Les bains sonores électroniques à la conquête de la France

Les bains sonores sont des expéri­ences où la musique dégage un pou­voir relax­ant et médi­tatif. De Los Ange­les à Paris, les syn­thé­tiseurs poly­phoniques pro­posent une alter­na­tive mod­erne qui dépous­sière les tra­di­tion­nels bols de cristal et gongs.

« Le repos rend l’e­sprit plus libre et plus sain pour réfléchir », fai­sait dire George Sand au per­son­nage de Guil­laume dans son roman Jeanne. Le con­texte actuel, qui peut paraître à bien des égards anx­iogène, pour­rait devenir le moment idéal pour enfin démoc­ra­tis­er les bains sonores et leurs vari­antes ambi­ent. Les bains sonores (ou sound bath) con­sis­tent en une expéri­ence de médi­ta­tion qui est réal­isée à par­tir de sons et vibra­tions d’in­stru­ments et util­isée à des fins thérapeu­tiques, la plu­part du temps tirée d’instruments tra­di­tion­nels comme les gongs, les car­il­lons ou les bols en cristal. Mais alors que la plu­part des bains sonores utilisent encore ces instru­ments acous­tiques, un nou­veau courant, util­isant la musique élec­tron­ique pour repro­duire ces sonorités et sen­sa­tions, s’est développé.

Cette musique se car­ac­térise par longues nappes et drones, et ses vari­a­tions extrême­ment lentes. Dès 2016, les musi­ciens Bri­an Grif­fith et Ang Wil­son revis­i­taient le genre lors des séances AcuXRei­ki Sound Bath au Gold­en Folk Well­ness à Sil­ver Lake, à l’aide de syn­thé­tiseurs et drones ampli­fiés. Si vous êtes un habitué du Mai­son Tsu­gi Fes­ti­val, vous avez peut-être vu le live set de Var­iéras, accom­pa­g­né d’un syn­thé poly­phonique et de son matériel de mix­age. Le com­pos­i­teur a eu un coup de cœur pour ce courant après avoir organ­isé un con­cert immer­sif de plusieurs heures pour l’exposition de Joseph Schi­ano di Lom­bo en sep­tem­bre 2019 au Palais-Royal.

Durant l’exposition, Joseph Schi­ano di Lom­bo invite la thérapeute Mar­tine Char­ri­er à jouer de la harpe de cristal pour l’accompagner. « Aujourd’hui, Clé­ment et moi con­ver­sons avec Mar­tine au sujet des éner­gies, en vue d’un enreg­istrement futur », révèle-t-il. À cette époque, les deux artistes igno­raient le genre de musique qu’ils expéri­men­taient. Clé­ment Var­iéras se sou­vient : « On ne savait pas que c’était du sound bath ! Ça n’est qu’après, quand on a com­mencé à tra­vailler avec Marine Par­men­tier, fon­da­trice de Mirz Yoga, qu’on a for­mulé les choses comme ça ». Pour autant, l’am­bi­ent a tou­jours accom­pa­g­né le com­pos­i­teur, qui au détour d’un sou­venir d’en­fance, évoque sa pre­mière ren­con­tre avec cette musique, son père s’isolant pour pein­dre avec cette musique : « Quand j’entrais dans la pièce, ça me sai­sis­sait au ven­tre. J’adorais ça ! »

La musique a tou­jours été liée à la spir­i­tu­al­ité et à la médi­ta­tion. La racine du mot Yoga vient du san­skrit Yuji qui sig­ni­fie union entre corps et esprit, entre le soi et le fameux grand tout, rap­pelle la créa­trice créa­trice du stu­dio de yoga. His­torique­ment, de nom­breuses civil­i­sa­tions se sont pré­mu­nis d’instruments à des fins thérapeu­tiques, comme les didgeri­doo ou les bols tibé­tains. La musique est égale­ment con­nue pour affecter plusieurs par­ties du cerveau, dont l’hip­pocampe au niveau de la mémoire, ou l’amyg­dale pour la réac­tion émo­tion­nelle à la musique.

Les deux musi­ciens se sont ain­si lancés dans les bains sonores. Et pour­tant, ils n’utilisent pas de gongs, de car­il­lons ou de bols en cristal. Munis de leurs syn­thé­tiseurs, ils ont été sans le savoir des pio­nniers des bains sonores élec­tron­iques en France. « Quand Mar­tine [Char­ri­er] nous a lais­sé enten­dre que les syn­thé­tiseurs étaient totale­ment les bien­venus, nous avons libre­ment com­posé en nous deman­dant “est-ce que tel son sera suff­isam­ment apaisant ? “», explique Var­iéras. Pour Joseph, la clé est d’avoir un syn­thé­tiseur suff­isam­ment mal­léable et ergonomique : « Il faut pou­voir faire un drone, un accord con­tinu comme une nappe, mais pour en faire un bon, il faut pou­voir jouer sur tous les paramètres et le faire évoluer ».

