Le beatmaker que tout le rap s’arrache Le Motif explique les secrets des tubes d’aujourd’hui
C’est la masterclass de Le Motif : toplining, beatmaking, streaming… Le producteur belge explique tout, y compris comment faire un tube aujourd’hui.
À la fois producteur, chanteur, auteur et topliner, le Belge Olivier Lesnicki alias Le Motif, est à 31 ans l’un des noms du beatmaking les plus demandés des rappeurs moment. Seul ou avec le collectif Le Sommet, il a travaillé sur des morceaux de Booba, Siboy, SCH, Lorenzo, PLK, Dixon, Niska (« Réseaux »), Timal, Dosseh ou encore Shay, qui n’est autre que sa sœur. Alors qu’il défend son propre projet avec le maxi Première Partie, on lui a demandé de nous apprendre les secrets des hits d’aujourd’hui.
« Ce qui fait un tube, c’est la balance entre ce qui nous semble inné et l’innovation ; c’est l’originalité à laquelle on ne s’attend pas à l’intérieur d’un background familier. »
Tu as récemment sorti une version deluxe de ton EP Première Partie (chez Jo&Co). Quelles sont les différences majeures entre le fait de produire un son pour soi et pour les autres ?
Sur les projets pour lesquels j’ai travaillé, j’ai souvent un rôle de chef d’orchestre, de manager d’équipe. Je réunis plusieurs personnes en studio et me mets au service de la chanson. Si j’identifie qu’un artiste a besoin d’être aidé sur son texte, je travaille sur le texte, si c’est à la production qu’il a besoin de quelqu’un, je vais produire. Si je sens que l’équipe est assez solide, je peux aussi me contenter d’amener une bonne énergie dans la pièce. Parfois, j’ai contribué à une chanson juste en ayant rassemblé les bonnes personnes en studio et en coachant la session comme un directeur artistique au sens américain du terme, qui demeure toujours au service de la chanson. Sur mon projet, je dois développer tout le côté artiste et interprète. Je parle de mes propres histoires, notamment d’amour, et suis plus libre sur tous les aspects. J’ai mon mot à dire sur tout. C’est moi qui crée les chansons qui deviennent à mon service.
Quelles sont tes influences majeures en termes d’écriture d’un morceau ?
Discovery de Daft Punk reste un must pour moi. Je m’en suis inspiré pour l’un de mes morceaux très chanson « Toi qui décide ». Mais mes influences, depuis toujours, c’est la musique pop. J’ai été très imprégné, enfant puis ado, par le top 40 de la pop américaine dans les années 90/2000, les années MTV (l’âge d’or) avec Britney Spears, voire encore plus kitsch, Avril Lavigne ou les Backstreet Boys. Et puis je suis tombé sur le rap, notamment français, et ça a été l’amour fou. Aujourd’hui, toutes ces influences se mélangent et me nourrissent.
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Tu as sorti sur YouTube une vidéo intitulée « Faire un hit en quarantaine », dans laquelle tu parles des tubes d’inspiration rétro comme « Blinding Lights » de The Weeknd inspiré par A-Ha. Et du mélange entre usage de mots anciens et d’autres plus dans l’air du temps comme « moula. » Quelles sont pour toi les « recettes » des bangers actuels ?
Je dirais que ce qui fait un tube, c’est la balance entre ce qui nous semble inné et l’innovation ; c’est l’originalité à laquelle on ne s’attend pas à l’intérieur d’un background familier. Lorsqu’on entend une bonne chanson qui cartonne, on a souvent l’impression qu’on la connaît à cause des accords ou de la rythmique et d’un coup il y a un élément de surprise qui nous amène ailleurs. On part d’une base dans l’air du temps (EDM, rap, ou rock si on prend les années 60 ou 70) avant que l’inattendu débarque. Si on essaie d’appliquer une recette, le morceau va manquer d’âme, d’émotion. Et si on part en expérimentation totale, il se peut qu’on paume son public. C’est cet équilibre qu’on tente de trouver en studio, même si, au final, un tube, c’est le public qui décide de son statut. On peut donner vie à une bonne chanson qui pourrait, selon nous, devenir un hit et qui ne marchera finalement pas du tout.
