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11 octobre 2019

L’album du mois : Redrago

par Benoît Carretier

L’album collaboratif électronique obéit généralement à deux règles : soit l’un des intervenants prend l’ascendant sur l’autre (l’album Unity, coproduit Green Velvet et Carl Craig, où le premier a imposé son style), soit l’effet de synergie joue à plein (l’album Evidence From A Good Source de Stef et Martyn sous pseudo Doms & Deykers). Il existe une voie hybride,où l’un des acteurs s’efface pour mieux canaliser l’effervescence créative de son comparse. Est-ce parce que DJ Tennis a l’habitude de gérer des artistes sur son label Life And Death que Redrago, sa collaboration avec Red Axes sonne comme le sommet de la carrière des géniaux Dori Sadovnik et Niv Arzi ? Mystère, mais cette rencontre italo-israélienne entre deux univers aux antipodes, la house psyché d’un côté et les influences méditerranéennes de l’autre, sonne comme l’album de Red Axes qu’on n’attendait plus. Concise, maîtrisée, dotée d’une incroyable richesse sonore et d’un groove irrésistible, la somme des efforts des trois musiciens sert finalement plus le duo de Tel-Aviv que l’Italien, qui a pourtant apporté une science du dancefloor qui manquait à ses camarades de jeu. Redoutables remixeurs, auteurs de fabuleux maxis sur de multiples maisons, Dori et Niv avaient un peu échoué à transformer l’essai de leur excellent premier album Ballad Of The Ice avec son successeur Beach Goths en 2017.

Rien de tel sur Redrago, où les huit titres, à classer selon Red Axes au rayon “disco falafel avec un quart de sauce spaghetti”, sont une réussite absolue, de la première à la dernière seconde. Inclassables – comme souvent avec les Israéliens –, les morceaux naviguent entre italo disco psychédélique, rock israélien lo-fi, ambient, baléarique, vocaux en hébreu, tablas, didgeridoo, tension dancefloor, influences rockabilly, rave ou cold wave et chant hanté d’Abraõ, l’éternel collaborateur des Telaviviens.Un inventaire à la Prévert qui ne saurait rendre justice à cet album enregistré en une semaine sur le toit d’un vieux centre commercial de la ville, DJ Tennis s’installant dans un coin avec son petit modulaire, son synthé Juno et son module Syncussion, Red Axes dans un autre avec ses vieilles guitares, basses et synthés. Fruit de sessions d’improvisation où chacun finissait par jouer sur le matériel de l’autre, avant que les pistes ne soient éditées par Dori et Niv, Redrago laisse entrevoir dès son ouverture “Rave & Roll” toute la richesse du matériau de base : les synthés virevoltent, les sons jaillissent de tous côtés, un vocoder apparaît fugacement, les bleeps explosent, et le tout ne semble tenir debout que par la grâce d’une basse têtue et de lointains échos psyché. Si le single baléarique “Redrago” et ses mélodies ensoleillées portent la marque de l’Italien, “Il Veliero”, avec son couple basse-guitare, est du Red Axes à 100 %, tant dans les effets que dans les sons. Et la voix d’Abraõ est tellement indissociable du travail des deux compères qu’il est difficile de se tromper. L’électro- rock de “Shalom Alanation” ou “The Kohlrabi Session” tend à nous amener aux mêmes conclusions, même si ce fichu modulaire reste ancré dans notre esprit, quand la techno tropicale de “Ventilo” fusionne parfaitement les talents de chacun. Les frontières tombent peu à peu, et au bout des 37 petites minutes, le sentiment d’avoir succombé à une œuvre indescriptible, vénéneuse et dépourvue de repères tangibles prédomine. Se plonger dans Redrago, c’est y succomber.

Redrago par Redrago en écoute juste ici :

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