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©Thomas Smith
4 février 2020

La rave sauvera-t-elle le climat ?

par Tsugi

Depuis près d’un an, un vent de renouveau souffle sur l’écologie. Si les discours de Greta Thunberg secouent le paysage politique, d’autres actions plus anonymes menées dans le monde réinventent les codes de la manifestation. Un militantisme sur fond de BPM, une fête consciente pour alerter sur le réchauffement climatique, qui créent un engouement sans précédent. Et si la rave pouvait sauver le climat?

Article issu du Tsugi 129, toujours disponible à la commande en ligne.
Par Camille Laurens.

7 octobre 2019, il est à peine 19h et Paris brûle. Définitivement, au vu du DJ-set incandescent qui anime le pont au Change, aux abords de la place du Châtelet, enflammant une foule chauffée à blanc. Un noyau dur vient de se former autour d’un bateau dont la coque sert d’étendard. “La mer se meurt”, peut-on y lire. Ce voilier symbolise “l’urgence climatique extrême, c’est un symbole fort, qui rappelle les conséquences dramatiques face au réchauffement climatique et la montée des eaux et qui sert d’élément fédérateur”, explique S.O.I.R, militant ayant rejoint depuis trois mois les rangs d’Extinction Rebellion, alias XR, mouvement contestataire né à Londres en 2018. Pour l’occasion, le voilier accueille la DJ Dustin Muchuvitz, alias Dustina, figure trans incontournable de la scène parisienne, mais surtout militante aux côtés du collectif de la G.A.F, comprendre Give A Fuck. Quelques heures auparavant, la place du Châtelet a été l’objet d’un spectacle singulier. Mille manifestants ont répondu à l’appel du mouvement Extinction Rebellion. En quelques minutes, après réception du lieu de rendez-vous via Signal – messagerie ultra-sécurisée –, les manifestants ont pris d’assaut “toujours dans le respect d’autrui et de manière pacifiste” cette place symbolique de Paris, centrale, située à deux pas de la préfecture de police, afin d’être visible tant par les autorités que par l’opinion publique. Ces nouvelles méthodes de manifestation pacifique nécessitent des dispositifs adéquats, l’un d’eux, l’“ArmLocking” consiste à s’enchaîner le bras à des blocs de béton disposés sur les lieux de contestation. L’enjeu? Occuper l’espace le plus longtemps possible afin de faire entendre des revendications précises, ciblées. Des actions fortes face à une “inaction totale des politiques et des gouvernements”, s’insurge S.O.I.R. Ce combat fait vibrer les rues du monde entier depuis plus d’un an. Aux commandes, XR.

 

GAF rave climat

© talesofrave

Agir, réagir, résister

Importé de Londres à l’initiative de deux figures fortes du mouvement, Roger Hallam et Gail Bradbook, Extinction Rebellion naît en octobre 2018 en Angleterre. Dans son manifeste, les buts sont clairement énoncés et se résument à “l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres, à l’origine d’une extinction massive du monde vivant”. Sa spécificité? Réinventer la manière de manifester. “Le militantisme a trop souvent été attaché à la discipline, à l’autorité, au sacrifice. Aujourd’hui, on inverse la donne en créant des lieux de rire, de partage, de fête, de danse”, explique S.O.I.R. La fête, donc la musique, comme vecteur de cohésion universelle, comme réponse à l’oppression, la fête aussi vécue comme une action militante qui peut être ainsi un outil formidable de prise de conscience. Selon Jean-Yves Leloup, journaliste (ancien collaborateur de Tsugi, ndr), écrivain et commissaire de l’exposition Electro à la Philharmonie de Paris, “la musique agit comme un révélateur. Elle incarne l’état d’esprit d’une époque, voire la conscience sociale ou politique d’une génération”. La foule des danseurs dans une fête galvanise les manifestations. “L’Histoire a été portée par cette énergie provoquée par un groupe qui se réunit, poursuit-il. La musique est un espace d’expression aussi puissant qu’un autre. Danser c’est prendre part à ce refus de rester silencieux, c’est être militant.” Dans l’histoire des révolutions politiques, la musique a déjà prouvé qu’elle était un pilier de l’efficacité des mouvements contestataires. Les exemples ne manquent pas, du jazz qui incarne un élément phare de l’identité afro-américaine dans la lutte contre la ségrégation raciale, à l’importance de la musique techno dans la rencontre entre les jeunes de la RDA et de la RFA lors de la chute du mur de Berlin.

 

La nuit, ou la convergence des luttes?