« L’inspiration, c’est un travail intérieur : tu ne fais que sortir ce que tu connais déjà, tu n’inventes pas totalement. »
Le compositeur suédois de génie Max Martin, qui a travaillé sur « Blinding Lights », mais aussi sur des titres de Britney Spears, Katy Perry, Taylor Swift ou Robyn, avait élaboré une formule quasi mathématique pour écrire un tube à coup sûr. Ça fonctionne ?
Ce que Max Martin voulait signifier avec cette idée de formule mathématique c’est que la musique, ce n’est pas que le lifestyle de rockstar qui fait que l’inspiration déboule à 3h du matin dans une chambre d’hôtel. Il disait que certaines choses pouvaient être mises dans une formule car on savait qu’elles fonctionnaient. Mais lui-même est revenu sur ce concept, en expliquant que cette formule mathématique n’était qu’un outil destiné à driver l’inspiration. Je suis plus d’accord avec cette vision récente qu’avec celle qu’il défendait dans le passé.
En parlant d’inspiration, je crois que c’est après une cuite monumentale que tu écris pour le rappeur Siboy. Et il me semble avoir entendu que tu avais d’ailleurs arrêté l’alcool. Pour trouver l’inspiration, est-il toujours vrai que beaucoup de producteurs ont encore recours à la drogue ou à l’alcool ?
(Rires) Oh la la, tu es très très bien renseignée là ! Je pense que l’inspiration, c’est un travail intérieur : tu ne fais que sortir ce que tu connais déjà, tu n’inventes pas totalement, que ce soit au niveau des paroles ou des sonorités. Et certains d’entre nous ont besoin de boire ou de fumer pour se déconnecter des pressions extérieures et aller chercher ce qu’ils possèdent au plus profond d’eux. Ils sortiront alors des choses qu’ils n’auraient pas réussi à extirper s’ils n’avaient pas fumé, bu ou rencontré des femmes. Mais je suis plutôt à défendre cette citation du peintre Charles Thomas « Chuck » Close : « L’inspiration c’est pour les amateurs. Nous, les professionnels, on se lève et on va au travail. » La production, c’est surtout du boulot et non pas attendre que l’inspiration nous tombe sur la tête. Quand on produit en studio, il y a beaucoup de déchets. Mais c’est en sortant tout ce qu’on a qu’on arrive à un moment ou à un autre à accoucher de quelque chose de magique.
« Je me suis dit que si je produisais tous les jours, peut-être que j’aboutirais à un hit, ou pas. »
Tu t’es lancé un défi fou sur YouTube en août, de créer un morceau par jour pendant un mois. Comment cette idée est née ?
Je suis quelqu’un qui bosse énormément et qui aime communiquer, notamment sur YouTube. À ce moment-là, on était dans l’ambiance anxiogène causée par la pandémie et les mesures gouvernementales. Je devais sortir mon EP, Première Partie, en début d’année et finalement, il a été retardé. J’avais l’impression de ne pas avoir pu prendre la parole comme je le voulais, avec des clips, des interviews, des concerts. Produire un son par jour, c’était à la fois un ras-le-bol et une façon de prendre la parole poussée à son paroxysme : tenter le tout pour le tout. Je me suis dit que si je produisais tous les jours, peut-être que j’aboutirais à un hit, ou pas. Peut-être que ce serait dans un an, ou encore plus tard. Mais sans produire 100 morceaux, on n’atteindra peut-être pas le 101ème qui s’avérera excellent. C’est comme ça que je vois les choses.
Toi qui a plusieurs casquettes, peux-tu expliquer avec précision les différences entre le ghostwriting, le beatmaking et le toplining ?
Le beatmaker va faire la prod, l’instrumental de la chanson, souvent sur son ordinateur. Il est le compositeur, le réalisateur artistique, et cela avant même de rencontrer l’artiste et parfois même sans l’avoir jamais rencontré. Ensuite, l’artiste regarde le catalogue de prods réalisées par le beatmaker et en choisit une. Puis il y a un nouveau rôle qui existait depuis des années dans la chanson et la pop, mais pas dans le rap français, c’est celui de topliner. Le topliner vient par-dessus une prod poser une mélodie de voix en yaourt. Ça guidera le texte du chanteur. Le ghostwriter va écrire les paroles ou la mélodie de voix à la place de l’artiste sans être crédité. Il reste donc un « fantôme », contrairement au topliner ou beatmaker.
