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© Theo Mercier & Erwan Fichou
23 janvier 2025

KOMPROMAT, messe pour le temps présent|INTERVIEW

par Tsugi

Moins sombre et même plus pop, KOMPROMAT, le duo Vitalic-Rebeka Warrior se réconforte à l’occasion d’un deuxième album très réussi baigné par des good vibrations spirituelles et amoureuses. Explications.

par Patrice Bardot

 

Article issu du Tsugi Mag n°176 : ‘Berlin, grandeur et décadence d’une capitale techno’, dispo partout 🗞️

 

On aime bien rencontrer les artistes lors de la première interview marquant un nouveau cycle. Leur langage est encore spontané, loin du déroulé automatique de la routine promotionnelle. Ils cherchent encore leurs mots. C’est touchant. Même si Pascal Arbez‐Nicolas, alias Vitalic, et Julia Lanoë, alias Rebeka Warrior, après quasiment trente ans de carrière pour le premier (premier EP sous pseudo Dima en 1996) et presque vingt pour la seconde (débuts de Sexy Sushi en 2004), ne sont évidemment plus des bleus dans l’exercice.

Lorsqu’on les retrouve début novembre dans le studio de répétition qu’ils occupent au sous‐sol du Carreau du Temple à Paris, les deux complices démarrent donc le service après-vente pour Playing/Praying, successeur de Traum Und Existenz (2019) dont la mise dans les bacs et les plateformes de streaming est annoncée pour le 24 janvier. Le premier single « I Let Myself Go Bling », lâché il y a quelques semaines, illustre parfaitement la mue réussie du duo.

Oublié l’allemand, le chant s’incarne sur tout l’album en anglais et en français. L’électronique rappeuse et sombre originelle devient plus ronde et carrément sexy. Les featurings sont nombreux : Vimala Pons, Farah, Sonia DeVille et même Rahim Redcar (anciennement connu sous le nom de Christine & The Queens, ndr). Mais si l’accessibilité record de ce second disque peut surprendre, ce n’est jamais au détriment des fondamentaux électro‐cold wave qui ont marqué un public déjà dans les starting‐blocks pour porter le couple en triomphe.

 

En témoigne une tournée déjà largement complète plus de deux mois avant la sortie de l’album. D’où cette première question.

À peine annoncées, vos prochaines dates sont complètes, alors que Kompromat a disparu depuis début 2020. Comment l’expliquez-vous ?

Rebeka : Je suis la première surprise de cet engouement. Je ne pensais pas que ce serait aussi fort. C’est complet sur la foi de l’apparition d’une seule photo de nous deux. (rires) Ça met un peu la pression.

Vitalic : Je pense qu’on a laissé un bon souvenir de live, où l’on possède notre propre vocabulaire. Un mélange de chansons pop et de grandes plages à la fois hypnotiques et brutales. Ce n’est pas très commun de voir le mélange des deux. Dans nos concerts, il y a beaucoup de machines mais aussi beaucoup d’humain.

Rebeka : C’est quelque chose aussi d’assez honnête. On n’est pas dans l’air du temps, on s’en fout totalement. On est contents de faire notre petite sauce et peut‐être que les gens sont aussi heureux de voir des artistes comme nous.

Vitalic : J’ai beaucoup aimé un commentaire sur les réseaux à la suite de notre live à La Gaîté Lyrique diffusé sur Arte.tv fin octobre. Un Espagnol a écrit : « Il faut qu’on m’explique, je ne sais pas si c’est de la techno, de l’EBM, de la disco. » Ça me fait plaisir parce que c’est exactement là où on est.

 

 

Aujourd’hui, c’est comment le live de Kompromat ?

Vitalic : On est restés sur la même technique, c’est ce qui nous convient. Beaucoup de vrais synthés pour garder le côté brutal. L’alternance de moments où on suit fidèlement le déroulé d’un morceau parce qu’il est très bien comme ça et d’autres où il y a beaucoup d’improvisation, où on ne sait pas à l’avance ce que l’on va faire. Ce sont nos moments préférés. Sur le premier live, le même track pouvait durer entre trois et dix‐sept minutes.

Rebeka : Aujourd’hui, on se connaît encore mieux, on peut se permettre d’aller n’importe où. C’est pour cette liberté que je cite comme référence un groupe comme Throbbing Gristle et que je me revendique du post‐punk. Je m’amuse de plus en plus avec ma voix, je me sens très libre, car je sais que je peux m’en remettre totalement à Pascal.