Pour Gypsy, figure de la nuit parisienne, la fête “est créatrice d’énergie”. Engagée dans ce bouillonnement nocturne, il lui est “impossible de ne pas prendre en considération les luttes qui ébranlent la société”. Des revendications en lien avec “l’urgence climatique. La fête c’est aussi un moyen de souffler. Donc, on a pris le système à l’envers: au lieu de dépenser 20 euros dans une asso, ce qui t’empêche de te payer ta bière du soir, des clubs comme le Consulat aimeraient reverser une partie du profit des boissons à des associations comme Client Earth, qui engage des avocats pour plaider contre les écocides”. Cet engagement, la néophyte le poursuit jusque dans la volonté de créer une charte écoresponsable qui s’appliquerait aux clubs. “Conscientiser la fête est une priorité. Pour toucher toutes les générations, il faut changer nos habitudes que ce soit dans les boîtes de nuit ou par des actions coup de poing.” Lesquelles? Trois manifestations depuis mars 2019, mais surtout la création de la G.A.F, qui s’engage aux côtés des militants ayant conscience de la catastrophe écologique qui ébranle la planète. La G.A.F, Give A Fuck, est une initiative qui réunit un grand nombre des collectifs, de la Cicciolina Paris, en passant par la Créole jusqu’à La Toilette. Leur QG nommé La Base est situé au cœur de Paris, rue Bichat. À son crédit, des initiatives majeures. Une participation à la marche du siècle, du 16 mars 2019, où près de 100 0000 manifestants “plus chauds que le climat” ont joint le cortège, mais également la Rave 4 Climate du 21 septembre, qui a ébranlé les rues de Paris au rythme des basses. Des manifestations financées par une cagnotte Leetchi afin de garantir un char qui fonctionne à l’énergie solaire. Des records de mobilisation pour le climat, soutenus par Ed Banger, Rinse France ou encore Kiddy Smile. Extinction Rebellion a également fait appel à la G.A.F lors de l’action place du Châtelet: “Cette fois, c’est l’action militante qui est venue chercher la fête et non la fête qui s’est invitée dans l’action. Ils ont pris conscience de notre sphère d’influence”, assure Gypsy. La G.A.F permet de partager un carnet d’adresses solide, de rassembler une faune variée et survoltée comme la mannequin Raya Martigny, l’acteur Félix Maritaud, Michèle Lamy, la femme et muse du créateur Rick Owens ou les DJs Dustina et Pandorama. Un manifeste qui atteste de la nécessité de recréer un espace dénué de clivage où la musique et la danse sont vectrices d’union.

 

Conscientiser la fête est une priorité. Pour toucher toutes les générations, il faut changer nos habitudes que ce soit dans les boîtes de nuit ou par des actions coup de poing. »

 

GAF rave climat

© talesofrave

“Pas de planète, pas de fête”

Victor et Alexandre Carril, à l’origine des soirées La Toilette, collectif moteur de G.A.F, affirment: “Nous imaginons une rave engagée comme puissant vecteur de transmission d’idées et comme moyen positif de protestation et d’unification.” Le but: “Créer un espace de révolte au son des BPM, une utopie où la danse et la musique deviennent des éléments majeurs de la contestation.” À cela s’ajoutent une esthétique forte, des slogans puissants, tels que “Share more, consume less”, “Pas de planète pas de fête”, “If we don’t give a fuck, we’re fucked”, des vidéos réalisées par Mauro Mongiello, exposé notamment au Palais de Tokyo. Pour être efficace, rien n’est laissé au hasard. “On a compris qu’il fallait un impact visuel fort pour donner une nouvelle image de l’écologie”, assurent Victor et Alexandre. Pour ces deux activistes, si la techno permet aussi bien d’incarner la révolte verte, ce n’est pas un hasard. “La techno, c’est le BPM, le battement relié au cœur et à ses pulsations. La techno est universelle, et universalisante. Il y a ce besoin de remettre l’humain au cœur de la fête.” Dans une société ultralibérale, basée sur l’individualisme, une symbiose créée par la danse est-elle possible? Loin des obsessions capitalistes, on place l’individu et son environnement au cœur du propos. “Aujourd’hui, on est entouré par l’impression que l’on sombre vers la fin du monde. La techno et le retour à cette énergie vitale permettent de nous reconnecter avec un sentiment de vie, d’union”, poursuivent les deux frères.

Le BPM brut, c’est la vibration qui transcende les âges, les cultures. “On a rendu les manifestations beaucoup plus contemporaines, sexy avec cet esprit festif, sans perdre de vue la cause climatique qui reste notre leitmotiv”, concluent-ils. Pour provoquer le pouvoir, il faut faire un maximum de bruit. Le sentiment de révolte et de rébellion présent dans la culture rave est l’écho de cette volonté de changement. On danse, on se libère, on conteste. Le tout sans violence. Face à ces manifestations du troisième type, comment se positionnent les politiques? Claire Monod, bras droit de Benoît Hamon en 2017 et cofondatrice du mouvement politique Génération.s insiste sur la nécessité de se politiser: “Nous sommes en train de vivre un nouveau mai 68, jamais les révoltes et les mécontentements n’ont été aussi vifs. La désobéissance civile, c’est un pas, la politisation, un second. Faire la fête, dénoncer, c’est primordial, mais la suite quelle est-elle? Comment construit-on le monde de demain?” Si la rave n’est peut-être pas une finalité dans cette lutte vers un Nouveau Monde, elle est définitivement un moyen puissant pour faire évoluer les mentalités. L’anniversaire de la première grève mondiale pour le climat est prévu le 13 mars prochain, une occasion de prendre part aux “festivités” suivie de l’ouverture de la deuxième Semaine de rébellion menée à partir du 13 avril, avec la désobéissance civile comme mode d’action, non sans faire écho à la prise de Châtelet. Des actions à prendre en considération à l’heure où la planète brûle. Comme disait Roland Barthes, “chaque société doit inventer l’art qui accouchera au mieux de sa délivrance”.

Article issu du Tsugi 129, toujours disponible à la commande en ligne.

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