« La génération qui vient de naître est peut-être la première que l’humanité ait connue qui va avoir une culture en commun. »
Il y avait eu tout une discussion sur le fait que PNL avait acheté des prods anonymes pas chères du tout sur Internet. Cela arrive souvent ? Qui écrit ces morceaux ?
Grâce à l’ordinateur et aux logiciels, les beatmakers produisent beaucoup plus et plus vite qu’avant. Certains arrivent à sortir trois ou quatre morceaux par jour. Mais seul un par mois va peut-être être choisi par un artiste. Les beatmakers se sont alors demandés quoi faire du reste de leurs instrus et se sont mis à les proposer sur YouTube à la vente. Comme ils sont nombreux à produire le même genre de sons, les prix défient toute concurrence pour les rappeurs et cela arrondit bien les fins de mois pour les beatmakers. Mais ça ne veut pas dire que ces morceaux sont mauvais, simplement qu’ils n’ont pas été pris ce mois-là par les cinq, six artistes à qui ils ont été présentés. Puis arrive PNL qui s’empare de ces prods pour les transformer en tubes.
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Toute-puissance du rap : comment en est-on arrivé là ?
Plein de producteurs électroniques tels que Gesaffelstein ou Daft Punk ont réalisé des morceaux pour des artistes rap comme Kanye West. Comment expliques-tu que les barrières explosent entre le rap et la musique électronique mais aussi dans d’autres genres (avec par exemple en France, Damso qui écrit pour Louane) ?
Il y a l’effet du streaming bien sûr mais avant cela, c’est le résultat de la mondialisation. La génération qui vient de naître est peut-être la première que l’humanité ait connue qui va avoir une culture en commun. Que tu habites au Vietnam, en Corée, en France, en Belgique ou aux États-Unis, tu es au courant de ce qui se passe dans le monde et cela, instantanément. Les influences ne sont donc plus limitées par la géolocalisation. Tu peux être en Europe et être influencé par l’Amérique latine. C’est comme ça qu’on se retrouve avec un Lil Nas X près d’Atlanta qui va s’inspirer de la country de l’autre bout du pays pour accoucher de « Old Town Road », et qui trustera la première place du billboard pendant des semaines. Toutes les frontières sont devenues floues avec Internet, et cela est encore accentué par le streaming. Cette globalisation reste une bonne chose dans le sens où la technologie nous amène vers une abolition des frontières mais en même temps, on gomme les particularités locales, ce qui est, par contre, un souci. La culture hyper locale peut se dissoudre dans ce cheminement.
Est-ce que le streaming a véritablement changé la façon de produire de la musique ?
Je crois que je suis un enfant du futur (rires) né à la fin des années 80 mais qui avait déjà la tête dans l’ère du streaming. Je me souviens que lorsque j’envoyais en 2012 des toplines que j’avais écrites, elle duraient moins de 2m30 et les artistes me disaient qu’elles étaient trop courtes. La tendance était alors aux morceaux un peu plus longs. Je conseillais aussi aux rappeurs avec lesquels je travaillais de communiquer les chiffres de leurs streams avant que ça ne devienne une habitude. Ce qui a changé, c’est qu’avant le streaming, c’étaient les radios et les clubs qui formataient la musique. Les plateformes ont créé de nouveaux codes ou ont poussé les anciens à leur paroxysme. Aujourd’hui, même avant de rentrer en studio, quand on commence à écrire un morceau, on a internalisé, quasi inconsciemment le streaming ; on a tendance, sans même y réfléchir, à composer des morceaux plus courts, sans intro, où il se passe quelque chose tout de suite, avec un gimmick pouvant être repris sur les réseaux et des changements de rythmes pour ne pas perdre l’attention de l’auditeur. On sent ces choses-là seulement en suivant son intuition.