Vitalic : C’est très ludique. Parfois, on fait exprès de ne pas se regarder pour qu’on devine chacun la suite. Quand je ralentis le morceau, parfois je repars en accéléré, parfois non ou alors je redémarre à un autre tempo, c’est un jeu où beaucoup de choses ne sont pas préparées. Je crois que c’est pour ces moments‐là que les gens viennent nous voir en live. Aujourd’hui la musique live est devenue très formatée : ça sonne bien, c’est beau mais il ne se passe pas grand‐chose sur scène.

Rebeka : Oui, les accidents n’existent plus. Or nous sommes un groupe accident. C’est revendiqué. Le risque, c’est que certains soirs, ça peut être nul. (rires) Alors on se rattrape à la force des bras. Il faut assumer de se vautrer.

Vitalic : Je trouve que le nouvel album a suivi la direction des derniers live de Kompromat.
Rebeka : Oui, c’est vrai. Le point de départ de Playing / Praying est bien l’année de tournée qui a suivi Traum Und Existenz, écourtée d’une vingtaine de dates à cause du Covid‐19.

 

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Si je vous dis que Playing / Praying est un disque d’amour et de foi au pluriel, qu’est‐ce que vous en pensez ?

Rebeka : Voilà, tu as tout dit. (rires) Et d’espoir aussi. Ce n’est pas la même étape de nos vies. Quand on s’est rencontrés, nous étions chacun à des moments très durs de nos existences. Là, on ouvre un peu la porte à la lumière. Nous avions plus de foi et d’amour à raconter.

Vitalic : Celui‐là est en effet moins dark et moins opaque que le premier.

 

KOMPROMAT

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Vous étiez impatients de retrouver Kompromat ?

Vitalic : J’aime beaucoup tourner sous le nom de Vitalic, mais j’avais envie de retourner à Kompromat. Ça fait du bien d’être deux sur scène.

Rebeka : J’ai toujours aimé alterner les projets. Je trouve que ça aère la tête. Mais je trépignais un peu à l’idée de reprendre Kompromat. Ça faisait un moment qu’on se disait : « J’ai envie. »

Vitalic : Généralement ça commence par un petit message : « Tiens, écoute ce que j’ai fait. » Au début, c’est informel et très lent. Puis ça s’accélère, on se met vraiment dessus et à la fin, on ne fait plus que ça.

Rebeka : Je galère toujours pour trouver le premier morceau. J’ai besoin de chercher longtemps, car il va donner la direction pour le reste. Là, c’était « I Let Myself Go Blind ». Après, comme le dit Pascal, c’est allé de plus en plus vite.

 

« I Let Myself Go Blind » donne une direction plus pop à l’album…

Vitalic : Kompromat est toujours un peu bicéphale. Il y a le côté pop et le côté vraiment anti‐pop. C’était déjà le cas sur le premier.

Rebeka : D’habitude, c’est moi qui suis réfractaire à la pop. Mais pour ce nouveau disque, j’avais envie de mélodies catchy, et même de passages plus « dance ». Ces petits éléments pop me font du bien.

Vitalic : Mais quand on dit « pop », on n’est pas non plus dans ce qu’on entend à la radio.

Rebeka : Sur Playing / Praying, il y a aussi des morceaux qui sont absolument inaccessibles : « Surrender » ou « Intelligence artificielle ».

Vitalic : On finit notre live avec ce titre. On laisse tous les synthés allumés en même temps avec des effets. Ça fait une sorte de bruit blanc. Ça congèle les gens. (rires)

Rebeka : On est proches de la performance d’art contemporain. C’est vraiment genre : « Allez, au lit maintenant. » (rires)

 

 

Est‐ce que votre méthode de travail a évolué ?

Vitalic : On change de set‐up à chaque album. On a cherché d’autres sons. Julia a eu tendance à utiliser le M1 de Korg, vers la lequel je n’irais jamais. De mon côté, je me suis beaucoup servi du MiniFreak d’Arturia, qui est très agressif. Ça amène forcément autre chose que le Moog du premier album qui avait quelque chose d’un peu opaque dans le son et qui tirait les fréquences vers le bas. On les a remontées. On va être sur le spectre des médiums. C’est plus précis. C’est une histoire de couleur de la palette sonore. On a pris également beaucoup de synthés digitaux. C’est moins analogique et ça s’entend.

Rebeka : Mais pour notre manière de collaborer, cela n’a pas changé. On travaille chacun de notre côté. On a une Dropbox et les morceaux avancent en ping‐pong. Puis, en général, on finalise en deux fois.

Vitalic : En revanche, pour vraiment avancer vite, les grandes décisions, on les prend ensemble en studio. C’est beaucoup plus simple d’être dans la même pièce.

Rebeka : Mais on ne se prend jamais la tête. Parfois, on peut insister chacun sur quelque chose, mais c’est une négociation rapide. Nous sommes assez flexibles.

