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La Fraßcheur à la Gegen © Gili Shani
22 janvier 2021

💬 La FraĂźcheur : « La vie que je connaissais n’existe plus, et n’existera pas non plus en 2021 »

par CĂ©leste Ramis

La DJ et productrice techno La FraĂźcheur signe avec Leonard de Leonard la face B du dernier split EP de Gegen Records, sorti aujourd’hui.

La DJ et productrice française La FraĂźcheur, importante figure de la scĂšne techno hexagonale actuelle, a signĂ© une face du dernier split EP The Grace, sorti aujourd’hui sur le tout nouveau label de la Gegen, l’une des plus anciennes soirĂ©es queer de Berlin. AprĂšs son dernier album Self Fulfilling Prophecy sorti chez InfinĂ© en 2018, elle prĂ©pare Ă©galement la bande-son d’une piĂšce de danse contemporaine qui met en lumiĂšre la culture club en tant qu’espace de rĂ©bellion, M.A.D, chorĂ©graphiĂ©e par Julien Grosvalet.

AprĂšs une annĂ©e 2020 compliquĂ©e, Tsugi a discutĂ© de la situation actuelle avec la toujours intĂ©ressante et engagĂ©e musicienne basĂ©e Ă  Barcelone, de son amour pour la Gegen, de sa complicitĂ© avec Leonard de Leonard, d’espoir pour la filiĂšre culturelle et de santĂ© mentale.

Comment est nĂ©e cette collaboration avec Leonard de Leonard et les autres artistes de l’EP pour la Gegen ? 

Gegen Records est le label que lance Gegen, l’une des plus anciennes et grosses soirĂ©es queer de Berlin. Elle a lieu au KitKatClub depuis maintenant dix ans. Je suis rĂ©sidente de cette soirĂ©e, ça fait un bout de temps que je joue pour eux et que je fais partie du collectif. Ce label donne une plateforme Ă  leurs artistes, et ce rĂŽle est amplifiĂ© en ce moment puisque tous les artistes sont au chĂŽmage. Il permet de continuer Ă  nous donner de la visibilitĂ© et Ă  soutenir notre art.

Leonard de Leonard est un collaborateur avec qui je bosse depuis trĂšs longtemps de maniĂšre fusionnelle. Je fais de la musique avec lui mais il est Ă©galement mon ingĂ©nieur son, on a fait des soirĂ©es ensemble, des Ă©missions de radio (Berlin Calling), j’ai aussi bossĂ© dans son label en tant qu’attachĂ©e de presse (Leonizer Records). À ce niveau-lĂ , il est plus que mon collaborateur. C’est mon frĂšre, c’est ma femme ! On a aussi lancĂ© un projet de live lorsque j’ai quittĂ© Berlin pour Barcelone, c’était la bonne excuse pour ĂȘtre ensemble. On a jouĂ© deux fois (dont une Ă  la Gegen) avant la pandĂ©mie, et aprĂšs tout s’est interrompu.

Oliver Deutschmann, qui signe la face A de l’EP, est un DJ renommĂ©, un pilier de la techno allemande pure souche. Il joue souvent au Berghain et il s’implique dans la techno avec ses multiples labels. Quant aux remixeurs Mar/us et WarinD, ce sont deux Italiens qui sont dĂ©jĂ  passĂ©s par la case Gegen.

 

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La FraĂźcheur & Leonard de Leonard

La fraßcheur & Leonard de Leonard © Loic Sattler

Que représente la Gegen pour toi ?

La Gegen est vraiment un moment important pour moi. Et je dis un « moment » et non un lieu, ni une fĂȘte, parce que c’est vraiment un moment. Une Gegen, c’est une bulle temporelle, un moment oĂč tu oublies l’extĂ©rieur. Bon, c’est ce qui se passe un peu dans tous les clubs tu vas me dire, mais particuliĂšrement dans celui-lĂ  car c’est une soirĂ©e queer et fĂ©tiche. C’est aussi une soirĂ©e « sex positive » donc des gens y sont nus, on y retrouve un lĂącher prise, il y a une libertĂ© d’expression, de son identitĂ©, de sa corporalitĂ© ou de sa sexualitĂ©. Et de voir les autres libres, ça t’apprend Ă  ĂȘtre libre aussi. Beaucoup de gens opprimĂ©s, dĂ©nigrĂ©s, jugĂ©s par la sociĂ©tĂ© mainstream y trouvent un oasis de bienveillance et la chaleur d’une communautĂ©. Le public de la Gegen forme une famille.

La Gegen est un endroit oĂč j’ai personnellement grandi en tant qu’humain, dans un environnement trĂšs fraternel et familial. Je pense que les personnes, qu’elles soient majoritaires ou minoritaires mais discriminĂ©es, quand elles se retrouvent entre elles et qu’elles sentent la bienveillance, baissent la garde. Et quand tout le monde baisse la garde, ça donne encore plus envie d’ĂȘtre bienveillant et gentil. C’est con mais rentrer dans une Gegen, c’est rentrer chez les bisounours, mais les bisounours Ă  moitiĂ© Ă  poil avec des harnais et en latex.

La Gegen la fraicheur

Soirée La Gegen © Gili Shani

Ton art est clairement politique et engagé. Selon toi, comment sera la filiÚre culturelle de demain ? 