Pour com­pos­er un bain sonore, Var­iéras racon­te n’utiliser que des machines dont tous les con­trôles sont en façade, donc facile­ment acces­si­bles. Pour les mélodies, le musi­cien utilise des sonorités douces et pro­fondes ain­si que des sam­ples. « Qua­si­ment tout ce que je fais à une com­posante ‘’faite main’’, on crée nos pro­pres pre­sets de syn­thés, dont on fait les paramètres en live, on enreg­istre nos pro­pres sam­ples, ou quand on utilise des instru­ments déjà faits, on essaie d’en jouer de manière créa­tive en mod­i­fi­ant le son ou en ajoutant des effets ».

Pour les sets, le plan et le cadre sont préal­able­ment élaborés, « Nous avons même inven­té des sys­tèmes de nota­tion, des sortes de sché­ma, pour don­ner une struc­ture à l’ensemble » explique-t-il. Des out­ils qui ouvrent la porte à l’im­pro­vi­sa­tion : « Ils changent com­plète­ment le rap­port à la matière sonore », assure Var­iéras. Si les instru­ments tra­di­tion­nels sont indétrôn­ables par leur pureté, les out­ils élec­tron­iques sont plus ver­sa­tiles et per­me­t­tent une évo­lu­tion con­stante des tex­tures, selon le musi­cien. De plus, le pan­el de sonorités et d’instruments n’est pas si lim­ité que l’on pour­rait le penser. « On est libre d’aller où on veut musi­cale­ment, même dans des domaines assez som­bre, et en même temps ce n’est pas for­cé­ment le but. On doit quelque chose aux gens qui s’en sont remis à nous », explique Joseph Schi­ano di Lombo.

Var­iéras et Joseph Schi­ano di Lom­bo au Mirz Yoga

Selon lui, ce courant pour­rait con­naître un réel essor en France : « Je pense que ces con­di­tions par­ti­c­ulières d’écoute pour­raient ren­con­tr­er un large audi­toire en France. Dès qu’on pro­pose à quelqu’un d’écouter un con­cert allongé, son regard s’éclaire. C’est curieux et exci­tant, et je crois que si l’offre était plus éten­due nous seri­ons de plus en plus nom­breux à nous intéress­er à l’expérience. »

Les salles de yoga revisitent le sound bath

Ce type d’expérience se développe juste­ment dans les salles de yoga parisi­ennes. Dans le 19e arrondis­sem­nt, le stu­dio Mirz Yoga dis­pense, par­mi ses dif­férents cours, des ate­liers de bains sonores pour accom­pa­g­n­er la médi­ta­tion. Clé­ment Var­iéras y a par­ticipé : « Il y a deux enceintes de chaque côté et deux en face du pub­lic. Celui-ci est donc cerné par six sources sonores ! On peut faire tourn­er des sons dans la pièce, faire des questions-réponses, jouer sur la spa­tial­i­sa­tion pour don­ner l’impression d’être face à un orchestre, c’est infi­ni ».

Le sound bath peut être une porte d’en­trée plus acces­si­ble vers le yoga, ce qui pour­rait aug­menter sa pop­u­lar­ité en ces temps de con­fine­ment où de plus en plus de per­son­nes se met­tent à la dis­ci­pline selon Vogue.  Ce n’est ain­si pas éton­nant que Marine Par­men­tier, créa­trice de Mirz Yoga, utilise ce pro­to­cole lors de cer­tains ate­liers depuis qua­tre ans : « C’est un for­mat que j’avais décou­vert dans un stu­dio de yoga lors d’un séjour à New York et que je n’avais encore jamais expéri­men­té aupar­a­vant en France », raconte-t-elle.

© Pure Nature Yoga

À l’origine, les ate­liers étaient ryth­més aux sons et vibra­tions des sound bath tra­di­tion­nels, sous forme de con­certs d’environ une heure de « bols tibé­tains ou de bols en cristal, agré­men­tés d’autres instru­ments cos­miques comme des car­il­lons ». Le stu­dio a même accueil­li à plusieurs repris­es Sara Auster, l’une des sonothérapeutes améri­caines les plus réputées. Pour ce qui est des séances, « Les par­tic­i­pants sont dans le noir, allongés con­fort­able­ment ou assis en médi­ta­tion sur un tapis de yoga, en cou­ver­tures pour un relâche­ment total du corps qui per­met à l’e­sprit d’être plus disponible et con­cen­tré pour accueil­lir le bain de sons ».