Vitalic : Ce n’est pas obligé de mettre du « drama » dans la création.

 

Une des nouveautés du disque, c’est la présence de nombreux featurings. D’ailleurs je trouve que le titre « De mon âme à ton âme » avec Adèle Haenel, sur votre premier album, fait un peu le lien avec celui-ci…
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« PLДYING / PRДYING »

Rebeka : Ah oui, tu as raison. D’ailleurs, c’était le dernier qu’on avait écrit. Tout se rejoint. Mon Dieu, c’est cosmique. (rires) Les featurings, ce sont des personnes dont on est très proches, comme Vimala Pons et Sonia DeVille. Ça paraissait donc naturel qu’elles fassent des chœurs. Rahim, on s’entend bien. On a adoré son album Paranoïa, Angels, True Love. On lui a écrit parce qu’on n’arrêtait pas de l’écouter et on a pensé que ça collerait parfaitement à  « I Did Not Forget You ». On a aussi invité Farah qui est une artiste qu’on adore.

Vitalic : Personne ne la connaît, mais nous, on est fans. C’est une Londonienne d’origine iranienne. Elle est sur le label Italians Do It Better. Elle parle tout le temps de Dieu. Donc ça nous branchait.

Rebeka : Et puis elle écrit un peu comme moi, c’est-à-dire qu’il y a souvent une phrase qui tourne. Genre : « Boys are bad, boys are bad, boys are bad, boys are bad. » Elle possède une nonchalance sensuelle que j’aime beaucoup parce que, dans cet album, il y a des morceaux très sexy.

Vitalic : C’est « Dieu » et hot en même temps. (rires)

 

Pourquoi avoir abandonné l’allemand pour les textes ?

Vitalic : Le choix de cette langue sur le premier album s’est fait un peu par accident. En envoyant à Julia l’instru de « Niemand », je lui ai écrit: « Je ne sais pas pourquoi mais j’entends de l’allemand dessus. » Elle a essayé, ça a marché, et on a continué sur les autres titres. Mais je n’aime pas trop les artistes qui insistent sur leur délire qui, du coup, ne devient plus trop marrant. On ne voulait pas se sentir prisonniers de quoi que ce soit et, pour ce disque, on n’avait plus envie de l’allemand.

Rebeka : Pendant Traum Und Existenz, j’étais trop mal pour chanter dans ma langue maternelle. En allemand, je mettais une barrière entre ce que je racontais et moi. Aujourd’hui, ce n’est plus nécessaire. Je pouvais rechanter en français ou en anglais dans une langue que je maîtrise mieux. Mais on m’a déjà dit deux fois que j’avais en anglais un accent un peu allemand. Faut donc que je fasse gaffe. (rires)

 

Julia, le duo que tu formes avec Pascal est-il différent de tes autres duos avec Sexy Sushi ou Mansfield.TYA ?

Rebeka : C’est très différent mais c’est normal, ce sont des relations humaines, donc ça ne peut pas du tout être comparable. Et musicalement, Sexy Sushi et Mansfield n’ont rien à voir avec Kompromat. Ce que je trouve agréable, c’est que Pascal m’emmène toujours vers des trucs que je ne connais pas. C’est très réjouissant quand tu composes avec quelqu’un qui a envie de tout tester.

 

Et toi, Pascal, j’imagine qu’être deux change beaucoup de choses.

Vitalic : Oui, j’ai déjà eu des collaborations pour des one-shots, mais Julia est la seule personne avec qui je fais des albums. J’aime aussi qu’elle m’emmène là où je ne vais pas aller naturellement. Par exemple, sur certains types de mélodies. Elle est très forte sur ce que j’appelle « la bretonnerie » : des trucs sur Dieu avec un type de mélodie un peu liturgique. Ça vient gratouiller mon côté rock et du coup, ça fait quelque chose de new wave liturgique. Je n’irais pas tout seul dans cette direction. Mais ça fonctionne bien.

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Pour vous, Kompromat est-il une manière d’endosser des rôles, comme un acteur et une actrice ?

Rebeka : Avec l’âge, j’avoue que c’est de plus en plus moi. Même si on aime bien changer de fringues et incarner des personnages, comme dans nos clips.

Vitalic : J’ai toujours incarné des personnages. Pour le premier album de Vitalic, j’ai beaucoup joué avec le côté espionnage, années 1950, URSS. Par la suite, les concepts ont changé, mais sur scène, je m’habille toujours pareil pour ne pas réfléchir. C’est toujours en noir, avec le même costume. Pour Kompromat, c’est vraiment le contraire.