La pandĂ©mie a mis un coup d’arrĂȘt brutal Ă  l’industrie qui avait de mauvaises habitudes sexistes, capitalistes et consumĂ©ristes. Elle nous donne l’occasion de mettre les choses un peu Ă  plat et d’espĂ©rer que les nouveaux projets (entreprises, clubs, labels, mĂ©dias…) qui pourraient se lancer, changent ces mauvaises habitudes. Certains ne pourront pas survivre Ă  la pandĂ©mie et j’espĂšre que sur leurs cendres on construira des projets plus Ă©galitaires. Je ne peux pas dire que je suis heureuse qu’un paquet de festival se casse la gueule, mais si ce n’Ă©tait que des festivals avec seulement Ă  leurs tĂȘtes des mecs blancs, cisgenres et hĂ©tĂ©rosexuels, de 40 ou 50 ans, cela laisserait du terreau Ă  la nouvelle gĂ©nĂ©ration que j’espĂšre plus diverse que la scĂšne qu’on a aujourd’hui.

« Certains ne pourront pas survivre Ă  la pandĂ©mie et j’espĂšre que sur leurs cendres on construira des projets plus Ă©galitaires. »

Ce sera plus facile de crĂ©er Ă  partir de rien pour les nouvelles gĂ©nĂ©rations Ă  qui on n’ouvrait pas les portes que de devoir s’infiltrer dans le systĂšme en espĂ©rant commencer stagiaire, puis assistant de, enfin directeur de, et tu peux en avoir pour 30 ans avant d’arriver dans les zones de pouvoir de l’industrie de la musique. Donc j’espĂšre que ça permettra Ă  une gĂ©nĂ©ration plus diverse de trouver sa place.

AprĂšs une annĂ©e 2020 si difficile, dans quel Ă©tat d’esprit es-tu pour 2021 ?

Le dĂ©but d’annĂ©e 2020 se passait Ă  peu prĂšs bien, j’Ă©tais en tournĂ©e Ă  droite Ă  gauche… Finalement, me retrouver chez moi Ă  cause du confinement et pouvoir profiter de ma vie sociale, amoureuse, pouvoir me calmer un peu et dormir, c’était cool. Et puis ça s’est vite transformĂ© en frustration. J’ai perdu ma crĂ©ativitĂ© pendant une bonne partie de l’annĂ©e, et ça m’a Ă©normĂ©ment pesĂ©. Je considĂšre la crĂ©ation comme une Ă©norme partie de mon identitĂ©, et j’ai vraiment eu une crise existentielle. « Je suis qui ? À quoi je sers sur Terre si je ne peux pas crĂ©er ? » Et puis ça s’est transformĂ© en dĂ©pression.

M.A.D la fraicheur

M.A.D © Emanuele Rosa

J’ai commencĂ© une thĂ©rapie. Je prĂ©fĂšre ĂȘtre transparente lĂ -dessus, parce qu’il faut dĂ©stigmatiser la dĂ©pression. J’ai commencĂ© les anti-dĂ©presseurs, que j’ai arrĂȘtĂ© rapidement parce que ça ne me plaisait pas. Il y a eu beaucoup de hauts et de bas. Et puis est arrivĂ©e la piĂšce M.A.D. On a pu se retrouver en septembre et faire des rĂ©sidences artistiques. C’Ă©tait ma bouĂ©e de sauvetage : je me suis retrouvĂ©e avec des humains crĂ©atifs, c’était stimulant crĂ©ativement, intellectuellement et humainement. Et puis surtout, il y a une pression. Que tu sois crĂ©ative, dĂ©primĂ©e, inspirĂ©e ou non, t’as pas le choix, il faut bosser. Et vite car le temps de crĂ©ation a Ă©tĂ© limitĂ© Ă  cause de la pandĂ©mie. Ça m’a forcĂ© Ă  sortir de mon puit. J’ai du m’y mettre Ă  fond et donner un rĂ©sultat dont j’allais ĂȘtre suffisamment fiĂšre pour me dire que les gens qui allaient danser dessus pouvaient en ĂȘtre fiers aussi.

« Je considĂšre la crĂ©ation comme une Ă©norme partie de mon identitĂ©, et j’ai vraiment eu une crise existentielle. »

Pour ce qui est de 2021, je la prends avec plus de calme. 2020 a Ă©tĂ© Ă©puisante dans le sens oĂč tous les trois mois on espĂ©rait que dans trois mois ça se termine, mais ça ne revenait pas. Je suis persuadĂ©e qu’on ne travaillera pas en 2021. Le fait d’avoir devant moi une durĂ©e plus longue m’impose des choix de vie et de travail diffĂ©rents. La vie que je connaissais n’existe plus, et n’existera pas non plus en 2021, c’est sĂ»r. Du coup, il faut que je trouve mon bonheur ailleurs, vivre ma crĂ©ativitĂ©, ma musique et ma culture autrement, et trouver aussi des maniĂšres de vivre en dehors de ma culture. Ce qui n’est finalement pas si facile. C’est un Ă©norme pan de ma vie qui m’a Ă©tĂ© enlevĂ© donc c’est difficile de repenser les formats, les modes de crĂ©ation, mais on y est obligĂ©. C’est trĂšs intĂ©ressant et excitant de rĂ©inventer les choses mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. Ça veut dire qu’il faut accepter le temps long. Et moi, en 2021, j’accepte le temps long.

❏

La FraĂźcheur va sortir cette annĂ©e un EP solo sur le label anglais Lobster Theremin, ainsi qu’un EP avec Leonard de Leonard sur le nouveau label de Rebeka Warrior ; WARRIORECORDS. Un troisiĂšme EP en collaboration avec Leonard de Leonard devrait sortir sur le label new-yorkais Sheik’n’Beik.

 

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