L’alliage des sonorités indi­ennes tra­di­tion­nelles aux séances de médi­ta­tion a de suite ren­con­tré un franc suc­cès au stu­dio. Puis, après quelques années de pra­tique des bains sonores orig­inels, Marine Par­men­tier souhaite « ouvrir le spec­tre de l’ex­péri­ence à la musique élec­tron­ique, et plus par­ti­c­ulière­ment à l’am­bi­ent dont les sons, vibra­tions et fréquences se prê­taient à mon sens par­faite­ment à ce genre d’ex­péri­ence ».

C’est ain­si que Marine Par­men­tier a com­mencé à col­la­bor­er avec des artistes d’ambient, en pre­mier lieu le duo Ligov­skoï. Après quelques recherch­es, la jeune femme tombe sur le tra­vail de Clé­ment Var­iéras et Joseph Schi­ano di Lom­bo. « Quand j’ai vu et enten­du leur tra­vail, je me suis dit que ce serait une propo­si­tion idéale pour ce nou­veau volet de sound bath d’am­bi­ent au stu­dio. Leurs sonorités sont à la fois etheriques et ultra-puissantes, clas­siques et très con­tem­po­raines. Cette sen­sa­tion qu’on touche au Grand Tout, à la pléni­tude en les écoutant. »

Les sound bath per­me­t­tent d’ou­vrir les portes de la philoso­phie du yoga à des per­son­nes qui n’au­raient peut-être jamais pen­sé s’y ini­ti­er, racon­te Marine Par­men­tier. « Je crois que la musique est un véhicule puis­sant pour ouvrir la con­science, sans avoir besoin de pass­er par des mots ou des pra­tiques qui peu­vent paraître com­pliquées ou éli­tistes. Dans les sound bath d’am­bi­ent que nous avons organ­isés au stu­dio, la plu­part des par­tic­i­pants n’é­tait pas des yogis, mais on les a vu ressor­tir de l’ex­péri­ence comme après 1h de médi­ta­tion tra­di­tion­nelle : apaisés, ressour­cés, inspirés. »

 

Un espace de comtemplation

Mais la musique agit égale­ment sur nos chakras. Selon Marine Par­men­tier : « Les sons, leur fréquence et vibra­tions agis­sent sur notre corps physique et énergé­tique. Le son per­met de faire cir­culer les éner­gies et favorise l’auto-guérison. Notre corps est com­posé de mil­liers de canaux énergé­tiques et les sept chakras majeurs sont situés aux inter­sec­tions de ces canaux, et sont placés le long de notre colonne vertébrale (5 chakras) et de notre tête (2 chakras) ». Chaque chakra cor­re­spond ain­si à un champ de notre être. « Plus l’én­ergie y cir­cule libre­ment, plus on se sent en forme, équili­bré, joyeux. »

« Ces sons qu’on appelle ‘cohérents’ induisent un ralen­tisse­ment des ondes cérébrales. Cela favorise la syn­chro­ni­sa­tion des hémis­phères droit et gauche du cerveau, ce qui stim­ule les capac­ités cog­ni­tives », expli­quait le physi­cien Patrick Drouot, dans un entre­tien accordé à Le Monde en 2018.

« Il faut savoir que notre cerveau pro­duit dif­férentes longueurs d’on­des (élec­triques en hertz) cha­cune liée à un état de con­science spé­ci­fique. Un hertz égalant une ondu­la­tion par sec­onde. Le cerveau émet un très faible courant élec­trique du fait de son activ­ité, même en état de som­meil ou de coma. On note cinq stades selon l’intensité », explique la sonothérapeute Flo­ra Vour­ron. Allant de la plus faible inten­sité des ondes delta (1–3Hz) qui « cor­re­spon­dent à la phase de som­meil pro­fond », à la plus élevée des ondes gam­ma (30–60Hz), ondes cérébrales qui « cor­re­spon­dent à une activ­ité intel­lectuelle intense ».

« Cer­taines fréquences libérées par un cer­tain type de bols tibé­tains cor­re­spon­dent aux ondes alphas (8–13hz). Ces fréquences alpha sont pro­duites naturelle­ment par notre cerveau lorsque nous médi­tons ou nous relax­ons. Notre cerveau se syn­chro­nise à ces ondes alpha, l’ac­tiv­ité cérébrale dimin­ue, le corps se relâche physique­ment. Les ten­sions du corps et émo­tions asso­ciées à une éventuelle charge men­tale (stress, anx­iété..) se libèrent », ajoute la fon­da­trice de Flow mas­sage sonore.