« On a du mal à vouloir rémunérer quelqu’un qui n’a pas appuyé sur un clavier lors d’une session, ou a juste suggéré une phrase, même si celle-ci contribue à la qualité du morceau et à son succès. »
Tu parles souvent des coulisses de l’industrie musicale en interviews. Le rap truste les premières places des charts en France. Et pourtant ceux qui viennent de la rue n’arrivent pas à monter tout en haut de l’échelle, à la tête de gros labels (contrairement à l’exemple de Def Jam aux États-Unis)…
Écrire des morceaux pour les autres ou être directeur artistique, dans le rap en France, n’est pas un rôle valorisé et payé comme il l’est aux États-Unis. Ce n’est pas aussi organisé et pérenne qu’ailleurs comme profession, ce n’est d’ailleurs même pas considéré comme un métier. Ça m’est déjà arrivé que cela me coûte plus cher de bosser sur un titre que ce que ça m’a rapporté. On a du mal à vouloir rémunérer quelqu’un qui n’a pas appuyé sur un clavier lors d’une session, ou a juste suggéré une phrase, même si celle-ci contribue à la qualité du morceau et à son succès. C’est vrai, le rap atteint les sommets des charts mais c’est finalement un business assez neuf avec des managers et des producteurs qui ne sont pas aussi structurés que dans les autres genres musicaux. On n’a pas, non plus, les mêmes possibilités de retombées médiatiques que la pop « urbaine ». Il y a Skyrock, chaîne sur laquelle tout le monde essaie de passer. Mais ils vont playlister seulement 12 morceaux sur les 500 qui sortent par semaine. De mon côté, je vais lancer un label pour signer et développer des artistes.
« Il n’y a plus de règles et c’est ça qui fait la magie de la prod. »
On a l’impression, aujourd’hui, que pour qu’un morceau rencontre le succès, il y a forcément beaucoup de personnes qui ont travaillé dessus. Qu’en est-il réellement ?
Honnêtement, il n’y a plus de règles et c’est ça qui fait la magie de la prod ; plus aucune contrainte n’existe. On peut composer un tube sur son téléphone, dans son salon ; seule compte l’urgence de créer, que ce soit seul ou en équipe. On peut faire de la musique dans des chambres comme c’est le cas de Billie Eilish et toucher un très grand nombre de personnes. Si je prends l’exemple de mon projet, il y a « Ma Love », qui a fait deux millions de vues sur YouTube mais qu’on a composé dans mon salon avec Heezy Lee ; « Playlist », écrit avec Tristan Salvati [Cœur de Pirate, Angèle, ndr], qui s’occupait des accords et qu’on a imaginé en trois heures ; mais aussi « Toi qui décide » sur laquelle on était sept en studio à jammer avec tout le monde qui balançait son avis (« ça c’est bien, ça c’est moins bien »). Le tout aura duré trois jours.
« Sortez votre musique, peu importe vos logiciels, vos outils, vos instruments ou la prétendue qualité du morceau. »
Pour finir, quel conseil donnerais-tu à un jeune producteur ?
Celui que je donne souvent : sortez votre musique, peu importe vos logiciels, vos outils, vos instruments ou la prétendue qualité du morceau. L’objectif de composer des chansons, c’est quand même de les libérer, de les partager. Aujourd’hui, il n’existe aucun obstacle pour les diffuser et les faire exister. Je connais beaucoup de producteurs qui ont des centaines, voire des milliers de morceaux sur leur ordi sans oser les poster car ils veulent encore les perfectionner. Moi-même je plaide coupable, j’en ai beaucoup qui dorment sur mon disque dur. J’aurais tendance à dire : « Arrêtez de trouver le mix idéal et envoyez-le au public, dont vous apprendrez beaucoup ». C’est lui qui va te conseiller sur ton mix ou ton image et te faire évoluer. Le mieux reste de partager ses sons sur YouTube, je trouve, car on peut repartager facilement la vidéo. Malheureusement, les règles juridiques archaïques de la plateforme (et ses liens avec les majors) limitent la portée d’une vidéo pour qu’elle pète si ce n’est pas un clip. C’est là que Tik Tok a fait très fort : rien, dans les règles du réseau social, ne limite la propagation d’un son. Ce qui permet de le rendre viral sans forcer.
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