!”, lance Makara. Depuis chez lui, il aime tendre l’oreille et imaginer ce qu’il y a en dehors de ses murs. Le son du camion du vendeur de vernis, qui tape ses petites bouteilles l’une contre l’autre, le bruit d’élastique du vendeur de cigarettes… “Kin, c’est une ville que tu écoutes.” Leur inspiration, à tous, vient de là… et d’un besoin de changement.

Après un an, 50 ans, 500 ans, 1000 ans de rumba… Maintenant ça suffit!”, s’exclame Makara. Autour de la table, tout le monde s’esclaffe. Mais comme il ne blague qu’à moitié, le sérieux revient vite. Depuis les années 30, la scène musicale de Kinshasa est dominée par la rumba congolaise et les musiques d’églises. Alors pendant plusieurs générations, rien n’a bougé. “Aujourd’hui, on a le respect de nos ancêtres, mais on a envie d’autre chose. On a besoin d’innovation”, explique Bom’s. Alors, la scène alternative se développe, avec des sculpteurs, des créateurs d’instruments, des danseurs, des comédiens… “La musique est aussi un moyen pour nous de nous exprimer sans parler”, autrement dit de contourner les interdits et les tabous très présents dans la politique de Joseph Kabila. Provoquer, faire bouger, réveiller, c’est leur objectif. Leur nom n’a pas été choisi au hasard. Coudes vissés sur la table, regard déterminé, Makara explique. “Kokoko ! en lingala signifie ‘toc toc toc’. On est sur le palier, on frappe, on nous ouvre la porte. Et là, Kokoko ! entre.

Visited 55 times, 1 visit(s) today