Les nou­velles expéri­ence autour des bains sonores met­tent égale­ment en avant l’aspect visuel, ren­forçant l’im­mer­sion. À l’instar de l’exposition de Joseph Schi­ano Di Lom­bo, cer­tains ate­liers mêlant image et son émer­gent. À Los Ange­les, la salle du Wis­dome a accueil­li en 2019 une expéri­ence de Visu­al Sound Bath. L’expérience liait les sons crées par le musi­cien Torkom Ji à l’animation 3D à 360° mise en place par Michael Strauss. « Cette trans­mis­sion cherche à fournir un espace de tran­quil­lité, de con­tem­pla­tion et d’émer­veille­ment acces­si­ble à tous », pouvait-on alors lire sur le compte Face­book de la page.

 

Los Angeles, paradis du sound bath

Les bains sonores sont très pop­u­laires à Los Ange­les, devenu l’un des foy­ers prin­ci­paux du yoga et du bien-être. À tel point que rési­dences de bien-être se sont créées dans le quarti­er de Venice, dans l’ouest de la ville. Les sound bath s’y sont égale­ment pop­u­lar­isés grâce à cer­tains artistes, la chanteuse Jhené Aiko en pre­mière ligne. La Cal­i­forni­enne, qui a sor­ti l’album Chilom­bo en début d’année, con­fi­ait à E.ND : « Après avoir enten­du tant d’his­toires de fans et les raisons pour lesquelles ils écoutent ma musique, j’ai réal­isé que mon but en créant est d’aider les gens à guérir et à se transformer ».

Jhene Aiko, qui col­lec­tionne les bols de cristal et a conçu son dernier album en étu­di­ant la guéri­son sonore et les effets des tons et fréquences sur le corps et l’esprit, expli­quait : « L’in­cor­po­ra­tion de bols en cristal dans ma musique est dev­enue très impor­tante pour moi quand j’ai réal­isé à quel point leurs vibra­tions et leurs tons m’aidaient à guérir per­son­nelle­ment ». Même son de cloche chez le duo de musique élec­tron­ique Elec­tric Sound Bath, égale­ment instal­lé à Los Ange­les. Ang Wil­son et Bri­an Grif­fith dis­ent s’inspirer de l’essor des salles de médi­ta­tion à Los Ange­les. Les com­pos­i­teurs évolu­ent dans une sphère musi­cale qui lie la drone ambi­ent au sound healing.

À l’instar de l’ASMR, le sound bath s’est égale­ment forte­ment dévelop­pé sur YouTube, faisant de sonothérapeutes comme Sara Auster ou Jere­mie Quidu de véri­ta­bles stars. Le 11 avril dernier, la mar­que IRIS accueil­lait d’ailleurs sur son site un bain sonore virtuel dirigé par ce dernier, basé à Ibiza.

Le Dark Ambient Sound Bath

Sou­vent, c’est au développe­ment de ses dérivés que l’on peut saisir l’étendue d’une mode. Le Sound Bath qui est voué à apais­er corps et esprits s’est trou­vé une vari­ante plutôt décon­cer­tante à pre­mière vue, avec le Dark Ambi­ent Sound Bath. Mais pourquoi mêler une ambiance som­bre à une musique méditative ?

Si le nom ne s’y prête pas for­cé­ment, le but de cette musique plus som­bre et astrale est pour­tant bien de « guérir, même si nos méth­odes sont dif­férentes », con­firme cette page Face­book fondée en 2018. Etant un dérivé de l’am­bi­ent, les artistes der­rière ce con­cept utilisent égale­ment des instru­ments élec­tron­iques comme base. « Notre musique est une com­bi­nai­son d’in­stru­ments élec­tron­iques et acous­tiques et est impro­visée en direct », explique le fon­da­teur du groupe. La struc­ture de leur bain sonore s’étend en trois par­ties. Une médi­ta­tion guidée et inten­tion­nelle, un tra­vail de res­pi­ra­tion holotropique et enfin le bain sonore, lui-même.

Le fon­da­teur de Dark Ambi­ent Sound Bath n’est lui-même pas un musi­cien. Il invite des artistes à se repro­duire pour ces expéri­ences de voy­ages sonores. « Je donne un thème et une inten­tion pour le bain sonore et laisse l’artiste créer ce qu’il aime. Quand ils me mon­trent les sons, je donne sim­ple­ment quelques retouch­es et quelques pistes pour qu’ils les intè­grent dans la per­for­mance. » Toute­fois, il laisse une lib­erté totale aux artistes pour explor­er dif­férents univers et instruments.

Après avoir con­quis la côte ouest cal­i­forni­enne puis pro­gres­sive­ment les cap­i­tales occi­den­tales, les vibra­tions et sonorités élec­tron­iques ambi­ent des bains sonores mod­ernes n’ont pas fini de résonner.

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