 

Beaucoup de choses se sont passées dans le monde depuis 2019 et la sortie de votre premier album. Cela vous a-t-il influencés pour le second ?

Rebeka : Non, nous sommes assez dans nos bulles. On a du mal avec le monde extérieur. Le côté « praying » concerne le monde intérieur. Ces moments très forts dans la vie où tu as des sortes de révélations et ça te rapproche d’un univers cosmique.

Vitalic : Ça ne parle pas de la colère mondiale. Ça évoque vraiment Dieu, le sexe, le passage de la vie à la mort. Ce n’est pas un album d’actualité.

Rebeka : Il ne faut pas trop m’en parler de l’actualité. On s’en bouffe déjà assez comme ça. Je crois qu’il y a un besoin de se reconnecter tous ensemble. C’est ce que je ressens pendant les concerts. C’est presque une messe païenne.

Vitalic : On démarre le live par « Only In Your Arms ». Elle commence a cappella, puis le premier son de synthé que l’on entend, c’est un orgue, et ça monte avec des nappes qui sont aussi des orgues, avant des violons qui sonnent faux. Ça fait bien messe quand même ! (rires)

 

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Vous êtes tous les deux à la tête d’un label (WARRIORECORDS et Clivage Music). Quelle vision avez-vous de la scène électronique actuelle ?

Rebeka : La scène techno/hard techno actuelle ne me convient plus. Je me suis vraiment plus rapprochée de styles qui m’intéressent vraiment, comme l’EBM ou le post-punk, la cold wave. Peut-être aussi parce que j’adore le chant.

Vitalic : Un exemple. J’étais récemment à Medellín en Colombie pour un énorme festival. D’une scène à l’autre, d’un DJ à l’autre, aucune proposition artistique différente. C’était assez bizarre. Ça tabasse de dingue dès 18 h 30. Pourtant, au final, j’avais l’impression que les gens ne s’amusaient pas vraiment. Je dois dire que je flippais un peu de jouer, mais j’ai commencé disco et cela a été de la folie.

Rebeka : Eh oui, ils ont entendu une mélodie. La première fois depuis 2019 ! (rires)

Vitalic : La proposition générale est très uniformisée, à l’image de ce que l’on voit sur les réseaux avec la même techno et des masques comme visuels. Alors qu’on possède les outils pour être très créatifs. Mais j’ai confiance dans une nouvelle génération qui va proposer des textes avec de vrais messages, pas de la posture, et une matière musicale plus variée, plus poétique.

 

Quelles sont vos plus grandes différences ?

Rebeka : Je nous vois que des points communs. (rires) Nous sommes des fêtards tout en étant très disciplinés dans le travail (elle réfléchit) Ah si, je vois une différence : tu aimes les voyages, être dans les transports, ne jamais dormir alors que, moi, il me faut mes dix heures de sommeil par nuit. Il n’y a rien que j’aime plus que d’enfiler mes chaussettes et de rester chez moi.

Vitalic : C’est vrai qu’elle est plus casanière que moi. Comme je vis entre Paris et Barcelone et que je tourne beaucoup, en général, je ne reste pas plus de deux jours au même endroit. Ça me convient. Depuis vingt-cinq ans, je suis toujours content d’aller à l’aéroport, j’adore prendre l’avion : être tout seul au-dessus des nuages, isolé du monde. Manger mon petit truc, regarder mon petit film. Ce sont des moments qui m’appartiennent. Après, les Paris-Barcelone de deux heures, c’est moins fun. Mais j’ai tellement l’habitude, c’est ma vie.

 

 

La trajectoire de vos vies artistiques correspond-elle à vos rêves d’ados ?

Vitalic : En ce qui me concerne, je crois même que je suis allé plus loin que j’aurais pensé. Quand j’étais petit, je voulais être Jean-Michel Jarre. Sauf que, dans le milieu d’où je venais, c’était vraiment un rêve inaccessible. J’avais demandé à un de mes oncles de m’acheter un synthétiseur. Il m’avait répondu : « Mais ça coûte au moins 50 000 francs. » C’est vrai, c’était très cher. J’ai donc pensé pendant toute mon enfance et adolescence que c’était mort. Tout en rêvant de composer ma musique avec des machines. Ça me passionnait vraiment.

Rebeka : Oui, totalement. J’étais très fan de François des Bérurier Noir et je m’étais juré qu’un jour, je ferais quelque chose avec lui. Finalement, c’est arrivé pour un morceau avec Mansfield.TYA (« Les Filles mortes », ndr). L’autre rêve, c’était de rencontrer ou de jouer avec Robert Smith de The Cure. Donc Robert si tu nous lis ! (rires)

 

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