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© Fany Coral - "Khan et Kid Congo Powers Live au Pulp"
19 décembre 2023

Les clubs les plus pourris sont parfois les meilleurs

par Tsugi

Le Studio 54, le Womb, Fabric, le Robert Johnson, Printworks… L’histoire du clubbing ne manque pas de lieux design, fonctionnels et flamboyants, qui constituent à eux seuls une attraction. Mais mettre des DJs et des danseurs dans un lieu peu adapté, petit et inconfortable n’est pas toujours une mauvaise idée. Quelques-uns des clubs les plus influents de leur temps ont été faits de ce bois-là.

 

Cet article rédigé par Gérome Darmendrail est issu du Tsugi 165 : Culture Clubs : où va le clubbing ?

 

The Loft, New York

On peut mesurer l’importance d’un lieu quand les personnes qui n’y sont jamais allées sont plus nombreuses à en parler que celles qui l’ont fréquenté. Et concernant le Loft, c’est un chiffre qui ne cesse de croître, puisqu’on continue de raconter sa légende cinquante ans après. Celle du berceau du clubbing moderne, le lieu où David Mancuso envisagea le deejaying comme une forme d’expression artistique, où hétéros, gays, Noirs et Blancs se mélangèrent par amour de la musique. Un lieu inclusif mais exclusif, puisqu’il fallait être muni d’une carte de membre pour y entrer. Il faut dire que Mancuso recevait chez lui. Un moyen de payer son loyer au départ. D’ailleurs, le nom de ce club informel est venu naturellement. Les gens l’ont appelé The Loft, parce que c’était un loft. Mais celui de Mancuso ne ressemblait pas à l’image que les magazines de déco se font d’un loft new-yorkais. Il était petit et n’avait rien de clinquant, même si le maître des lieux essayait de le rendre plus attrayant en accrochant des ballons. Mais l’essentiel était ailleurs : l’accueil, l’ambiance, la musique, le son, domaine sur lequel Mancuso ne mégotait pas. Car il avait coutume de dire que ce que veulent entendre les gens, c’est la musique, pas le son de la sono.

 

Pulp, Paris

Officiellement, la jauge était de 275 places. Un quota que ce club situé boulevard Poissonnière, à 300 mètres du Rex, a dû rarement respecter. Pourtant, il n’y a jamais assez de place pour accueillir toute la foule qui se pressait devant sa porte. De 1997 à 2007, ce club lesbien dans son jus, interdit aux garçons le samedi, fut sans doute l’endroit qui refléta le mieux la période post-french touch, ce moment où le disco fût plus punk, l’électro plus dark, et on s’empressa de dresser des ponts entre rock et techno. L’équivalent des soirées Respect pour la génération suivante, emmené par des DJ résidents comme Jennifer Cardini, Chloé et Ivan Smagghe, souvent rejoints par des habitués comme Andrew Weatherall ou Optimo dans l’alcôve qui faisait office de cabine de DJ. Sans doute trop petite elle aussi, mais peu importe, ce qui comptait au Pulp, c’était l’énergie. Y en aurait-il eu autant si le sound system avait été meilleur, les banquettes plus propres et le plafond plus haut ?

 

Blue Note, Londres

Si aujourd’hui Hoxton Square est situé dans l’un des quartiers les plus prisés de Londres, Shoreditch, entouré de bars à cocktails, de restaurants à brunch et de boutique hôtels, il y a trente ans, il était milieu de nulle part, ou plutôt de la zone. Mais grâce au flair de Eddie Piller, qui rachète en 1993 un club de jazz abandonné pour une bouchée de pain, la place se retrouve vite au carrefour des bouillonnements musicaux qui traversent la capitale britannique. Évoquer le nom des soirées qui ont lieu au Blue Note revient à nommer les labels, artistes et courants qui ont compté à cette époque. Les soirées Mo’ Wax de James Lavelle, les soirées Stealth du label Ninja Tune, et bien sûr les mythiques Metalheadz de Goldie, tous les dimanches soir, rendez-vous incontournables pour tous les amateurs de drum’n’bass. Et au milieu des années 1990, ils sont nombreux à s’intéresser à ce nouveau courant. David Bowie, Lauryn Hill, Kate Moss ou Robbie Williams viendront se serrer dans ce petit club de 200 places, bas de plafond, avec des fissures sur les murs et un tuyau qui fuit au-dessus de la cabine de DJ. Ceux qui y ont joué se souviennent des gouttes d’eau qui leur tombaient dessus, sans être sûrs qu’il s’agissait de l’eau du tuyau ou de la sueur des danseurs sous forme de condensation.

 

Music Institute, Detroit

La house de Chicago avait le Power Plant, le garage new-yorkais le Paradise Garage, mais la techno de Detroit n’avait rien, en tout cas pas de club pour représenter sa scène émergente. Ce fut chose faite en 1988 avec le Music Institute. Ouvert dans un ancien magasin de chaussures situé dans une zone déshéritée et dangereuse – le centre-ville de Detroit –, ce ne fut, sans trop de surprise, pas un club clinquant et ostentatoire. Ceux qui l’ont connu le décrivent comme rudimentaire, échafaudé avec trois bouts de ficelles, et sans même un sound system de grande qualité. Mais pendant dix-huit mois, Derrick May, Kevin Saunderson ou Chez Damier eurent l’impression d’être en Europe et jouèrent de la techno devant un public à la fois gay et hétéro, pas habitué à se mélanger à l’époque à Detroit, et avec même parfois quelques Blancs dans la salle, dont les membres de Depeche Mode. Une aventure qui tourna court, faute d’argent.

 

Kulturstation, Munich

Un endroit trop petit avec trop de monde, pas d’air conditionné, des DJs tels que DJ Hell ou Robert Hood qui enfièvrent le dancefloor pendant les soirées Ultraworld. Sans fenêtre, cela aurait été sans doute invivable. Alors toutes les deux heures, quand l’air venait à manquer, les DJs coupaient le son, annonçaient une pause fraîcheur et on les ouvrait. La salle étant située dans une zone résidentielle, impossible de continuer de passer de la musique fenêtres ouvertes. Une fois la température redescendue, on refermait et la fête repartait de plus belle, et souvent plus fort. Ceux qui ont vécu ces moments s’en souviennent avec nostalgie, mais à l’époque, au début des années 1990, le procédé finit par lasser, et les organisateurs des soirées Ultraworld décident d’ouvrir leur propre lieu, nommé Ultraschall, qui deviendra le club techno incontournable de la ville.

 

The Kave, Ibiza

Dans les années 2010, ce fut l’un des endroits les plus courus d’Ibiza. Pourtant, on n’y voyait pas la mer, il n’y avait pas de light show à couper le souffle, d’écrans LED ou de cabine de DJ dernier cri, et surtout c’était un espace étriqué et sans confort, à l’opposé des clubs géants à ciel ouvert qui ont fait la réputation de l’île. Un mélange entre cave et caverne, situé sous la propriété d’un millionnaire, à l’adresse tenue secrète, accessible uniquement sur invitation. Un parfum de mystère et d’exclusivité qui firent évidemment beaucoup dans l’attractivité du lieu – ainsi que les DJs qui y jouèrent : Dixon, Solomun ou Ricardo Villalobos –, mais la preuve, une fois de plus, qu’il n’est pas forcément nécessaire d’investir des millions dans la déco pour créer un club mythique.

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